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Réflexions

  • Florence Delay, « La séduction brève »

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    « Le baiser court est infiniment plus vif et troublant que le baiser long qui est une fin en soi et c’est pourquoi la nouvelle, forme brève, séduit, à l’opposé du roman si long qu’il faut y revenir, y demeurer, et qui parle d’amour. La séduction est liée à des moments brefs, détachables et détachés du cours de l’existence, sorte de création artificielle, électrique, proche de la ré-création. Je n’en ai pas le sentiment tragique. Il est hélas de plus en plus rare d’être troublé puisqu’à l’imitation des écrits qui parlent d’écriture, les femmes, les hommes, parlent de plus en plus volontiers librement d’eux-mêmes à des fins confessionnelles. Se raconter dans l’espoir d’être guéri au lieu d’attendre d’être blessé, d’être compris au lieu d’être rapté, ne plus considérer l’autre comme un miroir, une fontaine, mais comme un analyste, aplanit terriblement le monde. 

    Dans ces circonstances il ne reste plus qu’à essayer de troubler et passer de l’état d’être séduit à celui de séducteur, activité joyeuse, non convenue, légère au sens de non pesante, qui met la durée en péril. »

     

    Florence Delay

    La séduction brève

    Collection « Comme », dirigée par Bernard Noël

    Les Cahiers des Brisants, 1987 – repris en 1997 aux éditions Gallimard

     

    Chère Florence, je garde les beaux souvenirs, chez vous à Paris, à Bordeaux, Biarritz, Saint-Étienne-de Baïgorry,  à Dax, à Madrid, autour des si doux Seins de Ramón Gómez de la Serna (le dessin que vous m‘avez donné est là, tout près), aux arènes…, nos longues conversations, votre si beau sourire, nos amis merveilleux : Michel Chaillou, Jacques Roubaud, Francis Marmande…, et tous vos livres épatants.

    Si chère Florence, vous nous manquez tellement déjà.

     

  • Kamo no Chômei, « Que le vénérable Jôzô faisait voler son bol »

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    Celui que l’on connaît sous le nom de Vénérable Jôzô*, le fils de l’auditeur Miyoshi no Kiyotsura, était un ascète exceptionnel. Sur la Montagne, il pratiquait la technique du bol et vivait donc en faisant voler son bol**, lorsque, un beau jour, celui-ci revint vide, tout seul, sans rien dedans. Jôzô jugea cela étrange, mais la chose se renouvela trois jours durant. Fort surpris, il se dit : Que peut-il bien se passer sur sa route ? Allons voir ! et, le quatrième jour, il alla se poster sur un pic, du côté où allait son bol ; or, tandis qu’un bol qui lui semblait être le sien s’en revenait des parages de la capitale à travers les airs, voilà qu’un autre bol arriva, cette fois de la direction du nord, le rejoignit, en transvasa le contenu à son profit et s’en retourna d’où il venait. Voyant cela Jôzô se dit : Voilà qui est fort troublant. Et pourtant... Puis : Qui donc peut posséder une technique qui lui permette de subtiliser ce qui est dans mon bol ? C’est le fait d’un homme considérable. Allons voir ! Grâce à des rites appropriés pratiqués sur son bol vide, il partit à sa suite, bien loin en direction du nord, se frayant une route à travers nuées et brouillard.

    Alors qu’il estimait avoir parcouru cinq à six lieues, il arriva au fond d’un vallon, dans un endroit frais et plaisant où le vent bruissait dans les pins, devant un rustique ermitage de six pieds de côté. Sur les pierres qui tapissaient les abords poussait une mousse verte, un clair ruisseau coulait près de la hutte. Il regarda à l’intérieur : un vieux moine émacié, décrépit, se tenait là tout seul ; appuyé sur son accoudoir, il lisait un sûtra. Pour sûr, se dit Jôzô, ce n’est pas un homme ordinaire. Ce qui s’est passé doit être son œuvre. Sur ces entrefaites, l’autre le vit et lui dit : « D’où venez-vous ? Comment êtes-vous arrivé ? C’est qu’on ne vient pas ici comme ça... —Voici ce qu’il en est, répondit Jozô. Je suis un ascète qui vit sur le mont Hiéi. Faute de moyens pour assurer ma subsistance, c’est en faisant voler mon bol que ces temps-ci je me consacrais à mes exercices. Or, il y a quelques jours, est arrivée une chose des plus étranges, si bien que je suis venu vous exposer mes doléances. » À quoi le moine répondit : « Je n’y comprends rien, mais cela est bien fâcheux pour vous. Je vais me renseigner » et, à voix basse, il appela. Aussitôt, de derrière l’ermitage, quelqu’un répondit et parut. C’était un gracieux éphèbe âgé de quatorze à quinze ans, vêtu d’un splendide habit à la chinoise. Et le moine de l’admonester : « Ce que me dit cette personne, serait-ce un de tes tours ? Voilà qui est de la dernière inconvenance. Que je ne t’y reprenne plus ! »

