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marie-hélène lafon

  • Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 août 2020

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    La Tille, ma rivière, à Lux (Côte d'Or)

     

    Nous sommes ici, à deux pas du château d’un ami, Michel de Montaigne, dans cette église de Saint-Michel-de-Montaigne où son épouse, Françoise de la Chassaigne, fit enterrer, selon ses dires, le cœur de l’homme qu’elle aimait avant que son corps le fusse au couvent des Feuillants à Bordeaux. Je dis d’un ami car pour tout lecteur un peu constant de son œuvre – c’est le cas pour toutes les œuvres aimées, n’est-ce pas – Michel de Montaigne est un ami.

    Montaigne écrivait à la toute fin de ses Essais : « C’est une absolue perfection, et comme divine de savoir jouir loyalement de son être. » Et plus avant, dans le chapitre X du livre III, où il traite entre autres de sa charge de maire de Bordeaux, il parle de « l’amitié que l’on se doit », que l’on se doit à soi-même mais que je n’entends chez lui bien sûr qu’adjointe à l’amitié que l’on doit à l’autre.
    Cette amitié que l’on se doit et que l’on partage, je la trouve dans le travail, des deux auteurs que nous allons entendre ce soir. J’ignore s’ils se connaissaient avant de faire ce voyage ensemble aujourd’hui, mais qu’importe, c’est parce que ce sont eux qu’ils sont là, en amitié avec Montaigne & avec nous.

    Dans ce paysage si particulier, près de cette tour mythique d’où Montaigne voyait le monde, où il écrivait, où il aimait.

     

    Qu’il me soit permis de glisser au passage la présence affectueuse d’un ami ébouriffé qui fut domestique ici et qui a écrit un des livres les plus considérables que je possède dans ma bibliothèque dans lequel il écrivait : « Écrire comme on tâtonne, frissonne, entrer par effraction dans la nuit de la langue, pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c'est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre, » Il s’agit on l’a compris du Sentiment géographique (1976) et de frère Michel Chaillou. Il aimait la Loire et la Gartempe, comme Marie-Hélène Lafon, que nous allons écouter, aime sa rivière, la Santoire, comme Michel de Montaigne aime sa Lidoire, & Pascal Quignard la Seine (qui est un fleuve), l’Yonne & la Bièvre de son ami Sainte-Colombe.

     

    Le paysage, le pays, traversé de rivières, sera donc, en amitié, dans l’échange et la lecture que nous allons faire avec Marie-Hélène Lafon qui depuis son premier livre Le soir du chien en 2001, qui obtint le prix Renaudot des lycéens, jusqu'à cette Histoire du fils qui va paraître dans quelques jours chez son éditeur fidèle Buchet Chastel, en passant par Joseph, Nos vies, Les pays, Les derniers indiens, Traversée, Album… creuse le langage et le paysage de son cher Cantal, certes, mais plus largement celui de la littérature.

    D’ailleurs en exergue à Histoire du fils elle a copié des mots de Valère Novarina : « Le langage est notre sol, notre chair. Je me représente toujours le chantier comme un creux, une ouverture du sol, et l’avancée d’un texte, sa progression, comme une marche en montagne. »


    Nous allons commencer avec ça, creuser le langage, creuser le paysage, écouter le travail de la rivière.

     

    Claude Chambard

    Introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l’église Saint-Michel- de-Montaigne

     

    Une fois n'est pas coutume, comme on sait, voici quelques lignes miennes qui furent l'introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l'église Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 septembre 2020, avant que les voûtes résonnent du récit-récital de Pascal Quignard & Aline Piboule, "Boutès ou le désir de se jeter à l’eau". Ces quelques lignes ne prétendent qu'à ceci, ouvrir et faire souvenir de ces deux moments exceptionnels réunis grâce à la fine intelligence, à la fine prescience, de Marie-Laure Picot, pour son Festival Littérature en jardin. Qu'elle en soit, une nouvelle fois, remerciée.

  • Marie-Hélène Lafon, « La demie de six heures »,

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    DR

     

    « Plus tard les soirs de juin, d’été, Sylvianne lui avait montré la chambre parfaite de Saint-Andéol. C’était, après le lac, à main droite, un promontoire de roches grises, ourlé de vent, où se creusait le secret d’une chambre blonde, tapissée d’herbe fine. Un troupeau d’Aubrac paissait tout autour, souverain et indifférent, à l’exception du taureau, une bête de légende, tendue, longue, fière, qui meuglait gravement à leur approche et prenait dans la lumière des allures de rhinocéros argenté. Le ciel de la chambre était pavoisé de bleu. À plat dos contre la terre ils voyageaient. Les nuages dessinaient pour eux des figures de folie. Ils les suivaient, ils partaient avec elles. Parfois, ils racontaient, ceux qu’ils avaient aimés, les hommes, les femmes. Ils avaient gardé des images. Elles se déployaient dans la lumière, prenaient corps. Ils ne parlaient pas de Jeanne. Ils n’avaient pas de projets. Ils étaient suspendus au dessus du rien, en état de vertige. Ils n’avaient pas le temps d’êtres graves. Longuement il tremblait du désir d’elle dans la chambre ouverte et elle le gardait dans ses bras contre sa douceur. Elle aimait qu’il soit en elle, serré, serré, charnu, ardent, les reins creusés, les cuisses longues, les yeux fermés. Dans la chambre bleue ils prenaient au ventre le chaud du jour et griffaient la terre et buvaient à sa source à gueule touffue et se répandaient en elle, les deux, noués. »

