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claude chambard

  • Alexis Pelletier, « et s’il s’agissait plutôt… »

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    et s’il

    s’agissait plutôt de

    traquer quelque chose dans l’écriture

    quand le monde court à sa perte

    j’y reviendrai plus loin

    c’est le bel aujourd’hui

    parce qu’il n’y a pas d’autre urgence

    les hirondelles disparaissent elles sont

    déjà mortes alors que dans la mascarade

    tu sais

    mais qui es-tu ritournelle etc.

    qu’il n’y a pas que cela

    et que

    ce

    pas que cela

    est difficile

    à

    préciser quelque

    chose de tes

    mains tes seins

    Pussy Riot à saisir au

    milieu de la nuit ou le

    souvenir de toutes celles et ceux

    qui accompagnent depuis

    l’absence

    au bord du rien.

    sous rien.

    dans un temps incertain.

    dit Claude Chambard dans Carnet des morts

    avec l’écart si minime du mot à

    la mort est-ce cela

     

    Alexis Pelletier

    D’où ça vient

    Tarabuste, 2022

     

    Carnet des morts, le Bleu du ciel, 2011

     

  • « le matin, qui dans nos yeux »

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    Pour Grand-père, pour le 22 décembre 1971

     

     

    « Dit : le matin, qui dans nos yeux se fane pour devenir un midi qui tranche la journée en deux parts, est ce petit répit entre la nuit & le jour, entre tous les gestes obligés du quotidien. Il développe, à son insu sans doute, une infusion de sucs qui rafraîchissent les gorges longtemps fermées par le sommeil, une présence plus affutée, plus subtile, plus ample, réveillant une envie parfois de tout lâcher pour s’engloutir dans un vide qu’on imagine apaisant, d’ici, depuis notre berge instable. Oui, instable, dit-il, inquiet d’être instable, nous l’étions toujours, & moi en particulier. Je me demandais comment vivait le monde, lointain, inexploré, c’est-à-dire inconnu. Dans le livre de géographie à la couverture cartonnée, verte, il y avait des cartes du monde entier, par continents, pays par pays & de nombreux espaces blancs car personne n’en était revenu afin d’en dresser la carte. Ces îles mystérieuses au sein de l’océan du monde, étaient à la fois inquiétantes & donnaient envie d’aller y voir de plus près. Regarder, que dis-je, scruter les cartes de mon livre de géographie ­— j’avais bien demandé une mappemonde au Père Noël mais je ne l’ai jamais trouvée dans mes petits souliers —, était une de mes plus prenantes occupations. Je ne voyais plus le temps passer, penché sur ces espaces prodigieux & pourtant je n’avais nulle idée de voyager. Le plus lointain voyage que j’avais jamais fait, & c’était une expédition, était celui de Dijon, deux fois l’an, à la fin de l’été et au début du printemps, pour nous procurer, en famille, les grandes affaires que le petit bazar du village ne proposait pas, lui qui vendait disait-il pourtant de tout & surtout pas grand-chose. Ainsi, chaussures, vêtements, couvre chefs, maroquinerie, & le passage inévitable chez Mulot & Petitjean, place Bossuet, dans l’Hôtel Catin de Richemont, avec ses beaux colombages rouges, où nous nous procurions les grandioses pains d’épices au froment & aux goûts & parfums mystérieux & enivrants, les nonnettes les plus délicieuses qui soient — nulles autres, même celles de la Mère n’arrivaient à cette onctuosité, elles étaient bonnes mais c’était autre chose —, les glacés minces au si joli dos blanc, les gimblettes aux fruits confits, les croquets aux amandes, puis juste avant de reprendre la patache, Papa se précipitait chez L’Héritier-Guyot pour se fournir en crème de cassis, sans laquelle la vie aurait été bien sinistre, disait-il la moustache & l’œil humides.

    Oui, vois-tu, dit l’Aîné, voyager était un concept qui ne me traversait pas l’esprit. Je n’imaginais pas, alors, que pourtant j’en verrai des sacrément grands bouts du monde.

