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denise levertov

  • Denise Levertov, « Septembre 1961 »  

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    « C’est l’année où les anciens,

    les grands anciens

    nous ont laissés seuls sur la route.

     

    La route mène à la mer.

    Nous avons les mots dans nos poches,

    d’obscures indications. Les anciens

     

    nous ont ravi la lumière de leur présence,

    nous la voyons s’éloigner sur la colline

    et sur l’autre versant disparaître.

     

    Ils ne sont pas mourants,

    ils se sont retirés

    dans une douloureuse solitude

     

    apprenant à vivre sans les mots.

    E.P. “Cela ressemble à la mort” ­— Williams : “Je ne peux

    vous décrire

     

    ce qui m’est arrivé” —

    H.D. “incapable de parler.”

    Les ténèbres

     

    se tordent dans le vent, les étoiles

    sont minuscules, l’horizon

    est cerné par la lueur confuse de la ville.

     

    Ils nous ont dit

    que la route mène à la mer,

    ils ont mis

     

    le langage entre nos mains.

    Nous entendons

    le bruit de nos pas chaque fois qu’un camion

     

    nous a croisés dans la lueur éblouissante des phares

    nous laissant un nouveau silence.

    On ne peut atteindre

     

    la mer par cette interminable

    route de la mer, à moins

    de la quitter enfin, nous semble-t-il,

     

    à moins de suivre

    la chouette qui glisse là-haut, silencieuse

    d’un vol oblique, passe et repasse,

     

    se perd dans la forêt profonde.

     

    Mais devant nous la route

    se déploie, nous comptons les

    mots dans nos poches, nous nous demandons

     

    ce que sera la vie sans eux, nous ne

    cessons de marcher, nous savons

    que la quête sera longue, parfois

     

    il nous semble que le vent de nuit

    apporte l’odeur de la mer... »

     

    Note : E.P., Ezra Pound. Williams, William Carlos Williams.

    H.D., Hilda Doolittle.

    Denise Levertov

    Un jour commence

    Traduit de l’anglais et préfacé par Jean Joubert

    Les cahiers des brisants, 1988

  • Denise Levertov, « Le secret »

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    « Deux jeunes filles découvrent

    le secret de la vie

    dans le brusque vers d’un

    poème.

     

    Moi qui ne connais pas le

    secret j’ai écrit

    ce vers. Elles

    m’ont fait dire

     

    (par une tierce personne)

    qu’elles l’avaient trouvé

    sans préciser ce qu’il était

    ni même

     

    de quel vers il s’agissait. Sans doute

    maintenant, plus d’une semaine

    après, elles ont oublié

    le secret,

     

    le vers, le titre du

    poème. Je les aime

    d’avoir trouvé ce que

    je ne puis trouver,

     

    et parce qu’elles m’aiment

    à cause de ce vers que j’ai écrit

    et parce qu'elles l’ont oublié,

    si bien que

     

    mille fois, jusqu’à ce que la mort

    les trouve, elles pourront

    le redécouvrir dans d’autres

    vers

     

    dans d’autres

    événements. Et parce qu’elles

    veulent le connaître

    parce qu’elles

     

    présument qu’un tel secret

    existe, oui,

    pour cela

    avant tout je les aime. »

    Denise Levertov

    Un jour commence

    Traduit de l’anglais et préfacé par Jean Joubert

    Les cahiers des brisants, 1988

  • Denise Levertov, « La rose »

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    (pour B. L.)

     

     

    « Dans la verte Alameda, près des fontaines,

    un vieillard, les mains

    serrées derrière son pauvre dos

    à pas lents va de rose en rose, s’arrête

    pour méditer, respirer le parfum, et moi

    qui le suis à distance, je découvre

    la rose dorée, couleur d’abeille, odeur de miel,

    la rose rouge, contralto, les roses

    couleur de nuage à l’aube, de neige au clair de lune,

    couleurs que seules savent les roses,

    mais nulle rose

    comme la rose que je vis dans ton jardin. »

     

    Denise Levertov

    Un jour commence

    Traduit de l’anglais et préfacé par Jean Joubert

    Les cahiers des brisants, 1988

  • Denise Levertov, « Deux poèmes »

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    DR

     

    « Le lit

    Nous sommes une prairie où bruissent les abeilles,

    l’esprit, le corps sont presque confondus

     

    lorsque le feu s’avive dans le poêle

    et que nos yeux se ferment,

     

    et que, bouche à bouche, blottis

    dans la tiédeur de la laine,

     

    nous dormons comme dorment les chevaux dans l’herbage,

    à l’unisson. Pourtant l’automne froid

     

    enserre notre lit, et pourtant tout le jour

    nous sommes singuliers et souvent solitaires.

     

    Les esprits apaisés

     

    Le voyageur arrive enfin, au cœur de la forêt,

    dans la cabane où, lui a-t-on promis,

    un sage le recevra.

    Mais il n’y a personne ; des oiseaux, des bêtes menues

    s’agitent, disparaissent, puis reviennent pour l’observer.

    Nul regard humain ne l’accueille.

    Pourtant, dans la cabane, il trouve de la nourriture,

    gardée chaude près des tisons,

    des habits odorants, à sa taille,

    pour remplacer les haillons de l’errance,

    et une couche de bruyère des collines.

    Il reste là, il attend. Chaque jour

    quelqu’un charge le feu, remplit la cruche

    pendant qu’il dort.

    Lui-même tire l’eau du puits,

    écrit le récit de ses voyages, guette le bruit d’un pas.

    Peu à peu il découvre

    que l’absent, le sage, lui parle,

    qu’il est présent.

                       C’est ainsi

    que vous m’avez parlé, ainsi que — surprise —

    je vous ai entendus. Lorsque j’en ai besoin,

    un livre ou une feuille de papier

    apparaît dans ma main, où la vôtre a écrit : messages

    qui m’attendent sur les étagères de la cave,

    dans des boîtes oubliées,

    jusqu’à ce que j’écoute.

                     Vos esprit s’apaisent ;

    maintenant, elle regarde, murmurez-vous,

    maintenant elle commence à voir. »

    Denise Levertov

    Un jour commence

    Poèmes traduits de l’anglais et préfacés par Jean Joubert

    Coll. Comme, Les Cahiers des brisants, 1988