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Film

  • Arseni Tarkovski, « Jour blanc »

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    Photogramme du film Le Miroir d'Andreï Tarkovski

     

    « Une pierre est couchée dans le jasmin

    Sous cette pierre est un trésor.

    Mon père se tient dans l’allée

    Blancheur blancheur du jour.

     

    Un peuplier d’argent en fleurs,

    Une cent-feuilles* et derrière elle

    Des roses grimpantes,

    Une herbe de lait.

     

    Je ne connus jamais

    Alors un tel bonheur.

    Jamais un tel bonheur

    Je ne connus alors.

     

    Revenir là-bas c’est impossible

    Et raconter mais nul le peut,

    Comme fut rempli de béatitude

    Ce séjour du paradis. »

     

    * Rose constituée d'un très grand nombre de pétales.

    Ce poème d’Arseni Tarkovski devait donner son titre au film de son fils Andreï, Le Miroir.

     

    Traduit du russe par Christian Mouze

    In « Andreï Tarkovski, Œuvres cinématographiques complètes II », Exils, 2001

    Repris in L’Avenir seul

    Traduction et présentation de Christian Mouze

    Postface d’Anna Akhmatova

    Bilingue

    Fario, 2013

  • Andreï Tarkovski, « Journal – 1970-1986 »

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    Photogramme de Nosthalgia de Andreï Tarkovski

     

    « 9 août 1979, Bagno Vignoni

    Un orage a éclaté tôt ce matin – magnifique. Il a plu. Le matin, nous sommes allés voir les bains d’eau chaude de Sainte Catherine. C’est un endroit formidable pour un film.

    J’ai montré à Tovoli le ruisseau et la chambre sans fenêtre pour Spoutnik et pour le film.

    On a filmé la “Madona del Parto” à Monterchi, de Piero della Francesca. Aucune reproduction ne peut rendre sa beauté.

    Un cimetière à la frontière de la Toscane et de l’Ombrie.

    Quand on voulu transporter la Madone dans un musée, les femmes de Monterchi s’insurgèrent et obtinrent qu’elle reste où elle était.*

    […]

    10 août

    On a filmé ce matin la piscine Sainte Catherine. On a visité les environs. Cet après-midi, l’abbaye de Sant’Antimo. Les appartements de l’abbé sont à l’intérieur de l’église, par un décret spécial du pape.

    Rencontre avec une communauté religieuse. Ils ont chanté du grégorien dans l’église, quand ils ont appris que c’était moi ! Ils avaient vu Roublev. Eugenio Rondini à tout enregistré.

    Il a plu le soir. On a filmé le ruisseau d’eau chaude. Il sont tous repartis à Rome – Tovoli et sa femme, Eugenio et Franco. Nous restons ici à travailler, avec Torino et Lora.

    […]

    13 août

    Nous avons fructueusement travaillé. Tout est charmant ici, douillet. Il y a beaucoup de serpents dans les bois, et des mûres que personne ne cueille. Nous sommes allés aujourd’hui en amont de Bagno Vignoni. Un “village” avec quelques maisons, une muraille, une tour, une église. On pourra y séjourner très bon marché pendant le tournage. On peut même y acheter une maison pour pas cher du tout. C’est un endroit fantastique, à 1 km. de Bagno Vignoni, à 1 heure et demie de Rome en voiture.

    J’ai donné à Lora, pour qu’elle le traduise à Tonino, le premier épisode : L’Hôtel Palma.

    Lettre à Gambarov. Demain je l’appelerai.

    N.B. : Gortchakov oublie qu’il a rêvé de la mort.

     

    14 août

    Nous avons travaillé assez fructueusement à la deuxième mouture du scénario. J’ai rédigé une page de la première.

    On a téléphoné à Tovoli pour lui demander de m’acheter un Polaroid. Je veux faire quelques clichés.

    Demain commence la fête de “Feragosta” – la fin de l’été. Je voudrais prendre quelques photos de la fenêtre, à diverses heures du jour. La vue au petit matin, à l’aube. […] »

    * Ndb : depuis 1993, elle se trouve dans l’ancienne école élémentaire qui est devenue un musée dont elle est la seule œuvre.

     

    Dans ces extraits, Tarkovski, prépare le scénario de ce qui deviendra Nosthalgia, qu’il tournera sur ces mêmes lieux en 1982.

    D’autre part, il tourne au même moment, en cette année 1979, ce qu’il appelle un « reportage-autoportrait » intitulé Tempo di viaggio (63 mn.) qui sortira en 1980.