    À ces mots, l’éphèbe devint cramoisi et s’en retourna sans un mot. «Maintenant que je lui ai dit son fait, reprit le moine, il ne recommencera pas. »

    Fort troublé, Jôzô allait se retirer, quand le moine lui dit : « Venir d’aussi loin en vous frayant une route a certainement dû vous coûter bien de la peine. Veuillez attendre un moment. Permettez-moi de vous restaurer. » Et, à nouveau, il appela. Un éphèbe de même allure que le premier répondit et se présenta. « Cette personne est venue de loin. Sers-lui quelque chose qui puisse lui convenir ! » À ces mots, l’éphèbe se retira et revint avec un plat de béryl où étaient disposées quatre poires de Chine qu’il avait pelées, le tout sur un éventail en fines lattes de bois de cyprès. Invité à se servir, Jôzô en prit une et la mit dans sa bouche. D’un goût délicieux, on eût dit le nectar céleste. Il lui suffit d’en manger une pour que son corps fût rafraîchi et qu’il sentit ses forces lui revenir. Alors il reprit, à travers les nuées, le chemin du retour, mais comme la route lui avait semblé fort longue, il oublia par la suite où il était allé. Il raconta que l’ermite n’avait pas l’allure d’un homme ordinaire, qu’il devait être de la race de ceux qui, en lisant le Sûtra du Lotus, se muent en Immortels. »

     

    * Jôzô (891-964) est connu pour ses pérégrinations ascétiques et ses pouvoirs surnaturels. Son père Miyoshi no Kiyotsura ou Kiyoyuki (847-918) était un éminent lettré.

    **Les ascètes doués de facultés exceptionnelles se nourrissaient en envoyant leur bol à travers les airs mendier leur nourriture.Le bol faisait partie des dix-huit objets qu’un renonçant avait le droit de posséder.

     

    Kamo no Chômei

    Récits de l’éveil du cœur

    Traduit du japonais et commenté par Jacqueline Pigeot

    Le Bruit du temps, 2014

  • Claude Esteban, « Au plus près de la voix (extrait) »

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    « Peut-être que l’écriture qui est la nôtre nous enferme sans issue dans un espace à deux dimensions. Peut-être que la page écrite, fût-elle raturée, offerte à d’autres signes plastiques ou idéographiques, demeure un piège auquel on feint d’échapper sans jamais y parvenir. Mais si notre regard ne parvient pas à se détacher du livre et de ce qui est là consigné, il importe, du moins, que l’œil écoute, ainsi qu’il fut dit une fois, et que l’oreille s’arrache à sa torpeur. Il nous faut restituer à la voix, celle qui murmure secrètement sous le couvert des lignes, quelque chose de son tremblement, de sa teneur unique, de sa fragilité aussi bien. Par-delà ou en deçà du discours, ce réseau de significations qui ne renvoie qu’à sa propre logique, la voix est véritablement un geste de la parole, un élan vocatif tourné vers l’autre, une question ouverte, offerte au dehors. Oui, tout autant que l’apparition du visage pour Emmanuel Levinas, la voix qui se devine dans le poème, c’est encore le corps de l’autre, tel qu’il m’apparaît et qu’il sollicite de moi que je le découvre dans son altérité fondamentale, étrangère et cependant garante de ma propre identité. Le poème, ainsi entendu, au sens premier du terme, devient le lien d’un face-à-face entre le Tu et le Moi, non plus sous le signe de la défiance et de l’opposition, mais sous les espèces d’une sorte d’assentiment qu’on pourrait appeler la justice ou, du moins, la justesse de l’esprit. Et Levinas dit encore, à propos de Paul Celan, de cette marche harassante entre l’espoir et la nuit : « Comme si, en allant vers l’autre, je me rejoignais et m’implantais dans une terre désormais natale ». Sans doute est-ce là se laisser entraîner vers quelque horizon qu’on estimera par trop improbable, mais le livre qu’on ne quitte pas des yeux, le livre de poèmes, ne peut-il, aujourd’hui ou demain, redevenir cet « instrument spirituel » dont Mallarmé pressentait l’imminence ? Instrument spirituel et matériel tout ensemble : virtualité d’une musique, unisson du sensible et des signes, pierres légères sous les pas d’Orphée. »

     

    Claude Esteban

    Ce qui retourne au silence

    Farrago, 2004

  • Pascal Quignard, « Lascaux (extrait) »

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    « Chacun se fait une image caverneuse et obscure de l’intérieur de sa tête. Chacun se fait une image caverneuse et obscure du ventre maternel. La “cavité céphalique” répond à la “cave” utérine — à ce qu’on nomme pudiquement dans les romans anciens le “sein” ou le « giron”. Les grottes furent de ce fait des crânes à rêves c’est-à-dire des utérus reproducteurs des êtres dont les images étaient accrochées aux parois.