     

    Marcher le long de la rivière, grimper la colline, aller jusqu’au cimetière pour rendre visite aux ancêtres. Longer les vignes, les tailler avec infiniment de patience, faucher avec la fratrie & le Père, sous l’œil sévère de la mère, engranger le blé, l’avoine, les fourrages, cueillir aux saisons les fruits, ramasser ceux à terre, les ranger sans les taler dans les hottes & les paniers en osier, soigneusement empilés dans la carriole & les brouettes que nous tirions & poussions, du verger sur la route de Lux — celui où nous allons encore — jusqu’à la maison, se rendre en procession chez les cousins à Gemeaux où est la fontaine aux secrets, voilà ce qu’étaient les voyages que j’aimais & qui occuperaient, pensais-je, dit l’Aîné, toute une vie. »

     

    Claude Chambard

    Entrelesdeuxrivières

    Travail en cours, 2022

  • Claude Chambard, « le matin, qui dans nos yeux se fane… »

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     Pour Grand-père, pour le 22 décembre 1971

     

    « Dit : le matin, qui dans nos yeux se fane pour devenir un midi qui tranche la journée en deux parts, est ce petit répit entre la nuit & le jour, entre tous les gestes obligés du quotidien. Il développe, à son insu sans doute, une infusion de sucs qui rafraîchissent les gorges longtemps fermées par le sommeil, une présence plus affutée, plus subtile, plus ample, réveillant une envie parfois de tout lâcher pour s’engloutir dans un vide qu’on imagine apaisant, d’ici, depuis notre berge instable. Oui, instable, dit-il, inquiet d’être instable, nous l’étions toujours, & moi en particulier. Je me demandais comment vivait le monde, lointain, inexploré, c’est-à-dire inconnu. Dans le livre de géographie à la couverture cartonnée, verte, il y avait des cartes du monde entier, par continents, pays par pays & de nombreux espaces blancs car personne n’en était revenu afin d’en dresser la carte. Ces îles mystérieuses au sein de l’océan du monde, étaient à la fois inquiétantes & donnaient envie d’aller y voir de plus près. Regarder, que dis-je, scruter les cartes de mon livre de géographie ­— j’avais bien demandé une mappemonde au Père Noël mais je ne l’ai jamais trouvé dans mes petits souliers —, était une de mes plus prenantes occupations. Je ne voyais plus le temps passer, penché sur ces espaces prodigieux & pourtant je n’avais nulle idée de voyager. Le plus lointain voyage que j’avais jamais fait, & c’était une expédition, était celui de Dijon, deux fois l’an, à la fin de l’été et au début du printemps, pour nous procurer, en famille, les grandes affaires que le petit bazar du village ne proposait pas, lui qui vendait disait-il pourtant de tout & surtout pas grand-chose. Ainsi, chaussures, vêtements, couvre chefs, maroquinerie, & le passage inévitable chez Mulot & Petitjean, place Bossuet, dans l’Hôtel Catin de Richemont, avec ses beaux colombages rouges, où nous nous procurions les grandioses pains d’épices au froment & aux goûts & parfums mystérieux & enivrants, les nonnettes les plus délicieuses qui soient — nulles autres, même celles de la Mère n’arrivaient à cette onctuosité, elles étaient bonnes mais c’était autre chose —, les glacés minces au si joli dos blanc, les gimblettes aux fruits confits, les croquets aux amandes, puis juste avant de reprendre la patache, Papa se précipitait chez L’Héritier-Guyot pour se fournir en crème de cassis, sans laquelle la vie aurait été bien sinistre, disait-il la moustache & l’œil humides.

    Oui, vois-tu, dit l’Aîné, voyager était un concept qui ne me traversait pas l’esprit. Je n’imaginais pas, alors, que pourtant j’en verrai des sacrément grands bouts du monde. »

     

    Claude Chambard

    Entrelesdeuxrivières

    Travail en cours, 2021-2022

  • Claude Chambard, « dans le milieu du chemin de la vie », une lettre à Christophe Manon à propos de son « Provisoires », aux éditions Nous, 2022

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    Christophe Manon & Sophie Chambard,

    Provisoires, 6 exemplaires, Collection Le singulier imprévisible, octobre 2018

     

     

