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  • Lambert Schlechter, « Piéton sur la voie lactée »

    P1010227.jpg

    © cchambard

     

     

    « à côté de mon oreiller, la nuit, j’écris :

    voilà, il y a eu ce jour-ci, il se termine

     

    jour printanier, soleil & ciel bleu

    ce jour-ci, un jour de ma vie

     

    viendra le jour de demain, j’y vais

    encore un jour de ma vie

     

    je ne sais si c’est le dernier

    ou s’il y en aura encore mille

     

    nuit me prend : dormir pour vivre demain

     

    *

     

    écrire pour préparer le terrain d’écriture

    écrire encore ceci avant de commencer à écrire

     

    écrire vite vite choses simples & banales

    avant d’ouvrir la brèche vers les profondeurs

     

    écrire vite vite les petits rien de la vie

    afin de conjurer le grand tout du néant

     

    écrire le frémissement de l’herbe

    avant de thématiser le frisson de l’existence

     

    balbutier encore & encore : je ne suis pas mort

     

    *

     

    quand les mots ne servent plus

    à marchander les radis ou le bleu du ciel

     

    quand les phrases renoncent

    à commenter les tribulations du moi

     

    quand le langage n’est plus utile à rien

    sauf à baliser sans fin un domaine sans nom

     

    quand les mots soudain te chaotisent

    tout ce que tu croyais savoir & connaître

     

    c’est ce que tu demandes au poème : du vertige »

     

     

    Lambert Schlechter

    Piéton sur la voie lactée – Petites parleries au fil des jours

    Avec des dessins d’Anne Weyer

    Phi, 2012

    http://www.editionsphi.lu/fr/francais/353-schlechter-lambert-pieton-sur-la-voie-lactee.html

  • Juan Gelman, « Notes XII & XIII »

    AVT_Juan-Gelman_2787.jpg

    DR»

     

    « NOTE XII

     

    les rêves brisés par la réalité

    les compagnons brisés par la réalité/

    les rêves de compagnons brisés

    sont-ils vraiment brisés/perdus/rien/

     

    pourrissent-ils sous la terre ?/leur éclat brisé

    disséminé en petits morceaux sous la terre ?/un jour

    les petits morceaux vont-ils s’unir ?

    va-t-il y avoir la fête des petits morceaux qui se réunissent ?

     

    et les petits morceaux des compagnons/se réuniront-ils une fois ?

    marchent-il sous terre pour se réunir un jour comme dit manuel ?/se réuniront-ils/ un jour ?

    de ces petits morceaux aimés est faite notre concrète solitude/

    nous avons per/du la douceur de paco/la tristesse d’haroldo/la lucidité de rodolfo/le courage de tant et tant

     

    à présent ils sont de petits morceaux disséminés sous tout le pays

    de petites feuilles tombées de la ferveur/de l’espoir/de la foi/

    de petits morceaux qui furent joie/lutte/confiance

    dans les rêves/les rêves/les rêves/les rêves/

     

    et les petits morceaux du rêve/se réuniront-ils une fois ?

    se réuniront-ils un jour/les petits morceaux ?

    nous disent-ils de les accrocher au tissu du rêve général ?

    nous disent-ils de rêver mieux ?

    à manuel scorza

     

     

    NOTE XIII

     

    chaque compagnon avait un morceau de soleil/

    dans l’âme/dans le cœur/dans la mémoire/

    chaque compagnon avait un morceau de soleil/

    et c’est de cela que je parle

     

    je ne parle pas des erreurs qui

    nous ont conduits à la défaite/pour l’instant/non

    je parle de l’arrogance/de l’aveuglement/du délire militariste de la direction/

    je dis que chaque compagnon avait un morceau de soleil

     

    qui lui illuminait le visage/

    lui donnait chaud dans l’effroi nocturne/

    l’embellissait en lui mettant la joie aux yeux/

    le faisait voler/voler/voler/

     

    se sont-ils éteints ces morceaux de soleil à présent ?/à présent que les compagnons sont morts/se

    sont-ils éteints leurs morceaux de soleil ?/ne leur éclairent-ils pas toujours

    âme/mémoire/cœur/leur réchauffant

    le talon les os mitraillés d’ombre ?

     

    petit soleil qui ainsi s’éteignait/

    tu éclaires encore cette nuit/

    où nous restons à regarder la nuit

    vers le côté où monte le soleil »

    Juan Gelman

    Vers le sud et autres poèmes

    Présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet
    postface de Julio Cortázar

    Gallimard, coll. Poésie, 2014