    Nuits gravides, réservoirs cynégétiques, le monde paléolithique eut peur des retours de toutes ces images du jour et de tous ces êtres pourtant massacrés ou absents que les rêves imposent au corps qui dort.

    Une des premières peurs humaines fut celle de la symétrie, c’est-à-dire la réciprocité, ou encore la rétroversion. L’arroseur arrosé. Le chasseur pourchassé par le chassé. Peur d’être poursuivi sans fin par celui qu’on poursuit sans fin. Peur du talion.

    Peu importent les mots dont j’use — puisqu’ils manquaient à ceux dont je cherche à imaginer les images.

    La culpabilité puisa dans les rêves rétrocessifs (avant même les miroirs).

    La première figuration d’un homme a été peinte à l’aide d’un flambeau sur la paroi entièrement obscure d’un puits profond au cœur d’une grotte elle-même obscure. La première image humaine enfouit physiquement dans la nuit cette peur : le tueur tué, le prédateur devenu proie.

    La rétrospection interdite.

    Interdite à la femme de Lot qui se retourne sur Sodome en flammes.

    Interdite à Orphée qui se retourne sur sa femme qui remontait derrière lui du monde des morts.

    Dans la rétrospection ce qui est fui c’est le boomerang : le retour du bâton. »

     

    Pascal Quignard

    La nuit sexuelle

    Flammarion, 2007

  • Sylvie Durbec, « W. G. Sebald, Fugue »

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    Dessin de François Ridard

     

