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Travaux personnels

  • Claude Chambard, « Nous, enfants, encore, même grandis, enfants encore »

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    © : CChambard

     

    Ces voix que j’entends, dit l’Aîné, lors de ces moments mal assurés d’avant la minuit, juste entre le moment où le Père cessait de lire & celui où nous nous endormions profondément, ces voix creusées dans les lampes dont le filament s’éteignait lentement, dans les dernières braises de la cheminée, dans le claquement du dernier volet, ou, plus mat, celui du mouton de la cloche au moment où il s’anime pour que le battant frappe l’airain, sonne cette heure si étrange qui découpe le temps plus sûrement encore que son pendant de midi, ces voix un peu fatiguées, usées parfois, violentes rarement, toutes imprégnées de la nuit éternelle d’où elles ne peuvent jamais même apercevoir les petites lueurs roses de l’aube, puis, presqu’aussitôt, celles plus lumineuses, à la fois plus claires & plus foncées, virant à l’orangé avant de, sans quasiment attendre, devenir bleues, ce bleu qui allume pour de bon le jour, ces voix que l’enfant craint d’entendre, qui se réchauffent à notre maigre chaleur, à nos poitrines un peu creuses, voyageuses immobiles, gardiennes sans clefs des âges indatables, ces voix elles espèrent de nous — mais quoi ? —, elles ne posent pas de question, elles ne donnent pas de réponse, mais portent en elles les effarements des siècles passés & des siècles à venir.

     

    C’était cela notre temps, notre enfance. Nous avions connaissance, très intimement, du devenir — parallèle, sans doute —, des ancêtres, de la richesse qui les habite encore, du grand mystère qu’ils semblent ne pas parvenir à clairement nous montrer — & il me semble que cela vaut mieux —, cette petite lumière qui brille encore dans leurs poitrines caves & que nous ne savons pas percevoir, qui nous réveille à peine afin que nous puissions juste entendre ces voix, chuchoter, chuchoter & encore chuchoter, mais quoi, nous ne le saurons peut-être même pas en les rejoignant.

     

    Ces voix parlent cependant la même langue que nous. Elles n’en ont pas d’autre. Mais c’est le manque de résonance de leurs poitrines sépulcrales qui empêche les mots de se glisser dans le conduit de nos oreilles, rien ne fait vibrer les tympans & nos cervelles trop vivantes, ne savent comment révéler ce qui vient de si loin en étant si près.

     

    Même nos miroirs ne savent pas restituer ce qui est trop visiblement invisible.

    C’est comme si le tain fondait d’impatience.

     

    Nous, enfants, encore, même grandis, enfants encore, nous ne voyons d’eux que des ruines alors qu’ils sont de véritables ralentisseurs de temps — ce temple du torero parfois —, des montreurs d’éternité impossible à partager.

     

    Claude Chambard

    Extrait d'un travail en cours : Entrelesdeuxrivières

  • « le matin, qui dans nos yeux »

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    Pour Grand-père, pour le 22 décembre 1971

     

     

