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¡Va por ti, torero ! Luis Francisco Esplá (vendredi, 26 décembre 2008)

Luis Francisco Esplá arrête les toros. C'est un torero selon mon cœur, complet et artiste dans la folie de la tradition la plus pure, avec des hauts et des bas, des toros durs en général, ce n'est pas si courant. Il a beaucoup donné à la corne. Artiste il l'est oui, Luis Francisco, avec sa voix presque de haute-contre, son humour décalé, ses poèmes et sa peinture et des gestes dans l'arène qui tirent le torero vers l'absolu de la tauromachie,  et cette démarche bizarre, à très petits pas... Il arrête les toros, Luis Francisco Esplá… on continuera à penser à lui souvent sans aucun doute.

Voici la jolie note qu'Olivier Deck, qui aurait pu être torero, lui consacre sur son site. Elle dit mieux que je ne saurais le faire  l'essentiel de ce que le matador m'a donné. Une manière aussi de découvrir le site de l'ami Deck, écrivain, chanteur, peintre...

 

Espla.jpg5 Décembre 2008
Pour Esplá

Allons-y, une impro pour Esplá, si tu veux. Esplá l’anachronique d’avant-garde. Avant-garde, oui, toujours au feu, devant, sourire de tueur, d’enfant terrible aux lèvres. Esplá l’artiste qui s’est dessiné un visage de torero en trempant le bout d’une corne dans le sang. Nous connaissons ses cicatrices. Celles du miroir, comme on dit au-delà du Plateau d’Anèu. Esplá s’en va. Il l’avait dit à la sortie de las Ventas, lors de la dernière San Isidro. En montant dans son minibus, il l’avait dit : je ne reviendrai pas à Madrid. Il y reviendra. Finir à Madrid. Passer encore par le grand amphithéâtre où survivent les valeurs moribondes d’un art d’être artiste que l’esprit starac, paillettes, inculture et fil blanc balaye inexorablement. Le monde ne nous appartient pas. Il est un sable qui file entre nos doigts. Nous naissons nostalgiques. Nostalgiques de ce que nous pensons avoir perdu mais qui n’a jamais existé. Nostalgique d’un autre nous qui n’a jamais eu lieu. Comme si nous retournant vers le passé, nous voyions un futur hypothétique. Un futur impossible. Esplá est torero comme il est peintre. Il préfigurait depuis ses débuts le matador actuel, Morante en tête, qui ne se dit plus simplement « torero », mais « créateur ». Le torero à qui l’on scande « torero » ne se considère plus lui-même comme tel, il se dit « créateur ». Esplá l’avait pressenti. Peintre, écrivain, il ressemble aux artistes d’aujourd’hui, les éclectiques, les inclassables, les transgressifs. Ceux que Descartes n’aurait pu classer. Luís-Francisco Esplá. Le bon, la brute et le truand en un seul homme d’arène. Quand les grands de ce petit monde des toros se défilent devant les élevages dont les toros risqueraient de montrer leur bravoure, Esplá accepte de toréer version pliocène inférieur, à Céret. Il se fait arracher les couilles. L’année d’après, recousu, il revient. D’où vient son sourire ? Est-ce une cicatrice qui lui a figé le visage dans une grimace frondeuse, sarcastique ? Esplá, souviens-toi de lui en 1982, lorsqu’il noue sa cravate à la corne d’un Victorino de légende. Esplá s’en va sans avoir cédé. Toujours vêtu de costumes brodés à l’ancienne, qui disent aux gosses : « Regarde, regarde d’où nous venons, nous, les toreros. Nous sommes les enfants des siècles. Ne l’oublie pas ! » Et les gosses l’oublient parce que les gosses sont des gosses. Ils veulent les millions, les Porsches, les pin-up, les palaces, chasser à la droite du roi, mais y laisser leurs couilles, ça, faut voir. Ceux d’aujourd’hui voudraient bien accéder à la gloire sans passer par la case « Toro » . Or Toro + Héro = Torero. Esplá est un héros de légende, un roublard, un brigand qui ne fait pas dans la dentelle, qui agace par son agilité, Scapin de l’arène. Il s’en va. Tel un guerrier qui se retire, le corps perclus. L’âme tumultueuse des combats. Avant cela, il adoubera son fils. Il le prendra dans ses bras aux abords d’une piste de sable. Il l’enlacera de ses kilomètres de sutures et il lui dira : « Tiens, tiens mon épée. C’est à toi maintenant. Adieu. » Adieu. Adieu parce qu’Esplá Luís-Francisco reviendra alors parmi les hommes. Parmi nous. Il restera ce « maestro » avec lequel nous nous adresserons à lui. Et cette gueule tailladée qui nous rappellera que l’afición, c’est plus compliqué que de se dire aficionado, de se réjouir devant de luxueuses farces taurines et de pérorer au comptoir ou dans les beaux salons des hôtels cinq étoiles, loin des cornes. C’est une affaire de vie et de mort. Une affaire d’amour.

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