     « Tandis que nous restons assis sous la lampe, à la table de travail, perdus dans des réflexions errantes, les livres continuent à se taire sur les étagères autour de nous. Le silence des bibliothèques, la nuit, que de rares fantômes borgèsiens visitent, la vastitude sonore de la Grande Bibliothèque évoquée par Sebald à la fin d’Austerlitz nous reviennent en mémoire. Les livres parlent la langue des existences perdues et la conservent intacte. Tout ce qu’ils racontent, tout ce sur quoi ils réfléchissent, les bombardements acharnés sur Hambourg et Dresde par exemple, tous ces lieux perdus, qu’en faisons-nous tandis que la nuit tombe et que de rares voitures passent à toute vitesse devant la maison en éclaboussant les murs de lumière ? Est-ce que je possède une seule photo de la gare de Saint Dalmas de Tende pour prouver ce que je raconte à son propos ? Ai-je à ma disposition autre chose que des fragments disparates pour tenter de raconter des histoires ? Récemment ne m’a-t-on pas reproché d’avoir une écriture trop morcelée, trop fragmentée ? Mais, ai-je eu envie de répondre, comment une femme aux origines si dispersées pourrait-elle écrire un livre d’une seule coulée, elle qui, depuis l’enfance n’a obtenu que des bribes, des éclats, des quartiers d’existences, à la manière des collages de Max Ernst où jamais une image unique n’est à l’œuvre, oui, comment? Il ne s’agit pas de se disculper. Ce que raconte Sebald de Ferber par exemple ne peut que m’inciter à reprendre la vie des Rosselini venus d’Italie pour s’installer à Marseille, des émigrants eux aussi, la course du petit chien blanc qui me poursuivit en aboyant avec férocité au sortir de chez eux dans la traverse des Polytres (je ne sais toujours pas aujourd’hui quel est le sens à donner à ce mot, Polytres) tandis que j’habitais au 18 achélème des Tilleuls, à Saint-Jérôme, dans le treizième arrondissement de Marseille, sentir aussi le goût du lait chaud et son odeur, que la religieuse servait aux enfants dans le réfectoire de l’école où je fus élève jusqu’en 1968, dans un bol en pyrex qui restait brûlant, parce que Mendès-France avait fait voter une loi pour enrayer le défaut de calcium chez les enfants nés après la guerre. Les Rosselini parlaient italien entre eux et lisaient le Corriere della Sera, ce qui me ravissait à cause des illustrations dramatiques qui se trouvaient en couverture et des mots étrangers. Que faisaient-ils en France ? Elle était couturière et lui, menuisier, Marie et Joseph en quelque sorte. Ils avaient un tout petit jardin et des poules. Où était leur Jésus ? Ils sont morts. J’ai trouvé chez ma mère une carte postale datant de l’exposition universelle à Turin, en 1911. L’homme qui écrit est désespéré, il n’a pas trouvé dans la ville le travail qu’il espérait et recommande à son destinataire resté à Marseille de ne surtout pas le rejoindre en Italie. Lui et son destinataire sont morts aujourd’hui. Était-ce un membre de la famille Rosselini ? Tous sont morts. Comme est mort le fils d’Henriette, et mon grand-père et tout le monde. Sauf moi, serais-je tentée de dire. Sauf Sebald, pourrais-je ajouter. Trois de ses livres sont sur mon bureau et j’en ai commandé deux autres chez la libraire qui les aura bientôt, apaisant ainsi ma terrible angoisse depuis que je sais que Sebald a disparu dans un accident de voiture “stupide” et qu’il n’écrira plus de nouveau livre. Dans la notice biographique qui ouvre Vertiges, il y a deux phrases bizarres. Au début il est dit que Sebald “vit et enseigne la littérature à Norwich” et un peu plus loin, que “W.G. Sebald est mort en décembre 2001”. Comme si un Sebald continuait à enseigner la littérature à l’université et l’autre, le mort, avait terminé son existence. Est-ce que ça voulait dire que si on se rendait à Norwich, on pourrait rencontrer Sebald vivant, le professeur continuant à exister tandis que l’écrivain aurait péri définitivement ? Par exemple, on pourrait le croiser marchant “à trois ou quatre milles au sud de Lowestoft”, menant ainsi la vie ordinaire d’un professeur épris de randonnées et d’érudition. Cette notice m’a plongé dans le trouble assez durablement. Pouvait-on exister et être mort en même temps, comme dormir et vivre ? Même bizarrerie dans la notice qui ouvre Les Anneaux de Saturne. Ainsi, pour moi qui le découvrais, Sebald appartenait à une espèce unique, en constant mouvement, entre la vie et la mort, entre présence et absence. Et au premier chef ses livres, qui étaient eux aussi affectés de cette ubiquité, mêlant le passé au présent, l’oubli au souvenir, une langue à une autre, un pays à un autre. Livres de marche, comme d’autres le sont de prière ou de contemplation. Depuis, j’ai appris par son éditrice, M.W., que d’autres livres existaient, non encore traduits ou sur le point de l’être, et j’en ai éprouvé un vif soulagement. Elle m’a montré un exemplaire d’un texte poétique écrit par Sebald, qui évoque un voyage en Corse, et j’ai été, pendant un bref instant, tentée d’apprendre l’allemand pour être en mesure de le lire, parce que j’avais pu déchiffrer le titre. Mais j’ai renoncé très vite. Tant de choses me retiennent, tant de choses que je n’aurais pas le temps d’accomplir ou d’achever, l’apprentissage d’une langue étant au nombre des exploits impossibles à réaliser, ce que j’ai pu constater lorsque j’ai essayé d’apprendre le portugais à cause de Fernando Pessoa et de l’Alentejo. Mais c’est une autre aventure qu’ici je veux écrire. Marcher pour une infirme de la langue est une sorte d’exploit. Marcher dans la langue-territoire de l’autre, y faire des incursions, des razzias, ramenant vers soi un butin toujours nouveau, words, words, et ensuite se fabriquer pour la route un bagage, un havresac contenant toutes les phrases de Sebald imprononçables pour moi, la vie de Grunewald after Nature, toujours écrire comme on respire, comme on ingurgite un morceau de pain quand on a faim, à la va-vite, presque trop naturellement. Et maintenant, sur le bureau de Vollezele, marcher devient de l’écriture, et du tremblement. »

     

    Sylvie Durbec

    « W. G. Sebald, Fugue »

    in Fughe

    Propos2éditions, collection « propos à demi », 2015

    http://www.propos2editions.com/1/fughe_2615364.html

  • André du Bouchet, « 15 août 1951 »

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    André du Bouchet photographié par Dora Maar, vers 1948

     

    « Une vache qui tousse dans la brume, bruit effrayant.

     

    Levé aujourd’hui à l’aurore.

    Le battant blanc. La lueur sourde gagne une à une les poutres du plafond. Je me réveille tout à fait. L’étoffe blanche allumée sur le dossier. Le jour gagne les draps défaits. Encoignures. Je tire un peu le rideau : un grand coutelas livide refoule les nuages noirs et tassés, le ciel pavé de vagues, — naissance du bleu. Une fine lame de feu s’insère à l’extrémité entre la paroi des collines et le mur de nuages. Quelques taches noires comme de l’encre se détachent sur cette lamelle — arbres. La terre décolle. Changement d’aiguillage. L’heure où les sphères qui s’emboîtent se descellent. La ligne de suture est visible. La soudure. Heure éternellement brûlée par le sommeil, taie de l’homme.
    J’ouvre la porte. Cette étrange lueur sourde, blancheur aveugle, sans éclat, gagne le pas de la porte. Il faut dire qu’il n’y a pas de cris. Je peux voir le point d’attache du soleil qui monte à droite de la maison.

