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Lu Zhaolin, « Le dur voyage » (mercredi, 06 novembre 2019)

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« Quand vous sortez par le nord de Chang An

      pas loin du pont qui enjambe la Wei1

Ne voyez-vous cet arbre sec et nu

      abattu dans un champ laissé en friche ?

Aux jours anciens il s’inondait de rouge

      et puis le rouge devenait du pourpre.

Les brouillards de l’hiver s’y attardaient

       il retenait les brumes de l’été.

Sous le vent du printemps sous la lumière

      ses fleurs étaient d’une blancheur de neige

Un bruit constant — des chars ornés de jade

       des palanquins de bois aromatique

Vit-on jamais passer un voyageur

      qui oubliât d’en casser un rameau ?

Vit-on jamais une belle chanteuse

       passer sans en briser une brindille2 ?

Dragons brodés sur les robes des belles

      perles sur le bandeau de leur poitrine

Et selles argentées des jeunes nobles

      des milliers qui passèrent devant lui.

Dans ses fleurs une à une les orioles

      dissimulaient pudiques leurs chansons.

Les merlebleus y venaient couple à couple

       ils jouaient là avec leur tout-petits.

Ses branches longues d’un millier de pieds

      ses frondaisons larges d’une centaine.

On voyait sous ses feuilles de corail

      se réfugier les canards mandarins3

Et les phénix qui nichaient dans cet arbre

      élevaient d’âge en âge leur lignée.

Les nids tombèrent les rameaux cassèrent

      et les phénix ont fui vers d’autres cieux.

Des rameaux secs on vit tomber les feuilles

      livrées à tous les vents qui s’agitaient.

Un beau matin il s’est retrouvé nu

      et plus personne n’est venu à lui.

Il entre dans l’éternité des ruines

      cela qui peut se le représenter ?

Dans notre vie nos désirs et nos gloires

      tout est soumis au temps qui se déroule.

Passés en un éclair en cet instant

      se reposer sur eux est impossible.

Quelqu’un peut-il arrêter le soleil

      quand il passe au-dessus des Monts de l’Ouest ?

Quelqu’un peut-il arrêter le courant

      quand il s’écoule vers les mers de l’Est ?

Sur les tombes des Hans les arbres poussent

      comme ils recouvrent le pays des Qin4.

Tous ils arrivent passent disparaissent

      tous méritant une lamentation.

Depuis toujours chaque année les grands princes

      ont ramassé des montagnes de riz.

Et chacun d’eux prévoyait que sa gloire

      devrait briller jusqu’à la fin des temps.

Où voyez-vous leurs lèvres écarlates

      où à présent la beauté de leurs traits ?

Qu’entendez-vous à part les sources jaunes5

      et les buissons d’épines de leurs tombes ?

Un jour viendra votre or vos zibelines

      seront vendus pour acheter du vin

Les fleurs flocons de jade se répandent

      en mille et mille pièces dans le vent.

Ce qui est dit est adressé à vous

      qui officiez dans les palais des dieux.

C’est au moment où votre vie bascule

      que vous verrez qui sont vos vrais amis :

Ne violez pas l’enceinte du palais

      restez loin de l’entrée du Dragon Bleu.

Ce que soi-même on a de mieux à faire

       c’est de se retirer dans la montagne.

Toujours les cieux les îles immortelles

      aucun espoir — trop haut beaucoup trop loin.

Quand pourrons-nous nous retrouver encore

      liés si pleinement de cœur à cœur ?

Vivre comme a vécu le roi Yao

      aussi longtemps que lui et aussi sage6.

Être Yü être Ch’ao vivre en ermite7

      ne plus jamais quitter leur vie à eux. »

 

1. La wei est la rivière qui coule à Chang An.

2. Dans la tradition chinoise, on casse une brindille de saule au moment de l’adieu

3. Les canards mandarins sont associés à l’amour conjugal.

4. La dynastie des Hans avait succédé à celles des Qin qui avaient fondé l’Empire chinois.

5. Les sources jaunes sont le séjour des morts

6. Ce roi mythique, modèle antique de la sagesse, passe pour être monté sur le trône à l’âge de vingt ans et être mort âgé de cent dix-neuf ans.

7. Yü et Ch’ao sont deux ermites mythiques. Ch’ao-fu, surnommé « le père au nid » vivait dans un arbre pour ne pas vivre avec les hommes. Hsü Yu s’est lavé les oreilles quand on lui a demandé de gouverner le monde.

 

Lu Zhaolin — 634-684

in Ombres de Chine

« Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue »

Choix, traduction et commentaires : André Markowicz

Inculte / Dernière marge, 2015

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