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  • Yi Sang, « Plan à vol de corbeau »

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    « Poème n°12

     

    Un ballot de linge sale s’envole dans les airs et retombe. C’est une volée de colombes. C’est une annonce de la fin de la guerre et de la venue de la paix, de l’autre côté du ciel grand comme une paume. La volée de colombes nettoie ses plumes encrassées. De ce côté du ciel grand comme une paume, une guerre sordide qui matraque à mort les colombes commence. Quand l’air est noir de suie, la volée de colombes s’envole encore une fois vers l’autre côté du ciel grand comme une paume.

     

    Image de soi

     

    Ce lieu est le masque mortuaire* d’un certain pays. La rumeur circule aussi que ce masque mortuaire a été dérobé. Cette barbe, herbe pubère à l’extrême nord, a perçu le désespoir et ne pousse plus. Au fond du piège où le ciel est tombé de toute éternité, le testament repose discrètement submergé comme une pierre tombale. Alors des gestes inaccoutumés passant à côté traduisent la gêne d’être sain et sauf. Solennel le contenu finit par se froisser.

    * En anglais dans le texte, death mask

     

    Fin

     

    Une pomme est tombée. La Terre est souffrante au point de se briser. Fin.

    Déjà plus aucune pensée ne germe. »

     

    Yi Sang – 1910-1937

    Plan à vol de corbeau, suivie de « Parole de l’auteur de Plan à vol de corbeau »

    Traduit par Cori Smith & Jean-Yves Darsouze, avec la participation d’Olivier Gallon

    La Barque, 2019

    https://labarque.fr/librairie/livres/auteurs/yi-sang/plan-a-vol-de-corbeau/

     

    J'ai découvert Yi Sang par les bons soins de la William Blake & Cie en 2003, lorsque Bona Kim y publia sa traduction de Cinquante poèmes suivi de Les ailes. Cette publication n'est pas rien qui, 66 ans après la mort de l'auteur à Tokyo — quelle ironie pour lui qui ne connut son pays que sous l'envahisseur japonais et passa outre l'interdit d'écrire dans sa langue natale, à partir de juillet 1933 —,  faisait ainsi connaître un travail pour le moins original et décalé. Yi Sang est un mythe en Corée. Il serait temps que l'on se penche sur ses livres  (aux Petits matins, chez Zulma, chez Imago) et en particulier celui-ci qui s'inscrit au cœur d'une œuvre résolument liée à la vie, comme le fait fort justement remarquer Olivier Gallon, son nouvel éditeur français.

  • Suzette Gontard, « Lettre à Hölderlin »

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    Susette Gontard et Friedrich Hölderlin, gravure sur bois, vers 1870, d’après un dessin de Norbert Schrödl.

     

    « Le matin

    J’ai bien dormi, mon tendre et cher, et il me faut te dire à nouveau combien ta lettre m’a fait plaisir et te remercier pour toute cette douce félicité que tu m’as procurée. Ah, ne lis plus ma lettre si elle t’a procuré du chagrin et tiens-t’en à l’avant-dernière que tu as tant aimée. Hier, je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir encore intensément à la passion, – – – La passion de l’amour le plus sublime ne sera sans doute jamais satisfaite sur terre ! Partage avec moi ce sentiment ! Ce serait folie que de chercher à la satisfaire. – – – Cela signifierait mourir ensemble ! – – – Mais je me tais, au risque de passer pour une douce rêveuse, même si c’est tellement vrai, voilà comment la satisfaire. – – Cependant, nous avons des devoirs sacrés envers ce monde. Il ne nous reste qu’à croire l’un en l’autre avec la plus grande béatitude, ainsi qu’au pouvoir tout puissant de l’amour qui, éternellement invisible, nous dirigera et nous unira sans cesse de plus en plus. – – – Être silencieusement résignés ! Faire confiance à son cœur, à la victoire de ce qu’il y a de vrai et de mieux dans le dévouement qui fut le nôtre. Et nous pourrions périr ? – – – Alors, oui, alors tout équilibre disparaîtrait nécessairement et le monde se changerait en un chaos si ce n’était pas ce même esprit de l’harmonie et de l’amour qui le garde et nous garde également ; si cet esprit vit pour toujours dans le monde, pourquoi, comment pourrait-il nous abandonner ? sommes-nous bien en droit de nous comparer au monde ? Et pourtant, il ne peut pas en aller autrement en nous-mêmes, ce qui est valable à grande échelle l’est à petite échelle, et nous ne devrions pas avoir confiance ? Nous à qui tous les jours la nature prouve sa magnificence tout en nous donnant vie et en ne nous témoignant que de l’amour, nous devrions abriter en notre sein une lutte et une dissension quand tout nous appelle à la quiétude de la beauté ! – – – Ô mon tendre et cher, il est évident que nous ne pouvons pas devenir malheureux puisque cette âme vit en nous. Et je sais que la douleur ne nous rendra que meilleurs et nous unira plus fortement.

    C’est pourquoi, désormais, tu ne dois pas éprouver du chagrin à l’idée de m’avoir rendue triste. Tu vois, tout sera fini quand tu auras retrouvé ton calme et que je serai forte. Il me faut te dire également que ma confiance en toi est illimitée. Quoi que tu sois, quoi que tu fasses me semblera tacitement juste, je ne me demande pas moi-même pourquoi. La semaine dernière, tu n’es pas venu, tu n’as pas dit hier que tu voulais passer à nouveau ici, que tu voulais revenir ce matin, alors que je te l’ai d’emblée proposé dans ma lettre. Je puis t’assurer que je n’en ai pas éprouvé le moindre trouble, tant ta lettre m’avait rendue heureuse et j’ai simplement pensé que c’était bien sûr de l’amour et je ne me suis pas posé davantage de questions. Et c’est dans la foi qu’on voue à ce sentiment qu’il faut honorer l’inexplicable. Ô mon tendre et cher, mon amour ! Retrouve ton calme, ta sérénité et donne-moi le seul sentiment qui puisse me rendre bienheureuse, celui de te savoir satisfait, et, à ton tour, rends-moi ma sérénité. C’est à ce moment-là certainement, oui, que je serai heureuse. – – – » septembre 1798

     

    Suzette Gontard, la Diotima de Hölderlin

    Poèmes, lettres, témoignanges

    Édition d’Adolf Beck

    Traduction, présentation et notes de Thomas Buffet

    Collection « Der Doppelgänger », Verdier, 2020

    https://editions-verdier.fr/livre/susette-gontard-la-diotima-de-holderlin/

    https://poezibao.typepad.com/poezibao/2020/07/note-de-lecture-suzette-gontard-la-diotima-de-h%C3%B6lderlin-par-isabelle-baladine-howald.html