    Falaise — les larmes me viennent presque aux yeux devant cette petite valve de feu dépassant la terre qu’a dû si souvent voir Reverdy. “Le spectacle le plus émouvant qu’offre la Nature” — Règle de feu. Je marche droit dans la tête sourde. Marche à pas de loup. Peur d’être dévoré par les chiens. Mais je n’entends aucun aboiement. Le ciel est piqué de cris d’oiseaux invisibles. Cris des oiseaux dans la rosée. Espadrilles mouillées. Au retour, une vache tousse. Ce n’est pas la lumière de la réalité. Ce brasier dévore le ciel, sans crépiter. Il s’avance comme un planeur. On dirait qu’on est sorti de la terre. La terre somnambule. En raison de cet engourdissement total si bien perdu dans le jour brutal où j’écris maintenant. La lueur qui filtre à peine du sol, et les pierres blanches du chemin. On voyait un point lumineux, le roulement d’une voiture à l’autre bout du monde, à l’extrémité de la plaine. Quand la terre devient comme de la laine — dont quelques brins flambent. Peut-être devient-elle ainsi plus assimilable, colle-t-elle mieux à la tête. Quand il n’y a pas de mouches, pas de chaleur. Quand elle est sourde. Avant que la terre ne grésille. L’homme ôté. Qui à cette heure habituellement dort.

    Trois nuages vaporeux flottaient au-dessus de la Seine, bien plus bas.      Je voulais mourir, avant de me lever. Je ne pouvais plus supporter l’idée de recommencer la journée. Mais il faut vivre pour voir l’aurore — la terre descellée.

    Je me suis assis sur un rocher habituellement écrasé par le jour. Rocher trempé d’aurore. Maculé de ces taches de feu vif orange qui éclaboussent l’horizon. Lichen encore visible le jour, comme ces végétations marines, adhérant aux roches qui attendent l’heure de la marée pour s’épanouir. Un champ de nuages collait au même rocher, de disques noirs et blancs enchevêtrés, durement échoués comme des tas de nuages pavés, durement tassés, écrasés les uns contre les autres, très bas. Le plafond bas du ciel. L’écorce du ciel qui se fendille. Le rocher brillait extraordinairement. Comme un bloc de ciel. Criblé de lichen orange. Dans le village, au départ, Pierraille

    pan de pierres écoulées. Mur dur sourd aveugle au-dessous du bol de feu, muet, de la grande tasse d’eau de l’aube.

    Le soc rougi qui laboure la terre.

    Lumière aigre de la première lampe au fond de ce village

                                                               au centre des toits.

    On ne croira pas à ce cauchemar tant qu’on reste éveillé et il faut pourtant se réveiller

                           s’arracher tout vif au sommeil pour rester vivant il faut imaginer la réalité. On ne peut pas voir la réalité. On ne peut pas voir la réalité sans l’imaginer. »

     

    André du Bouchet

    Une lampe dans la lumière aride — carnets 1949-1955

    Éditions établie et préfacée par Clément Layet

    Le bruit du temps, 2011, réédition 2023

    https://www.lebruitdutemps.fr/boutique/produit/une-lampe-dans-la-lumiere-aride-85

  • Michèle Desbordes, « Les Petites Terres »

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    © Vincent Fournier

     

    « […] Il y aura ce que nous avons été pour les autres, des bribes, des fragments de nous que parfois ils crurent entrevoir. Il y aura ces rêves de nous qu’ils nourrirent, et nous n’étions jamais les mêmes, nous étions chaque fois des inconnus magnifiques qu’ils inventaient, ces idées de nous telles des ombres fragiles dans de vieux miroirs oubliés au fond des chambres, et qui ajoutées à nos propres rêves, nos propres et inlassables tentatives de nous-mêmes, composeront durant quelques années encore de la vie sur cette terre cette étrange et brillante, et croirait-on inoubliable mosaïque, où rien, ni personne ne permettra de dire vraiment qui nous fûmes, et le jour viendra où disparaîtra jusqu’au dernier de ces souvenirs et de ces rêves, de ces idées de vie, et il n’y aura plus nulle part, pas même dans les livres que parfois nous écrivîmes, où chercher ce que nous fûmes. Qu’aurons-nous donc été et pour qui ? Et combien de créatures, combien d’ombres cheminant les unes près des autres dans la lumière des crépuscules, ces cortèges silencieux et recouverts de poussières des fins de jour ? Et qui jamais comprendra ? »

     

    Michèle Desbordes

    Les Petites Terres

    Verdier, 2008

    https://editions-verdier.fr/auteur/9968/

     

    Vient de paraître, à l’initiative des Amis de Michèle Desbordes, un fort et passionnant volume qui lui est consacré, publié aux éditions Le Silence qui roule, par les bons soins de Marie Alloy – des très beaux textes/témoignages de Lionel Bourg, Michelle Devinant Romero, Jacques Mény, Jean-Pierre Petit, Marie Alloy (qui, en outre, scande l'ensemble de ses gravures & peintures), Marieke Aucante, etc.

