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Constantin Cavafy, « Deux poèmes» (mercredi, 25 mars 2020)

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DR

 

« Une nuit

 

La chambre était pauvre, vulgaire,

Cachée à l’étage d’une taverne louche.

De la fenêtre, on apercevait une ruelle,

Étroite, malpropre. De la salle,

Montaient les voix de quelques ouvriers

Qui jouaient aux cartes et s’amusaient.

Là, sur un lit simple, ordinaire, j’avais eu

Son corps, le corps même de l’amour, j’avais

Eu les lèvres, les lèvres voluptueuses et

Rouges de l’ivresse. Rouges et d’une telle

Ivresse qu’à l’instant même où j’écris,

Après tant d’années, dans ma maison solitaire,

Je suis ivre, ivre à nouveau.

 

Jours de 1908

 

Il se trouvait sans travail, cette année-là,

Il vivait des parties de cartes et de trictrac,

Il vivait d’emprunts.

 

On lui avait offert un petit emploi,

Trois livres par mois, dans une petite librairie ;

Il avait refusé, sans hésiter. Ce n’était pas pour lui.

Ce n’était pas un salaire pour un jeune homme

De vingt-cinq ans, et de bonne formation.

 

Il gagnait à peine deux ou trois shillings

Par jour. Il ne pouvait pas gagner plus aux cartes,

Ou au trictrac, le pauvre garçon, dans les cafés populaires

Où il pouvait aller, même en jouant bien, même

En choisissant des adversaires idiots. Quand aux emprunts,

C’était presque rien. Il obtenait rarement un thaler,

Plus souvent la moitié ; il se contentait assez souvent

De shillings.

 

Dans la semaine, quelquefois à plusieurs reprises,

Lorsqu’il réussissait à s’éveiller dispos,

Il allait au bain, la nage le ranimait.

Ses vêtements étaient dans un état lamentable.

Il portait toujours ce même costume,

Un costume décoloré.

 

Ah ! Jours de l’été 1908 !

Oublié, le lamentable costume

Décoloré, il a disparu de votre image.

 

Vous conservez celle de ce moment-là

Où il enlevait ses vêtements indignes,

Son linge trop usé ; il restait alors

Totalement nu, miraculeusement beau,

Cheveux ébouriffés, corps légèrement bronzé,

À cause du bain, et de la plage, dénudé, le matin. »

 

Constantin Cavafy

Poèmes

Présentation et texte français par Henri Deluy

Fourbis, 1993

16:23 | Lien permanent | Tags : constatin cavafy, une nuit, jours de 1908, henri deluy, fourbis