    Cher Christophe,

    ah ce livre de ta grande & belle & vraie & pure maturité

    c’est toi, ce livre, c’est nous, longtemps il travaille

    & fermente heure après heure — il lève —

    longtemps, il nourrit, protège

    & nous aime — ses amis

    cette amitié, ah, cet amour, cette grâce — tu l’as —

    les voici données — l’amour est si féminin,

    toujours on peut le conjuguer, l’accorder,

    le recevoir & l’offrir comme ceci —

    il n’y a pas de dernier, ni de premier, il y a le poème

    en pleine page, en plein cœur —

    blanc de soleil si brillant —

    aimer, il le faut, il faut l’aimer

    il faut aimer, poursuivre un matin,

    c’est un matin

    craignons le soir

    c’est le temps — à tous les temps, tu sais —

    fugitif, tu dis : provisoire(s)

    sans impatience, encore vivant(s), provisoire(s),

    sous la pierre,

    nous y parviendrons

    & nous chasserons ce qui dans le vivant fait le mort

    — & l’inverse —

    dans le milieu du chemin de la vie

    ici, au plus plein de nos cœurs —

    enfin vers les beaux yeux je reportai mes yeux

    ce mystère au cœur entre les effacements

    puisque c’est à grande vitesse

    & qu’à peine en fleurs les fruits,

    à la porte si blanche,

    fondent ton poème dans le jardin si frais

    — extrême & lumineux —

    chaque page, chaque vers, chaque mot,

    effet de loupe pour nous dire, au plus près,

    notre histoire / les morts

    cette poignante histoire, oui, qui est la nôtre

    comme tu sais depuis toujours déjà

    & ces soupirs qui s’échappent des livres de nos ancêtres

    qui par notre entremise se portent à l’ombre de nos vergers,

    au cœur de nos jardins — la nuit effaçant la nuit

    qui efface le jour qui est notre ultime demeure

    — une pâture de vent nouvelle

    puisque ton livre est une merveille

    qui s’est détachée de tout pour n’être que toi

    — que de toi —

    pour nous

     

    Ton vieil ami, Claude

     

    Christophe Manon

    Provisoires

    éditions Nous, 2022

    https://www.editions-nous.com/manon_provisoires.html
  • Une vie de Maurice Romain C.

    maurice lucien chambard

    La fleur rouge, la fleur orangée, fleurs de saison dans le vase bleu entre les oreilles d’ours, près de l’envol des papillons dès que la chaleur est suffisante, tu sais, autour de la table bourguigno-marocaine, imaginée par l’homme à la casquette qui, chaque matin, allumait la forge comme il se rasait, sans vraiment y penser, deux guerres, la marine, les Dardanelles, le gaz moutarde, le rugby à XIII & le croquet, le football & l’opérette à la TSF, il pêchait le long du canal de Bourgogne, de l’Armençon, de l’Ignon & de la Tille, comme il n’aimait pas mentir, il s’efforçait de ne pas voir ce qui le peinait, ça prenait du temps car c’est pire que nettoyer les écuries d’Augias

     

    une vie de Maurice Romain C.

    24 février 1890 — 22 décembre 1971

     

    Claude Chambard, pour Grandpère, depuis 50 années

    inédit, extrait de Un matin, en cours

     

  • Un matin, un ami…

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    Pascal Quignard & Aline Piboule, église saint-Michel-de-Montaigne, 29 août 2020 © cchambard

     

    pour Pascal,

    ce 23 avril 2021

     

    Un matin, un ami, vers un ami le chemin n’est jamais long puisqu’il est simplement un morceau vivant de soi-même, l’ami on le voit chaque jour, dans les livres & dans les rêves, dans les yeux & dans l’oreille on l’entend depuis l’origine, c’est un ami depuis la plus petite enfance quels que soient nos âges nous nous connaissons toujours déjà, quelles que soient nos langues, quels que soient nos lieux – le lieu de l’amitié est un kraal, dans ce kraal dort l’ami, dans ce kraal l’ami écrit, dans ce kraal, qui est un pays sans langage, la nuit n’est jamais obstinément noire, c’est le lieu de la vie vivante où partager la vie secrète qui a la couleur & le parfum des mûres

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Un autre monde : Claude Chambard

    Les livres occupent chaque recoin de la maison, entassés, rangés. La bibliothèque est un palais. Nous sommes attablés dans la salle à manger. Le café est chaud. Je sais déjà que je ne pourrai pas tout raconter de cet amour des livres qui rend cet homme si vivant, son regard si brillant et son rire si clair. Claude Chambard est un insatiable lecteur. Un lecteur veilleur et généreux.