    On peut se le procurer soit en adhérant à l’association,

    https://lesamisdemicheledesbordes.wordpress.com/category/contributions/

    soit en le commandant à l’éditeur, https://www.lesilencequiroule.com/

  • Edmond Gilliard, « Carnet de la huitantaine »

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    Edmond Gilliard, photographié par Oscar Cornaz

     

    « […] La catastrophe terrestre. J’en sens l’annonce de toute part. D’où cette impérieuse quête du “sauf” que m’assure comiquement le Point. J’ai peine à rentrer, de là, dans les cercles du terrestre sans avoir à essuyer la traversée de quelques cyclones nerveux. J’apporte de l’ouragan qui s’est collé au passage. Je ne sais pas encore assez couvrir ma rentrée. Je laisse l’irritation percer la protection avisée du silence. À la veille de mes quatre-vingt-trois ans me voici égaré en pleine brousse de l’éventuel. Où est le chemin de mon lit ? où est le chemin de ma table ? Quelle place pour mon corps, quel lieu pour ma tête, quelle poignée de porte pour ma main ? J’ai ma besace de viatique pendue au col ; où trouver un coin de feu pour ma gamelle ? (… Et pourtant j’ai la paix. Je ne le répète pas pour m’en assurer. Je la retouche toujours…)

     

    Il y a des moments où j’en veux farouchement à mon corps de son inévitable destin de cadavre. Une horreur d’être couché avec lui, d’être avec lui dans mon lit. Je regarde mes mains. Je les vois mortes: “Non, non ; vous ne pouvez pas me faire ça !” — “On t’en rendra d’autres.” — “Oui, mais celles-ci, celles-ci ! Les seules miennes en cet instant… Mes mains d’aujourd’hui !”

     

    La mort, même s’il ne s’en faut que de quelques minutes, ça doit être jeté — rejeté — à demain. Tant que c’est de l’aujourd’hui, c’est du vif, en fonction de service. Imaginer mes mains mortes, c’est commettre un acte contre nature, tant que je puis bouger mes doigts et percevoir le toucher.

    Il faut me laver les mains de la mort. Je veux mourir les mains propres. […] »

     

    Edmond Gilliard

    Carnet de la huitantaine

    Éditions des Trois collines, 1960

     

    Je ne connaissais nullement Edmond Gilliard, ni le nom, ni le travail, jusqu’à ces jours derniers. C’est mon cher Jacques Roman qui dans son nouveau et puissant livre — Du désarroi et de la colère (j’y reviendrai) — en fait mention. Je me suis illico procuré le livre cité. Voilà le travail, vraiment particulier.

    Bonne lecture.

    Edmond Gilliard, né à Fiez-sur-Grandson le 10 octobre 1875 est mort le 11 mars 1969 à Lausanne. Écrivain, critique et enseignant il a publié une vingtaine de livres, aussi bien des poèmes que de la philosophie, des pamphlets, journaux etc.  

  • Un autre monde : Claude Chambard

    Les livres occupent chaque recoin de la maison, entassés, rangés. La bibliothèque est un palais. Nous sommes attablés dans la salle à manger. Le café est chaud. Je sais déjà que je ne pourrai pas tout raconter de cet amour des livres qui rend cet homme si vivant, son regard si brillant et son rire si clair. Claude Chambard est un insatiable lecteur. Un lecteur veilleur et généreux.

    Propos recueillis par Lucie Braud

     

    Vous souvenez-vous du premier livre que vous avez eu entre les mains ?

    Claude Chambard : Je m’en souviens et je l’ai toujours. Tout ce qui était à moi a pourtant disparu lorsque ma grand-mère a vendu la maison de famille. Par un extraordinaire hasard, ce livre a survécu et je l’ai retrouvé après sa mort. C’est ma marraine qui me l’avait acheté à la Noël 1954 qui précéda mon entrée au cours préparatoire : Histoire de Monsieur Colibri (Gründ, écrit par Marcelle Guastala et imagée par Suzanne Jung, 1947). […]

    La suite de cet entretien dont m'honore Lucie Braud est ici http://1autremonde.eu/project/claude-chambard/

    accompagné trois lectures audios de brefs extraits, par mes soins, de Vie secrète de Pascal Quignard, L'Orphelin de Pierre Bergounioux & Les Corps vulnérables de Jean-Louis Baudry & d'une poignée de photographies prises par Lucie de ma bibliothèque avant son rangement dit "du confinement".

