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une nuit

  • Constantin Cavafy, « Deux poèmes»

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    DR

     

    « Une nuit

     

    La chambre était pauvre, vulgaire,

    Cachée à l’étage d’une taverne louche.

    De la fenêtre, on apercevait une ruelle,

    Étroite, malpropre. De la salle,

    Montaient les voix de quelques ouvriers

    Qui jouaient aux cartes et s’amusaient.

    Là, sur un lit simple, ordinaire, j’avais eu

    Son corps, le corps même de l’amour, j’avais

    Eu les lèvres, les lèvres voluptueuses et

    Rouges de l’ivresse. Rouges et d’une telle

    Ivresse qu’à l’instant même où j’écris,

    Après tant d’années, dans ma maison solitaire,

    Je suis ivre, ivre à nouveau.

     

    Jours de 1908

     

    Il se trouvait sans travail, cette année-là,

    Il vivait des parties de cartes et de trictrac,

    Il vivait d’emprunts.

     

    On lui avait offert un petit emploi,

    Trois livres par mois, dans une petite librairie ;

    Il avait refusé, sans hésiter. Ce n’était pas pour lui.

    Ce n’était pas un salaire pour un jeune homme

    De vingt-cinq ans, et de bonne formation.

     

    Il gagnait à peine deux ou trois shillings

    Par jour. Il ne pouvait pas gagner plus aux cartes,

    Ou au trictrac, le pauvre garçon, dans les cafés populaires

    Où il pouvait aller, même en jouant bien, même

    En choisissant des adversaires idiots. Quand aux emprunts,

    C’était presque rien. Il obtenait rarement un thaler,

    Plus souvent la moitié ; il se contentait assez souvent

    De shillings.

     

    Dans la semaine, quelquefois à plusieurs reprises,

    Lorsqu’il réussissait à s’éveiller dispos,

    Il allait au bain, la nage le ranimait.

    Ses vêtements étaient dans un état lamentable.

    Il portait toujours ce même costume,

    Un costume décoloré.

     

    Ah ! Jours de l’été 1908 !

    Oublié, le lamentable costume

    Décoloré, il a disparu de votre image.

     

    Vous conservez celle de ce moment-là

    Où il enlevait ses vêtements indignes,

    Son linge trop usé ; il restait alors

    Totalement nu, miraculeusement beau,

    Cheveux ébouriffés, corps légèrement bronzé,

    À cause du bain, et de la plage, dénudé, le matin. »

     

    Constantin Cavafy

    Poèmes

    Présentation et texte français par Henri Deluy

    Fourbis, 1993