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cahiers du cinéma

  • Jean-Luc Godard, « Le cinéma est fait pour penser l’impensable »

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    « Je n’ai pas le sentiment de savoir inventer, mais j’ai le sentiment de savoir trouver des choses, et de les assembler. Et je ne suis pas du tout gêné de faire n’importe quel film, avec n’importe quoi. Vous me proposez un lacet de chaussures et un ver de terre, vous me proposez un budget qui est conséquent par rapport à ces deux choses, et je fais le film. J’ai toujours eu le sentiment de faire le film qu’on me demandait, c’est-à-dire, d’être très sartrien : “L’homme est ce qu’il fait qu’on fait de lui. » Les films, c’est la même chose, je n’ai jamais rêvé de faire je ne sais quoi. Les citations ne me protègent pas, ce sont des amies. Ils ont créé des choses, pourquoi ne pas les utiliser. S’il y a des arbres, pourquoi ne pas les filmer. Si c’est une rue, si ce sont des gens, il faut en faire quelque chose. Ce n’est pas à moi, mais je peux en faire quelque chose. Il y a peut-être des droits d’auteur, on doit pouvoir les toucher, pourquoi pas ? Mais si on me demande : “Est-ce que je peux prendre un extrait, est-ce que j’ai le droit ?” Je réponds : “Non seulement tu as le droit mais tu as le devoir de le faire.” Un bout de phrase vous aide à en construire un autre. Je n’ai inventé ni le verbe, ni le complément. Alors je m’en sers. C’est une merveille que d’avoir quelques jolies phrases à sa disposition, de pouvoir siffler un air de musique, qu’il soit de Mozart, ou de Gershwin, c’est une vraie merveille de penser aux gens qui les ont faits. Et je ne vais pas citer toutes les références dans le générique, parce qu’à ce moment là, ça devient autre chose, ça devient une connaissance livresque. C’est en vieillissant que je commence à avoir des idées de films à moi. Alors je me dis tant mieux. Delacroix disait aussi qu’il ne connaîtrait la peinture que lorsqu’il n’aurait plus de dents. »

     

    Jean-Luc Godard

    Entretien avec André S. Labarthe, Strasbourg le 15 décembre 1994

    In Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard (tome 2, 1984-1998)

    Édition établie par Alain Bergala

    Cahiers du cinéma, 1998

     

    Bon anniversaire JLG

  • Andreï Tarkovski, « Journal – 1970-1986 »

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    Photogramme de Nosthalgia de Andreï Tarkovski

     

    « 9 août 1979, Bagno Vignoni

    Un orage a éclaté tôt ce matin – magnifique. Il a plu. Le matin, nous sommes allés voir les bains d’eau chaude de Sainte Catherine. C’est un endroit formidable pour un film.

    J’ai montré à Tovoli le ruisseau et la chambre sans fenêtre pour Spoutnik et pour le film.

    On a filmé la “Madona del Parto” à Monterchi, de Piero della Francesca. Aucune reproduction ne peut rendre sa beauté.

    Un cimetière à la frontière de la Toscane et de l’Ombrie.

    Quand on voulu transporter la Madone dans un musée, les femmes de Monterchi s’insurgèrent et obtinrent qu’elle reste où elle était.*

    […]

    10 août

    On a filmé ce matin la piscine Sainte Catherine. On a visité les environs. Cet après-midi, l’abbaye de Sant’Antimo. Les appartements de l’abbé sont à l’intérieur de l’église, par un décret spécial du pape.

    Rencontre avec une communauté religieuse. Ils ont chanté du grégorien dans l’église, quand ils ont appris que c’était moi ! Ils avaient vu Roublev. Eugenio Rondini à tout enregistré.

    Il a plu le soir. On a filmé le ruisseau d’eau chaude. Il sont tous repartis à Rome – Tovoli et sa femme, Eugenio et Franco. Nous restons ici à travailler, avec Torino et Lora.

    […]

    13 août

    Nous avons fructueusement travaillé. Tout est charmant ici, douillet. Il y a beaucoup de serpents dans les bois, et des mûres que personne ne cueille. Nous sommes allés aujourd’hui en amont de Bagno Vignoni. Un “village” avec quelques maisons, une muraille, une tour, une église. On pourra y séjourner très bon marché pendant le tournage. On peut même y acheter une maison pour pas cher du tout. C’est un endroit fantastique, à 1 km. de Bagno Vignoni, à 1 heure et demie de Rome en voiture.

    J’ai donné à Lora, pour qu’elle le traduise à Tonino, le premier épisode : L’Hôtel Palma.

    Lettre à Gambarov. Demain je l’appelerai.

    N.B. : Gortchakov oublie qu’il a rêvé de la mort.

     

    14 août

    Nous avons travaillé assez fructueusement à la deuxième mouture du scénario. J’ai rédigé une page de la première.

    On a téléphoné à Tovoli pour lui demander de m’acheter un Polaroid. Je veux faire quelques clichés.

    Demain commence la fête de “Feragosta” – la fin de l’été. Je voudrais prendre quelques photos de la fenêtre, à diverses heures du jour. La vue au petit matin, à l’aube. […] »

    * Ndb : depuis 1993, elle se trouve dans l’ancienne école élémentaire qui est devenue un musée dont elle est la seule œuvre.

     

    Dans ces extraits, Tarkovski, prépare le scénario de ce qui deviendra Nosthalgia, qu’il tournera sur ces mêmes lieux en 1982.

    D’autre part, il tourne au même moment, en cette année 1979, ce qu’il appelle un « reportage-autoportrait » intitulé Tempo di viaggio (63 mn.) qui sortira en 1980.

     

     

    Andreï Tarkovski

    Journal – 1970-1986

    Traduit du russe par Anne Kichilov, avec la collaboration de Charles H. de Brante

    Cahiers du cinéma, 1993