     

     

    Andreï Tarkovski

    Journal – 1970-1986

    Traduit du russe par Anne Kichilov, avec la collaboration de Charles H. de Brante

    Cahiers du cinéma, 1993

  • Pierre Bergounioux, « Le Grand Sylvain »

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    Pierre Bergounioux dans La Capture de Geoffrey Lachassagne

     

    « Il y a une dernière chose qu’on peut envier aux insectes, outre la cuirasse, les cœurs épars, la science innée, la stupeur : c’est la patience. Ils sont un siècle et demi à cheminer par monts et par vaux, perdus dans les forêts de l’herbe, la nuit, cherchant le passage, le tablier des ponts et on voudrait qu’ils soient là, dans l’instant, parce qu’on a cet instant et la prétention, avec ça, d’acquitter une créance qui court depuis le commencement. Le temps passe. L’instant s’achève et tout ce qu’on trouve, c’est de reprocher au gosse, au vrai, qu’on a traîné avec soi, d’être assis, bras ballants, sur une souche, à ne pas chercher. On lui en veut de ne pas déférer à l’injonction du gosse fictif que ses yeux ne sauraient déceler dans l’après-midi blême alors qu’il devrait être manifeste, aux nôtres, qu’il n’y est pas, pour lui, pas encore, puisqu’il est un gosse, un vrai. Si l’on était raisonnable, on se rendrait à l’évidence. On verrait. On accepterait. On se tairait. Au lieu de quoi on adresse des paroles amères à quelqu’un qui n’a rien fait. On veut le charger d’une part de la vieille dette qu’on a contractée. Finalement, c’est une querelle de gosses, même si l’un des deux n’est plus visible et c’est celui-ci, en vérité, qu’il faudrait chapitrer sur son acrimonie, sa mauvaise querelle, son incurable faiblesse. »

     

    Pierre Bergounioux

    Le Grand Sylvain

    Verdier, 1993

    Réédition avec le dvd La Capture de Geoffrey Lachassagne, La Huit/Verdier, 2017

    http://www.docsurgrandecran.fr/film/capture

  • Maurice Darmon, « La forêt des dames, le cinéma de Marguerite Duras 1964-1972 »

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    DR

     

    « […] que cherche précisément Marguerite Duras du côté du cinéma ? Qu’en attend-elle en 1969 ? Que quitte-t-elle avec son dernier film, Les enfants, en 1985 ?

    Déjà, ses premières clés :

     

    J’avais fait un livre très rapidement ; c’est à dire qu’après avoir pensé à ce livre pendant un an, j’ai fait le livre en une semaine, dans des conditions mentales très difficiles, c’est-à-dire que c’est un livre qui m’a beaucoup angoissée et je ne le connaissais que très peu. J’ai eu envie de connaître mieux ce livre, donc de le voir et de l’entendre.*

     

    Marguerite Duras n’est certainement pas la seule à mal connaître son propre roman. L’avalanche de dialogues et de tirets et sa petite musique emportent le lecteur dans une sorte d’indifférence à ce qui se passe et à qui parle pour se laisser faire par ce qui se dit. Mais comme son auteur, le lecteur éprouve bientôt la nécessité de “connaître” ce livre, qui, dès l’ouverture, livre ses marques originelles, celles d’un scénario :

     

    Temps couvert.

    Les baies sont fermées.

    Du côté de la salle à manger où il se trouve, on ne peut pas voir le parc.**

     

    L’auteur et son lecteur savent qu’en réalité un film impose là sa dictée. Elle ne connaissait pas son livre, elle naissait plutôt de lui, et la nécessité d’une figuration concrète, “de le voir et de l’entendre” s’imposait. Avec la force de ce qu’elle nomme “l’envie”. Tourner un film, c’est forcément livrer corps, voix et visages à chaque mot, à chaque réplique ; c’est abandonner toute leur place et leur durée aux espace et aux silences. Voir et entendre : qu’est-ce que le cinéma, sinon des images et des sons ? sinon reconnaître le geste documentaire comme un épicentre dans le tremblement des lumières et des bruits ? »

     

    * Entretien à la télévision canadienne du 7 décembre 1969

    ** Détruire dit-elle, Minuit, 1969

     

    CouvTome1+-+copie.jpgMaurice Darmon

    La Forêt des dames. Le cinéma de Marguerite Duras, 1964 – 1972

    (Sans merveille, la Musica, Détruite dit-elle, Jaune le soleil, Nathalie Granger

    202 éditions, 2015

    http://202editions.blogspot.fr/