    Bonne lecture & mille mercis à Lucie Braud & à son association L'Autre monde.

     

  • Thérèse d’Avila, « Livre de la vie »

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    « 26. Elle s’afflige de s’être souciée naguère du point d’honneur et d’avoir commis l’erreur de croire que ce que le monde appelle honneur était honneur ; elle voit là un énorme mensonge dont nous sommes tous dupes. Elle comprend que le véritable honneur n’est pas menteur, mais vrai, car il estime ce qui est estimable et tient pour rien ce qui n’est rien : tout n’est en effet que néant, et encore moins que néant tout ce qui passe et ne plaît pas à Dieu.


    27. Elle rit d’elle-même, du temps où elle faisait cas de l’argent et le convoitait ; pourtant, jamais vraiment sur ce point, elle croit n’avoir eu à confesser de faute ; mais en faire cas était déjà une faute grave. S’il pouvait servir à acheter les biens que je vois maintenant en moi, je l’estimerais fort ; mais l’âme voit que ces biens s’obtiennent en renonçant à tout.

    Qu’achète-t-on avec cet argent que nous désirons ? Est-ce une chose de prix ? Une chose durable ? Et dans quel but la désirons-nous ? C’est un bien triste repos que nous recherchons et qui nous coûte fort cher. Bien souvent il nous procure l’enfer et l’on achète un feu éternel et une peine sans fin. Oh, si tous les hommes jugeaient sa possession comme celle d’une terre ingrate, quel accord régnerait dans le monde, que de tracas on s’épargnerait ! Comme nous vivrions tous en bonne amitié, si les intérêts qui naissent de l’honneur et de l’argent venaient à disparaître ! Je crois que toutes choses trouveraient remède. »

     

    Thérèse d’Avila

     Livre de la vie

     Traduit par Jean Canavaggio

     in  Thérèse d’Avila — Jean de la Croix, Œuvres

    Bibliothèque de la Pléiade, 2012

  • Lucrèce, “Au cœur des ténèbres…”

    Lucrece.jpg“Au cœur des ténèbres nous voyons ce qui est dans la lumière : car l’air le plus proche, assombri par cette noirceur, et qui est entré le premier dans nos yeux, qui a envahi cette place ouverte, est talonné et rejoint par un air porteur de feux, air lumineux qui purge nos yeux de ces ténèbres et dissipe les noires ombres antérieures ; air plus mobile, aux particules plus nombreuses, plus déliées et, par là, plus puissant. À peine a-t-il empli de lumière les canaux de nos yeux, à peine a-t-il rendu la liberté à ceux qu’assiégeait un air ténébreux, qu’aussitôt, à sa suite, arrivent les simulacres des objets situés dans la lumière, qui peuvent alors assaillir notre vue. Et si, inversement, nous sommes incapables, en pleine lumière, de percer l’intérieur des ténèbres, c’est que l’air plus épais qui s’amasse derrière le jour emplit les canaux des yeux et obstrue tous les accès offerts à la lumière, empêchant l’émission des simulacres d’émouvoir notre vue.”

    Lucrèce “Simulacres et illusions”,

    in La nature des choses

    Traduit du latin par Chantal Labre

    Arléa, 2004

     

