UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jean canavaggio

  • Jean de la Croix, « Chanson entre l’âme et l’époux 1 à 12 »

    jean_lacroix_ph4.jpg

     

    « I

    Épouse

    Mais où t’es-tu caché

    me laissant gémissante mon ami ?

    Après m’avoir blessée

    tel le cerf tu as fui,

    sortant j’ai crié, tu étais parti.

     

    2

    Pâtres qui monterez

    là-haut sur les collines aux bergeries,

    si par chance voyez

    qui j’aime dites-lui

    que je languis, je souffre et meurs pour lui.

     

    3

    Mes amours poursuivrai,

    j’irai par les montagnes et les rivières,

    les fleurs ne cueillerai,

    ne craindrai lions, panthères

    et passerai les forts et les frontières.

     

    4

    Demande aux créatures

    Ô forêts et taillis

    que mon ami a de sa main plantés,

    verdoyantes prairies

    de fleurs tout émaillées,

    dites si parmi vous il est passé.

     

    5

    Réponse des créatures

    Mille grâces versant,

    en hâte par ces bois il est passé

    et en les regardant

    son visage a jeté

    sur eux le vêtement de la beauté.

     

    6

    Épouse

    Ah, qui me guérira !

    Achève enfin d’entièrement t’offrir,

    ne me dépêche pas

    d’envoyés pour me dire

    ce qui ne peut répondre à mon désir.

     

    7

    Et tous ceux-là qui errent

    me vont de toi mille grâces évoquant

    et tous plus me lacèrent

    et me laisse mourante

    je ne sais quoi qu’ils vont balbutiant.

     

    8

    Mais comment vivre encore,

    âme, là où tu vis ne vivant pas,

    et faisant pour ta mort

    les traits que tu reçois

    de ce qu’en toi de l’ami tu conçois ?

     

    9

    Pourquoi l’ayant meurtri,

    n’as-tu pas soulagé le cœur blessé

    et, me l’ayant ravi,

    pourquoi l’avoir laissé

    sans emporter ce que tu as volé ?

     

    10

    Mon tourment, éteins-le

    puisqu’à l’apaiser nul ne suffira

    et que te voient mes yeux

    car tu es leur éclat

    et je ne veux les avoir que pour toi.

     

    11

    Cristalline fontaine,

    si, parmi tes visages argentés,

    tu figurais, soudaine,

    les yeux si désirés

    qui sont dans mes entrailles dessinés.

     

    12

    Ami détourne-les,

    le vol me prend

    Époux

    Colombe, reviens-moi,

    voici le cerf blessé

    qu’au tertre on aperçoit,

    qui au vent de ton vol s’aère et boit. »

     

    Jean de la Croix

    Cantique spirituel

    traduit de l’espagnol par Jacques Ancet

    in « Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Œuvres »

    édition de Jean Canavaggio

    Pléiade / Gallimard, 2012

  • Thérèse d’Avila, « Livre de la vie »

    avila.jpg

    « 26. Elle s’afflige de s’être souciée naguère du point d’honneur et d’avoir commis l’erreur de croire que ce que le monde appelle honneur était honneur ; elle voit là un énorme mensonge dont nous sommes tous dupes. Elle comprend que le véritable honneur n’est pas menteur, mais vrai, car il estime ce qui est estimable et tient pour rien ce qui n’est rien : tout n’est en effet que néant, et encore moins que néant tout ce qui passe et ne plaît pas à Dieu.


    27. Elle rit d’elle-même, du temps où elle faisait cas de l’argent et le convoitait ; pourtant, jamais vraiment sur ce point, elle croit n’avoir eu à confesser de faute ; mais en faire cas était déjà une faute grave. S’il pouvait servir à acheter les biens que je vois maintenant en moi, je l’estimerais fort ; mais l’âme voit que ces biens s’obtiennent en renonçant à tout.

    Qu’achète-t-on avec cet argent que nous désirons ? Est-ce une chose de prix ? Une chose durable ? Et dans quel but la désirons-nous ? C’est un bien triste repos que nous recherchons et qui nous coûte fort cher. Bien souvent il nous procure l’enfer et l’on achète un feu éternel et une peine sans fin. Oh, si tous les hommes jugeaient sa possession comme celle d’une terre ingrate, quel accord régnerait dans le monde, que de tracas on s’épargnerait ! Comme nous vivrions tous en bonne amitié, si les intérêts qui naissent de l’honneur et de l’argent venaient à disparaître ! Je crois que toutes choses trouveraient remède. »

     

    Thérèse d’Avila

     Livre de la vie

     Traduit par Jean Canavaggio

     in  Thérèse d’Avila — Jean de la Croix, Œuvres

    Bibliothèque de la Pléiade, 2012