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  • Po Chü-i, 3 poèmes sur la vieillesse 

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    « Sur la vieillesse, envoyé à Meng-té*

     

    Nous voici tous les deux dans la vieillesse.

    La vieillesse comment la définir ?

    On voit trouble on se couche le premier

    Parfois on sort on s’appuie sur sa canne

    Sinon on est cloîtré à la maison.

    On se détourne d’un miroir trop neuf

    On ne lit plus que les gros caractères.

    On pense aux vieux amis de plus en plus

    On ne fait rien de ce que font les jeunes.

    Une passion nous reste – bavarder

    On s’y adonne quand on se retrouve.

     

    * Meng-té est le deuxième nom d’un des amis les plus proches de Po Chü-i, Liu Yü-xi (772-842)

     

    Ému par ma vieille barque de Suzhou*

     

    Les poutres peintes se sont abîmées

                      et la fenêtre rouge tient à peine.

    Je reste assis au bord de mon bassin

                      je le regarde du matin au soir.

    La barque de Suzhou que je gardais

                      a eu le temps elle aussi de pourrir.

    Si nous en sommes là par quel miracle

                      mon corps pourrait-il être mieux portant

     

    * Po Chü-i avait été victime d’une attaque cérébrale qui l’avait laissé à moitié paralysé

     

    Fin de l’année

     

    Fin de l’année vieil homme aux cheveux blancs

    Ses compagnons – neuf sur dix dans la tombe.

    Tant pis son corps malade il le supporte

    C’est mieux que pas de corps à supporter. »

     

    Po Chü-i (Bai Juyi) – 772-846

    in Ombres de Chine

    « Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue »

    Choix, traduction et commentaires : André Markowicz

    Inculte / Dernière marge, 2015

    https://inculte.fr/produit/ombres-de-chine/

  • Pascal Quignard, « Zhuo Wenjun & Sima Xiangru »

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    © : cchambard

     

    « Au IIe siècle avant notre ère vécut Zhuo Wenjun. Elle vivait à la campagne et perdit son époux à l’âge de dix-sept ans. Elle revint à la ville et retourna vivre dans la maison de son père, qui était un riche marchand. Il se trouva que ce dernier reçut un matin Sima Xiangru, âgé de vingt ans, pauvre, lettré, cithariste, cherchant du travail. Zhuo Wenjun passe la tête par la porte. Elle la retire aussitôt car il y a quelqu’un.

    Avant même qu’elle sache quel est le nom, l’âge, l’état du jeune homme, dès le premier regard, elle est tombée éperdument amoureuse de Sima Xiangru.

    Ils trouvent le moyen de communiquer entre eux dans la journée. Elle ne peut résister au désir dans le souvenir où elle est de son ancien époux, elle prend dans sa main le sexe de Sima Xiangru, elle dénoue sa propre ceinture, elle écarte ses cuisses, elle s’assied sur lui. Ils sont attachés, l’un à l’autre, jour après jour, avec plus de violence.

    Zhuo Wenjun demande à Sima Xiangru qu’il l’enlève toutes affaires cessantes. Il l’enlève.

    La jeune veuve brave la honte (par rapport à son mari défunt) et la pauvreté (par rapport à la richesse de son père). Elle devient une pauvre marchande d’alcool.

    Sima Xiangru ne cesse en rien d’être ce qu’il est. Il lit. Il chante.

    Finalement le père de Zhuo Wenjun, vieillissant, est touché par la persistance de l’amour que sa fille porte au cithariste. Il les marie. Il accorde au nouveau ménage son pardon. Il lui donne sa fortune. La cité pend le père. 

    *

    L’amour, en quelque culture que ce soit, à quelque époque que ce soit, consiste dans la formation d’un attrait irrésistible qui perturbe l’échange social programmé.

    En Chine ancienne l’obéissance à un sentiment passionné et l’écoute d’une musique merveilleuse sont toujours associées.

    Ce que les anciens Romains décrivirent comme fascinatio ou fulguratio, les anciens Chinois le désignèrent comme obéissance au chant de perdition. C’est un même transport irrésistible. C’est une même emprise sans délai du Jadis pur.

    Il n’y a pas de différence entre musique et amour : l’écoute d’une émotion authentique égare absolument. »

     

    Pascal Quignard

    Vie secrète

    « Chapitre XXIV, Le jugement de Hanburi »

    Gallimard, 1998, réédition Folio n° 3492, 1999