    Propos recueillis par Lucie Braud

     

    Vous souvenez-vous du premier livre que vous avez eu entre les mains ?

    Claude Chambard : Je m’en souviens et je l’ai toujours. Tout ce qui était à moi a pourtant disparu lorsque ma grand-mère a vendu la maison de famille. Par un extraordinaire hasard, ce livre a survécu et je l’ai retrouvé après sa mort. C’est ma marraine qui me l’avait acheté à la Noël 1954 qui précéda mon entrée au cours préparatoire : Histoire de Monsieur Colibri (Gründ, écrit par Marcelle Guastala et imagée par Suzanne Jung, 1947). […]

    La suite de cet entretien dont m'honore Lucie Braud est ici http://1autremonde.eu/project/claude-chambard/

    accompagné trois lectures audios de brefs extraits, par mes soins, de Vie secrète de Pascal Quignard, L'Orphelin de Pierre Bergounioux & Les Corps vulnérables de Jean-Louis Baudry & d'une poignée de photographies prises par Lucie de ma bibliothèque avant son rangement dit "du confinement".

    Bonne lecture & mille mercis à Lucie Braud & à son association L'Autre monde.

     

  • Un matin, simplement un matin

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    © Sophie Chambard

     

    pour fêter l’anniversaire de Sophie, ce 30 janvier

     

    Un matin, simplement un matin, frais, un peu ensoleillé, les oiseaux sont de la partie, l’enfant est vivante, elle fait des petits baisers avec ses petites mains potelées & son petit sourire transperce la bêtise & la méchanceté, tu sais, elle dit les mots d’amour, elle dit framboise & pistache d’Égine, elle mâche lentement, on pourrait croire qu’elle déguste déjà ses souvenirs, elle ne pleure pas ou alors lorsqu’il n’y a personne, elle rit souvent en regardant les papillons aller de fleur en fleur, aspirant les sucs qui arrondiront son ventre, elle parle de vie, ce n’est pas facile une vie, elle sait déjà que c’est une tâche très ardue qui nécessite que l’on partage la grâce du chat qui s’étire

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Un présent,

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    © : cchambard

     

    pour mon merveilleux filleul Valère,

    ce 12 décembre 2020

     

    Un présent, enveloppé dans un papier d’hier, que l’on utilisera demain, un présent, c’est l’enfance qui revient, c’est un jour sans brouillard, une soupe sans caillou, de la neige à Noël — Pâques aux tisons, Noël au balcon —, c’est dormir tout habillé & se réveiller frais comme un nouveau baptisé, s’endormir comme un saint & se réveiller comme un diable, un présent c’est une promenade au bord du canal, sa petite main dans une bien large & rassurante, croiser péniches & boulonnais sans changer d’époque, cueillir des fruits mûrs sur des arbres généreux de toute éternité, c’est le texte bienvenu avant même d’avoir été écrit

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Je rêve de trouver, un matin…

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    Shi Tao, vers 1700

     

    pour fêter l’anniversaire de mon ami Tristan Hordé,

    ce 6 décembre 2020

     

    Je rêve de trouver, un matin, le journal intime du merle & à l’hiver celui de son ami le rouge-gorge – le rossignol chante trop pour avoir le temps de noter quoi que ce soit, il est déjà ivre de lui-même –, ce serait comme un voyage au monastère du Dragon Bleu, le style en serait leste & sans mauvaise contrainte, dix mille mots y bâtiraient quelques phrases essentielles, je ne divulguerais rien, même sous la torture, comme il est d’usage de dire, le merle est un frère des coteaux du sud, le rouge-gorge des coteaux du nord, leurs journaux, ceux qui m’intéressent, disent les embuscades & les tranquillités du jardin & des forêts de la Chique

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

     

  • Un matin, dévaler encore…

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    pour fêter l’anniversaire de mon ami Lambert Schlechter,

    ce 4 décembre 2020

     

    Un matin, dévaler encore, la page & la vie, descendre le pichet de vin du vieux Li Po avec l’ami Shen Fu, toujours boire avec un compagnon & chanter avec lui dès que la lune se lève pour égayer le ciel sans limite comme l’amitié, loin de notre pays natal, vieux camarade, nous essayons de ne pas laisser la tristesse nous envahir, il fait frais, allumons le vieux poêle, le cœur est voyageur, d’est en ouest, de rivière en rivière, cette douceur de vivre près des vignes, tout à côté des forêts, nous avons marché longtemps, songeant à nos amis éparpillés qui sont enfin rentrés chez eux, nos livres se confondent, c’est la voix qui est l’identité du poème