    « Dit : le matin, qui dans nos yeux se fane pour devenir un midi qui tranche la journée en deux parts, est ce petit répit entre la nuit & le jour, entre tous les gestes obligés du quotidien. Il développe, à son insu sans doute, une infusion de sucs qui rafraîchissent les gorges longtemps fermées par le sommeil, une présence plus affutée, plus subtile, plus ample, réveillant une envie parfois de tout lâcher pour s’engloutir dans un vide qu’on imagine apaisant, d’ici, depuis notre berge instable. Oui, instable, dit-il, inquiet d’être instable, nous l’étions toujours, & moi en particulier. Je me demandais comment vivait le monde, lointain, inexploré, c’est-à-dire inconnu. Dans le livre de géographie à la couverture cartonnée, verte, il y avait des cartes du monde entier, par continents, pays par pays & de nombreux espaces blancs car personne n’en était revenu afin d’en dresser la carte. Ces îles mystérieuses au sein de l’océan du monde, étaient à la fois inquiétantes & donnaient envie d’aller y voir de plus près. Regarder, que dis-je, scruter les cartes de mon livre de géographie ­— j’avais bien demandé une mappemonde au Père Noël mais je ne l’ai jamais trouvée dans mes petits souliers —, était une de mes plus prenantes occupations. Je ne voyais plus le temps passer, penché sur ces espaces prodigieux & pourtant je n’avais nulle idée de voyager. Le plus lointain voyage que j’avais jamais fait, & c’était une expédition, était celui de Dijon, deux fois l’an, à la fin de l’été et au début du printemps, pour nous procurer, en famille, les grandes affaires que le petit bazar du village ne proposait pas, lui qui vendait disait-il pourtant de tout & surtout pas grand-chose. Ainsi, chaussures, vêtements, couvre chefs, maroquinerie, & le passage inévitable chez Mulot & Petitjean, place Bossuet, dans l’Hôtel Catin de Richemont, avec ses beaux colombages rouges, où nous nous procurions les grandioses pains d’épices au froment & aux goûts & parfums mystérieux & enivrants, les nonnettes les plus délicieuses qui soient — nulles autres, même celles de la Mère n’arrivaient à cette onctuosité, elles étaient bonnes mais c’était autre chose —, les glacés minces au si joli dos blanc, les gimblettes aux fruits confits, les croquets aux amandes, puis juste avant de reprendre la patache, Papa se précipitait chez L’Héritier-Guyot pour se fournir en crème de cassis, sans laquelle la vie aurait été bien sinistre, disait-il la moustache & l’œil humides.

    Oui, vois-tu, dit l’Aîné, voyager était un concept qui ne me traversait pas l’esprit. Je n’imaginais pas, alors, que pourtant j’en verrai des sacrément grands bouts du monde.

     

    Marcher le long de la rivière, grimper la colline, aller jusqu’au cimetière pour rendre visite aux ancêtres. Longer les vignes, les tailler avec infiniment de patience, faucher avec la fratrie & le Père, sous l’œil sévère de la mère, engranger le blé, l’avoine, les fourrages, cueillir aux saisons les fruits, ramasser ceux à terre, les ranger sans les taler dans les hottes & les paniers en osier, soigneusement empilés dans la carriole & les brouettes que nous tirions & poussions, du verger sur la route de Lux — celui où nous allons encore — jusqu’à la maison, se rendre en procession chez les cousins à Gemeaux où est la fontaine aux secrets, voilà ce qu’étaient les voyages que j’aimais & qui occuperaient, pensais-je, dit l’Aîné, toute une vie. »

     

    Claude Chambard

    Entrelesdeuxrivières

    Travail en cours, 2022

  • Claude Chambard, « le matin, qui dans nos yeux se fane… »

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     Pour Grand-père, pour le 22 décembre 1971

     

    « Dit : le matin, qui dans nos yeux se fane pour devenir un midi qui tranche la journée en deux parts, est ce petit répit entre la nuit & le jour, entre tous les gestes obligés du quotidien. Il développe, à son insu sans doute, une infusion de sucs qui rafraîchissent les gorges longtemps fermées par le sommeil, une présence plus affutée, plus subtile, plus ample, réveillant une envie parfois de tout lâcher pour s’engloutir dans un vide qu’on imagine apaisant, d’ici, depuis notre berge instable. Oui, instable, dit-il, inquiet d’être instable, nous l’étions toujours, & moi en particulier. Je me demandais comment vivait le monde, lointain, inexploré, c’est-à-dire inconnu. Dans le livre de géographie à la couverture cartonnée, verte, il y avait des cartes du monde entier, par continents, pays par pays & de nombreux espaces blancs car personne n’en était revenu afin d’en dresser la carte. Ces îles mystérieuses au sein de l’océan du monde, étaient à la fois inquiétantes & donnaient envie d’aller y voir de plus près. Regarder, que dis-je, scruter les cartes de mon livre de géographie ­— j’avais bien demandé une mappemonde au Père Noël mais je ne l’ai jamais trouvé dans mes petits souliers —, était une de mes plus prenantes occupations. Je ne voyais plus le temps passer, penché sur ces espaces prodigieux & pourtant je n’avais nulle idée de voyager. Le plus lointain voyage que j’avais jamais fait, & c’était une expédition, était celui de Dijon, deux fois l’an, à la fin de l’été et au début du printemps, pour nous procurer, en famille, les grandes affaires que le petit bazar du village ne proposait pas, lui qui vendait disait-il pourtant de tout & surtout pas grand-chose. Ainsi, chaussures, vêtements, couvre chefs, maroquinerie, & le passage inévitable chez Mulot & Petitjean, place Bossuet, dans l’Hôtel Catin de Richemont, avec ses beaux colombages rouges, où nous nous procurions les grandioses pains d’épices au froment & aux goûts & parfums mystérieux & enivrants, les nonnettes les plus délicieuses qui soient — nulles autres, même celles de la Mère n’arrivaient à cette onctuosité, elles étaient bonnes mais c’était autre chose —, les glacés minces au si joli dos blanc, les gimblettes aux fruits confits, les croquets aux amandes, puis juste avant de reprendre la patache, Papa se précipitait chez L’Héritier-Guyot pour se fournir en crème de cassis, sans laquelle la vie aurait été bien sinistre, disait-il la moustache & l’œil humides.