  • Lettre à Monsieur Besson

    Les élections approchent. Il est grand temps d’agiter l’épouvantail de l’invasion barbare, de ressouder la Nation derrière des velléités fumeuses! Trois piliers nous semblent fonder la notion d’identité nationale en France : Liberté, Egalité, Fraternité. Ces trois symboles sont sérieusement mis à mal, Monsieur Besson, par le gouvernement auquel vous appartenez, après une volte-face qui en dit long des convictions politiques qui furent les vôtres. En effet, il y a une indécence des Privilèges dans ce pays, qui s’est trouvée confortée par le fameux bouclier fiscal qui n’empêche nullement la régression économique et le “Casse-toi pauvre con!”, fameux lapsus qui est la marque d’un mépris profond de l’idéologie de droite vis-à-vis des classes populaires. Nous passerons sur les dérapages racistes, les blagues de certains membres de votre majorité. Cela, souvent bien enfoui dans la Mémoire collective, prompte à dénicher les boucs émissaires d’aujourd’hui et de demain. L’histoire ne serait donc jamais donneuse de leçons !
    J’ajouterai un quatrième pilier qui nous apparaît comme fondamental: celui de la laïcité, bafouée depuis des lustres,  et de plus en plus,  par votre gouvernement dont la politique va accroître la ghettoïsation sociale. La première injustice est celle du logement, du travail. Depuis longtemps, dans la réalité, les enfants des classes populaires n’ont pas les mêmes chances de réussite scolaire que les enfants des classes sociales supérieures qui vous soutiennent électoralement, même si elles ne sont pas les seules. On assiste aujourd’hui à un apartheid scolaire progressif, reposant sur le fait social, économique et religieux. En effet, tout petit, institutionnellement, on sépare les enfants qui n’ont rien demandé, eux. Ecole privée traditionnelle, catholique, juive, musulmane désormais, école où les enfants ne doivent pas être mélangés, ainsi en ont décidé les adultes, appuyés par une politique discriminatoire. Les écoles de la République devenant peu à peu des ghettos que vous aurez tout loisir de dénoncer à l’avenir, après avoir bradé l’école républicaine.
    Est-ce de cette façon là que vous voulez fonder l’Identité nationale?
    En outre, les forces sociales qui sont votre fer de lance (à de rares exceptions): industriels, financiers de tous bords, prédateurs aux visages invisibles, ne craignent pas de délocaliser, de spéculer, jetant les personnes dans la grande misère, l’angoisse, la tragédie. Quel est leur souci de l’intérêt national ? N’ont-ils pas plutôt souci de leurs intérêts privés ? En 1936, ces forces là clamaient déjà, Plutôt Hitler que le Front populaire. Ce sont les mêmes forces qui sont avec vous, aujourd’hui, accusant, au fond, les pauvres, les immigrés, plus largement les étrangers, de mettre à mal cette identité nationale que vous semblez tant chérir avec eux, tous ceux là qui s’abreuvent à l’esclavage moderne, embauchant les sans-papiers, sortes d’êtres virtuels, sans existence de chair, d’os et d’esprit: les Noirs, les Arabes, les Afghans, etc. Vous le savez, votre politique d’exclusion, d’expulsion, est un panier percé. Mais, sur le plan électoral, elle peut s’avérer féconde. C’est sans aucun doute cela qui fait s’agiter votre gouvernement, lui suggérant de faire resurgir les vieux démons pétainistes, cajolant les agriculteurs que le système capitaliste jette dans une impasse tragique, en conduisant un grand nombre au suicide.

    L’histoire nous rappelle que des étrangers, les classes populaires ont souvent tout donné au moment sombre de notre histoire pour défendre la Patrie. Manouchian, par exemple, auquel rend hommage en ce moment un film de Robert Guédiguian. De quel côté était le Patronat français, Monsieur Besson, en 1939 ? Cessez donc de  faire glisser  le débat sur l’Identité Nationale sur un versant ethnocentrique, stigmatisant une nouvelle fois les Métèques. Prenez garde, cela est un brûlot. La seule identité que nous nous reconnaissons, c’est celle qui fait de chaque citoyen un homme libre, égal aux autres, fraternel. Nous sommes en effet loin du compte car la politique de casse sociale, culturelle, qu’applique avec soin, cynisme et arrogance, votre gouvernement,  nous entraîne, dans les faits, aux antipodes. Notre espoir est que s’oppose à vos projets un mouvement massif et pensé, en mesure d’inventer autre chose que la fatalité désastreuse du capitalisme financier qui n’en a pas fini de tenter de nous faire avaler la couleuvre de la crise. La crise, pour qui, Monsieur Besson, pour les enfants gâtés de la République dont vous êtes ?
    Oui, nous devrons inventer un autre monde si nous ne voulons pas que naissent d’autres barbaries. Pas seulement dans le verbe mais dans les actes. L’identité nationale est mise en péril par l’injustice sociale, ce que votre gouvernement n’admettra jamais puisque,  pour lui,  les intérêts de classe sont une vieille lune
    L’avenir nous le dira. En tout cas, je ne me reconnais pas dans cette Identité Nationale que vous pensez refonder. Pourtant, je me sens français tout autant que vous.

    Joël Vernet, écrivain

    Dernier livre paru : le Séjour invisible

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    Dès son premier livre, Joël Vernet tentait de répondre à la violence du monde par la recherche éperdue des sensations de l’enfance. Il ne peut se résoudre à accepter les coups portés à la beauté et à l’innocence.

    Ce nouveau livre a pour cadre la maison de l’enfance, les terres isolées de la Margeride. L’auteur y est réfugié et, tout en se livrant au courant des jours, il évoque les visages et les voyages qui ont jalonné sa vie. La figure du père, le grand "absent", la figure mythique de Rimbaud, la petite gitane qui envahit l’espace et la mémoire... C’est un voyage immobile, rythmé de temps de contemplation et de temps de réflexion, au cours duquel l’auteur ne cesse de s’interroger sur l’utilité, la portée, la sincérité des mots écrits ou parlés.

    14X21 ; 15 € ; ISBN 9782356080134 ; EAN 9782356080134

    L'Escampette, B.P. 7 - 86300 Chauvigny

    Diffusion/distribution : Les Belles lettres