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  • Frédéric Boyer, « Yeux Noirs »

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    «  L’unique chair de notre mémoire, ce sont les mots. Oui, ce qui revient de ce qui n’est plus (ou que nous pressentons de cette façon) n’est jamais rien d’autre que ce que nous appelions de nos vœux et que nous racontons une fois le crépuscule avancé. Une idée que nous n’avions pas, pensions-nous, et cette pensée précise du manque de l’idée de la chose que nous vivions faisant advenir l’événement de cette chose. C’est ce que tracent plus tard nos phrases maladroites. Les invisibles chemins qui nous conduisent d’une chose à une idée. Sachant que l’illusion nécessaire de posséder la chose peut nous mener au deuil de son idée. Celle de l’amour ou de l’éternité – idées qui n’existent que de leur absence ou de leur impossibilité. Les seules idées qui apparaissent au détour des phrases et des mots qui les nomment. Toutes les phrases que nous faisons plus tard. NOUS COMME DES SPRINTERS APRÈS LA VICTOIRE, qui courons derrière des idées perdues. La nostalgie porte ainsi sur ce qui aurait pu être, et non sur ce qui a été. Les mots qui nous servent à dire une action célèbrent d’une certaine façon le deuil de cette action devenue phrases, et histoire racontable. Si je peux être en quelque sorte maître de mon passé, c’est en relatant ce qui est arrivé. Même si ce récit ne résout rien de ce qui est arrivé. Je sais aujourd’hui SEIGNEUR. Ces yeux noirs ne me disaient qu’une chose, ne formulaient qu’un vœu : Je te souhaite d’aimer et d’être aimé. De TOUT aimer. Il faudrait se sentir le cœur de celui qui, sa tâche terminée, peut se reposer. Et dire enfin je veux vivre. »

     

    Frédéric Boyer
    Yeux noirs
    P.O.L, 2016

  • Liu Dakui, « Offert à Xu Kunshan »

    liu Dakiu, sandrine marchang, la pléiade

    Gallica, tableau des peuples tributaires de la grande dynastie impériale de Chine pour l'empereur Qian long (1711-1799)

     

    « Cela fait plus de dix ans,

    Hélas, que je suis arrivé à Chang’an.

    Parmi la foule immense, regardant de tous côtés,

    Je ne connaissais personne.

    Un jour, je montais sur un âne boiteux,

    Ignorant encore qui j’allais rencontrer.

    Je frappai à la porte de chez vous,

    Et nous parlâmes de tout au point d’émouvoir les esprits.

    Le vieux cheval a les os de travers,

    Mais son cœur valeureux lui fait parcourir dix mille lis.

    Le vent du nord souffle depuis la lointaine Mongolie,

    Sans que l’on puisse l’empêcher de gémir.

    Les gens de Chang’an sont riches et nobles,

    Pourtant ils savent goûter la saveur d’une vulgaire bouillie.

    Vous appréciez la franchise et l’audace,

    Prêt à souffrir la faim pour vivre de littérature et d’histoire.

    Au matin, je fredonne des vers jusqu’au soir sans repos,

    À la nuit, je psalmodie jusqu’à l’aube sans une pause.

    Mes difficultés s’allient à mes peines infinies,

    Le noir de ma vie s’élève jusqu’au ciel.

    Mon existence est semée de cent chagrins,

    Je ne pourrai pleurer qu’arrivé à son terme.

    Mais ce que je confie à mon cœur,

    Je peux continuer à le partager grâce à vos bienfaits.

    Au milieu de la nuit, une humble lune se lève,

    L’ombre des hauts sophoras se répand sur le guéridon devant ma fenêtre.

    Ma chevelure blanche est clairsemée,

    Je chante pour vous une pastorale. »

     

    Liu Dakui – 1698 - 1779

    Traduit du chinois par Sandrine Marchand

    Dynastie des Qing in Anthologie de la poésie chinoise

    La Pléiade/Gallimard, 2015