    Oui, vois-tu, dit l’Aîné, voyager était un concept qui ne me traversait pas l’esprit. Je n’imaginais pas, alors, que pourtant j’en verrai des sacrément grands bouts du monde. »

     

    Claude Chambard

    Entrelesdeuxrivières

    Travail en cours, 2021-2022

  • Sophie & Claude Chambard, le monde parle de cela

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    Sophie Chambard, le monde parle de cela, 2020

     

    Un matin, l’homme qui ne vécut que pour aimer ren­contre la folle d’amour, il lui chuchote : veux-tu partager mon année de printemps, en attendant que le vent se lève & nous porte vers les cinq éléments sur les cinq par­fums, c’est un classique des mutations possibles, il fau­drait graver l’amour dès son apparition sur les pierres de Xiping, que l’on extrait à Luoyang, cinq traités seraient écrits durant la vie, cinq petits traités dont il convien­drait de faire des classiques, des indispensables, nous pourrions, dès lors, de mutation en rites, en poèmes, atteindre le printemps, l’été & l’automne, puis peut-être passer l’hiver sans trop souffrir

     

    pour Sophie, pour aujourd’hui, 30 janvier, & pour après

  • Une vie de Maurice Romain C.

    maurice lucien chambard

    La fleur rouge, la fleur orangée, fleurs de saison dans le vase bleu entre les oreilles d’ours, près de l’envol des papillons dès que la chaleur est suffisante, tu sais, autour de la table bourguigno-marocaine, imaginée par l’homme à la casquette qui, chaque matin, allumait la forge comme il se rasait, sans vraiment y penser, deux guerres, la marine, les Dardanelles, le gaz moutarde, le rugby à XIII & le croquet, le football & l’opérette à la TSF, il pêchait le long du canal de Bourgogne, de l’Armençon, de l’Ignon & de la Tille, comme il n’aimait pas mentir, il s’efforçait de ne pas voir ce qui le peinait, ça prenait du temps car c’est pire que nettoyer les écuries d’Augias

     

    une vie de Maurice Romain C.

    24 février 1890 — 22 décembre 1971

     

    Claude Chambard, pour Grandpère, depuis 50 années

    inédit, extrait de Un matin, en cours

     

  • Un matin, un ami…

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    Pascal Quignard & Aline Piboule, église saint-Michel-de-Montaigne, 29 août 2020 © cchambard

     

    pour Pascal,

    ce 23 avril 2021

     

    Un matin, un ami, vers un ami le chemin n’est jamais long puisqu’il est simplement un morceau vivant de soi-même, l’ami on le voit chaque jour, dans les livres & dans les rêves, dans les yeux & dans l’oreille on l’entend depuis l’origine, c’est un ami depuis la plus petite enfance quels que soient nos âges nous nous connaissons toujours déjà, quelles que soient nos langues, quels que soient nos lieux – le lieu de l’amitié est un kraal, dans ce kraal dort l’ami, dans ce kraal l’ami écrit, dans ce kraal, qui est un pays sans langage, la nuit n’est jamais obstinément noire, c’est le lieu de la vie vivante où partager la vie secrète qui a la couleur & le parfum des mûres

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Un autre monde : Claude Chambard

    Les livres occupent chaque recoin de la maison, entassés, rangés. La bibliothèque est un palais. Nous sommes attablés dans la salle à manger. Le café est chaud. Je sais déjà que je ne pourrai pas tout raconter de cet amour des livres qui rend cet homme si vivant, son regard si brillant et son rire si clair. Claude Chambard est un insatiable lecteur. Un lecteur veilleur et généreux.

