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Franck Venaille, « La tentation de la sainteté » (mercredi, 29 août 2018)

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© Jacques Sassier

 

« Père. J’avais onze ans. J’étais présent lorsque de Ryck eut le tibia fracturé dans un choc avec un gardien de buts. Je me souviens encore du bruit de l’os brisé. De cette sorte de stupeur hébétée qui s’empara du stade. C’était la première fois que j’assistais à un match. Ma première rencontre avec le football a donc été marquée par une blessure, les cris de douleur d’un joueur, la sensation un peu diffuse que le malheur, toujours, se mêlait au plaisir. Vingt-neuf ans plus tard je me souviens encore de tout cela. Je sais maintenant que j’ai assisté ce jour-là à l’un de ces accidents du travail qui bouleversent la vie d’un homme et d’une communauté lorsque quelqu’un qui vend sa force de travail est blessé ou mutilé à jamais en accomplissant la tâche avec laquelle il gagne sa vie. C’est peut-être à cause de cette blessure que je me suis mis à aimer cette équipe. Après les rencontres, je traversais le hall de la gare du Midi, évitant les cabines téléphoniques d’où je ne vous appelais d’ailleurs jamais. Là, j’ai souffert d’une sorte de froid intérieur. J’ai été heureux et triste jusqu’à la honte de soi. Aujourd’hui encore dans les cafés de la rue de France, près des joueurs de billard, je regarde dans les glaces l’âge s’inscrire par petites touches à mon cou. Cela, parfois, me désespère. Puis je sors et je marche. Je sais qu’à ma manière je suis resté fidèle à l’enfant que je fus qui pleurait en revenant du parc Astrid quand l’équipe qu’il aimait et dont vous vous moquiez avait perdu. »

 

Franck Venaille

La tentation de la sainteté

Coll. Textes, Flammarion, 1985

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