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • David Collin, « Vers les confins »

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    DR

     

    Cartographie des espaces cachés


    « La ville participe aux rêves exploratoires des espaces cachés. La phrase est une énigme. Tracée par un dormeur qui cartographie sa mémoire. Voyageant sur les plans superposés de villes d’ombres et de cités parcourues, le rêveur interprète la nuit ce que les villes lui révèlent dans les images du jour. Par apparitions successives. Tel un détective qui sait lire dans les visages comme dans les haussements d’épaules, les légères inflexions d’une nuque, le rêveur enquête et rêve à tout moment. De jour comme de nuit, il marche dans la ville, se nourrit de ce qu’il voit, de ce qu’il ne voit pas encore. Que voit-il ? Ce que personne ne regarde : fissures et lézardes, ce qui passe au loin, ce qui apparaît dans l’horizon, les détails insignifiants d’un toit, d’un chemin, l’accumulation des regards au coeur du trafic, les affiches arrachées, la présence d’objets incongrus, l’annonce d’un bouleversement infime, les mouvements chorégraphiés des passants, des gestes minuscules aux grandes enjambées, les respirations des foules, une infinité de petits évènements qui constituent la vie d’un lieu, et des innombrables lieux qui composent la ville, les plis et replis de sa propre mémoire.

    Je suis le rêveur. Je marche éveillé et somnambule, les yeux grands ouverts sur les images qui se ressemblent et s’additionnent. Les déjà-vus se répondent, les signes s’entrecroisent et disent l’inaperçu des cités, le sens caché de nos inquiétudes.

    Indices, graphes élimés, traces de mots brisés, les affiches des villes étrangères offrent quelques-uns des puzzles et des messages les plus mystérieux qui soient. Les agrégats de papiers à moitié déchirés répètent sur mille façades leurs slogans tronqués. J’y cherche quelques ressemblances, quelques signaux m’indiquant la carte secrète d’une ville que j’ai peut-être déjà en moi.

    Les murs parlent, les affichent s’étiolent. Seules subsistent les traces blanches des mots effacés par le temps, des slogans désuets. D’autres signes apparaissent. Les visages reviennent du passé, l’histoire se manifeste dans les restes d’un mot, dans les bribes d’un slogan politique, dans quelques idéogrammes menaçants, témoins d’un temps plus rigide. Mon regard s’arrête sur cette partie infirme du mystère de la ville. Quelque chose veut parler, qui n’a pas été complètement détruit. La mémoire est une respiration. Un battement secret qui surgit au coin d’une rue.

    En tous points de la cartographie, la ville trace de grandes diagonales entre les questions. Les panneaux indicateurs se télescopent, ouvrent de nouvelles énigmes. Un nom surgit, une succession de noms ouvrent des portes sur l’imaginaire. En dedans, se compose un agrégat de matières qui rebondissent et bouillonnent, écho des mystères intérieurs situés dans les zones jamais explorées de soi, mais qui trouvent pourtant là, dans le cheminement urbain et lointain du flâneur, quelques fragments de réponse.

    Lève la tête voyageur, interprète le ballet des grues, suis les fils électriques et démêle les noeuds des carrefours, marche, marche, vois les tours, les rêves démesurés et inhumains penche-toi sur l’épaule des joueurs qui sur un damier reproduisent celui des villes, remettent en jeu les courants et les circulations. Lis dans les tasses vides le destin de la journée qui vient, admire tout imprimé, tout signe qui dit la ville et les hommes qui en parlent, décide dans les graffitis et les messages gravés par les amoureux, à quelle prochaine intersection tu décideras de confier tes pensées. Les traces cruelles des vies passées, témoignent d’une absence jamais comblée. »

     

    David Collin

    Vers les confins

    Postface de Claude Chambard

    Hippocampe, 2018

    http://www.hippocampe-editions.fr/actualites/507-david-collin-vers-les-confins-recits-voyages-epiphanies-derives-chine-inde-mongolie-claude-chambard.html