    Propos recueillis par Lucie Braud

     

    Vous souvenez-vous du premier livre que vous avez eu entre les mains ?

    Claude Chambard : Je m’en souviens et je l’ai toujours. Tout ce qui était à moi a pourtant disparu lorsque ma grand-mère a vendu la maison de famille. Par un extraordinaire hasard, ce livre a survécu et je l’ai retrouvé après sa mort. C’est ma marraine qui me l’avait acheté à la Noël 1954 qui précéda mon entrée au cours préparatoire : Histoire de Monsieur Colibri (Gründ, écrit par Marcelle Guastala et imagée par Suzanne Jung, 1947). […]

    La suite de cet entretien dont m'honore Lucie Braud est ici http://1autremonde.eu/project/claude-chambard/

    accompagné trois lectures audios de brefs extraits, par mes soins, de Vie secrète de Pascal Quignard, L'Orphelin de Pierre Bergounioux & Les Corps vulnérables de Jean-Louis Baudry & d'une poignée de photographies prises par Lucie de ma bibliothèque avant son rangement dit "du confinement".

    Bonne lecture & mille mercis à Lucie Braud & à son association L'Autre monde.

     

  • Un matin, simplement un matin

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    © Sophie Chambard

     

    pour fêter l’anniversaire de Sophie, ce 30 janvier

     

    Un matin, simplement un matin, frais, un peu ensoleillé, les oiseaux sont de la partie, l’enfant est vivante, elle fait des petits baisers avec ses petites mains potelées & son petit sourire transperce la bêtise & la méchanceté, tu sais, elle dit les mots d’amour, elle dit framboise & pistache d’Égine, elle mâche lentement, on pourrait croire qu’elle déguste déjà ses souvenirs, elle ne pleure pas ou alors lorsqu’il n’y a personne, elle rit souvent en regardant les papillons aller de fleur en fleur, aspirant les sucs qui arrondiront son ventre, elle parle de vie, ce n’est pas facile une vie, elle sait déjà que c’est une tâche très ardue qui nécessite que l’on partage la grâce du chat qui s’étire

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Je rêve de trouver, un matin…

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    Shi Tao, vers 1700

     

    pour fêter l’anniversaire de mon ami Tristan Hordé,

    ce 6 décembre 2020

     

    Je rêve de trouver, un matin, le journal intime du merle & à l’hiver celui de son ami le rouge-gorge – le rossignol chante trop pour avoir le temps de noter quoi que ce soit, il est déjà ivre de lui-même –, ce serait comme un voyage au monastère du Dragon Bleu, le style en serait leste & sans mauvaise contrainte, dix mille mots y bâtiraient quelques phrases essentielles, je ne divulguerais rien, même sous la torture, comme il est d’usage de dire, le merle est un frère des coteaux du sud, le rouge-gorge des coteaux du nord, leurs journaux, ceux qui m’intéressent, disent les embuscades & les tranquillités du jardin & des forêts de la Chique

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

     

  • Un matin, dévaler encore…

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    pour fêter l’anniversaire de mon ami Lambert Schlechter,

    ce 4 décembre 2020

     

    Un matin, dévaler encore, la page & la vie, descendre le pichet de vin du vieux Li Po avec l’ami Shen Fu, toujours boire avec un compagnon & chanter avec lui dès que la lune se lève pour égayer le ciel sans limite comme l’amitié, loin de notre pays natal, vieux camarade, nous essayons de ne pas laisser la tristesse nous envahir, il fait frais, allumons le vieux poêle, le cœur est voyageur, d’est en ouest, de rivière en rivière, cette douceur de vivre près des vignes, tout à côté des forêts, nous avons marché longtemps, songeant à nos amis éparpillés qui sont enfin rentrés chez eux, nos livres se confondent, c’est la voix qui est l’identité du poème

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 août 2020

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    La Tille, ma rivière, à Lux (Côte d'Or)

     

    Nous sommes ici, à deux pas du château d’un ami, Michel de Montaigne, dans cette église de Saint-Michel-de-Montaigne où son épouse, Françoise de la Chassaigne, fit enterrer, selon ses dires, le cœur de l’homme qu’elle aimait avant que son corps le fusse au couvent des Feuillants à Bordeaux. Je dis d’un ami car pour tout lecteur un peu constant de son œuvre – c’est le cas pour toutes les œuvres aimées, n’est-ce pas – Michel de Montaigne est un ami.

    Montaigne écrivait à la toute fin de ses Essais : « C’est une absolue perfection, et comme divine de savoir jouir loyalement de son être. » Et plus avant, dans le chapitre X du livre III, où il traite entre autres de sa charge de maire de Bordeaux, il parle de « l’amitié que l’on se doit », que l’on se doit à soi-même mais que je n’entends chez lui bien sûr qu’adjointe à l’amitié que l’on doit à l’autre.
    Cette amitié que l’on se doit et que l’on partage, je la trouve dans le travail, des deux auteurs que nous allons entendre ce soir. J’ignore s’ils se connaissaient avant de faire ce voyage ensemble aujourd’hui, mais qu’importe, c’est parce que ce sont eux qu’ils sont là, en amitié avec Montaigne & avec nous.

    Dans ce paysage si particulier, près de cette tour mythique d’où Montaigne voyait le monde, où il écrivait, où il aimait.

     

    Qu’il me soit permis de glisser au passage la présence affectueuse d’un ami ébouriffé qui fut domestique ici et qui a écrit un des livres les plus considérables que je possède dans ma bibliothèque dans lequel il écrivait : « Écrire comme on tâtonne, frissonne, entrer par effraction dans la nuit de la langue, pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c'est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre, » Il s’agit on l’a compris du Sentiment géographique (1976) et de frère Michel Chaillou. Il aimait la Loire et la Gartempe, comme Marie-Hélène Lafon, que nous allons écouter, aime sa rivière, la Santoire, comme Michel de Montaigne aime sa Lidoire, & Pascal Quignard la Seine (qui est un fleuve), l’Yonne & la Bièvre de son ami Sainte-Colombe.

     

    Le paysage, le pays, traversé de rivières, sera donc, en amitié, dans l’échange et la lecture que nous allons faire avec Marie-Hélène Lafon qui depuis son premier livre Le soir du chien en 2001, qui obtint le prix Renaudot des lycéens, jusqu'à cette Histoire du fils qui va paraître dans quelques jours chez son éditeur fidèle Buchet Chastel, en passant par Joseph, Nos vies, Les pays, Les derniers indiens, Traversée, Album… creuse le langage et le paysage de son cher Cantal, certes, mais plus largement celui de la littérature.

    D’ailleurs en exergue à Histoire du fils elle a copié des mots de Valère Novarina : « Le langage est notre sol, notre chair. Je me représente toujours le chantier comme un creux, une ouverture du sol, et l’avancée d’un texte, sa progression, comme une marche en montagne. »


    Nous allons commencer avec ça, creuser le langage, creuser le paysage, écouter le travail de la rivière.

     

    Claude Chambard

    Introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l’église Saint-Michel- de-Montaigne

     

    Une fois n'est pas coutume, comme on sait, voici quelques lignes miennes qui furent l'introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l'église Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 septembre 2020, avant que les voûtes résonnent du récit-récital de Pascal Quignard & Aline Piboule, "Boutès ou le désir de se jeter à l’eau". Ces quelques lignes ne prétendent qu'à ceci, ouvrir et faire souvenir de ces deux moments exceptionnels réunis grâce à la fine intelligence, à la fine prescience, de Marie-Laure Picot, pour son Festival Littérature en jardin. Qu'elle en soit, une nouvelle fois, remerciée.

  • Septain — des flux — de Vézelay

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    © : cchambard

     

    Premiers jours de juin cette année ci.

    Ils donnent à voir un visage du monde gris, assez irréel.

    On se sent fébrile sous la pluie incessante.

    La route est coupée, les champs sont inondés – en bas.

    Qui suis-je pour savoir si les flux sont bienveillants

    ou malveillants

    ou neutres…

    Claude Chambard

    L’image première

    travail en cours