     

    Marie-Hélène Lafon

    La demie de six heures

    Fil d’Ariane, 2002, rééd. La Guêpine, 2017

    https://laguepine.fr/web/Marie-Helene-LAFON-La-demie-de-six-heures

     

    En préparant la conversation avec Marie-Hélène Lafon, à la Tour de Montaigne le 29 août à 18h — http://permanencesdelalitterature.fr/portfolio/litterature-en-jardin-au-chateau-michel-de-montaigne-samedi-29-aout-2020/ — lire et relire, ce passage d’une rare puissance de « La demie de six heures ». La chambre parfaite, la chambre blonde, la chambre bleue, la chambre d’amour. Ceux qui n’y seraient pas encore allés voir, doivent se précipiter sur cette œuvre majeure, aimée des Bergounioux, Michon et Riboulet…

  • Marie-Hélène Lafon, « Abécédaire » (Compagnies de Mathieu Riboulet)

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    [Extraits]

     

    « Ardent. — Il le fut. Il l’était. Il l’est. Il le demeure. Dans les livres. Dans les images, dans les films, sur les écrans. Dans nos vies.

     

    Désir. — Et il habite le désir comme un pays.

     

    Or.Or il parlait du sanctuaire de son corps.

    C’est un titre.

    C’est le sujet.

     

    Politique. — Je voudrais écrire, il faudrait écrire, son vertige, le vertige essentiel du politique ; sans doute a-t-il toujours déjà été là ; c’est un rapport au monde et une rage d’être ; mais, au lieu de s’éliminer en lui avec les années, la quinquagéniture, et l’abrasion des jours ordinaires, le vertige est monté en houle profonde pour tendre la phrase et bander l’arc du texte, et, surtout de plus en plus puissamment, des textes publiés depuis 2008 chez Verdier. Rien de dogmatique, pas d’envolées rhétoriques ni de leçon de bien pensance confortable ; des noms exhumés, la litanie des morts, des tués, des rabotés, des laissés sur le carreau de l’histoire, des histoires, les petites, la grande, les minuscules, la majuscule ; des noms, des dates, des gestes, des faits, des chemins frayés, inventés, taillés à la machette dans le maquis des choses, de toutes les choses, les brûlantes, les écorchées, les sanglantes, les douces, les tendres, les désirées, les douloureuses qu’il empoigne, qu’il envisage. Le visage du monde, sa gueule tordue, bouleversante, irrésistible, et l’élégance sauvage de Mathieu Riboulet, les deux, en face à face, dans les livres et dans la vie, c’est ce qu’il faudrait saisir, écrire, sans rien caricaturer, sans rien figer, dans la gélatine froide de la glose. C’est un geste impossible, une ligne d’horizon qui, toujours, se dérobe.

     

    Syntaxe. — J’hésite ; il y aurait Secret ; il y aurait Sœur.

    Syntaxe l’emporte.

    La syntaxe emporte tout ; l’étrave de la phrase charrie tout, les sœurs, les secrets, les silences, les solitudes, les familles, les vertiges, les sommets, les saisons, Berlin, Berlin, des peintures, Thucydide et les autobus de banlieue. La phrase est une architecture. Elle donne forme au chaos. Elle rend grâce. Elle fait joie. Elle s’encolère, elle s’enrage, elle se tient toujours, elle tient. Elle est savante et puissante. Elle sinue sans barguigner. Elle y va, elle s’enfonce, elle s’y colle, elle ne mégote pas, elle ne perd pas le nord, de virgule en virgule, et encore et encore. Elle ose les deux points, carrément, la parenthèse, les tirets, les relatives, les complétives carabinées, les adjectifs ébouriffés et suspendus, résignées et patientes, tremblants mais rigoureux et fins.

    Elle ose. Il ose.

     

    Tendre. — Tendre la phrase. Un geste politique. Un geste poétique.

    Je l’ai dit, j’insiste.

    Tendre éperdument, dans tous les sens, et pour les siècles des siècles. Nuques fraîches, épaules nues, et pivoines à cœur. »

     

    Marie-Hélène Lafon

    Abécédaire

    in « Compagnies de Mathieu Riboulet »

    Verdier, 2020

    https://editions-verdier.fr/livre/compagnies-de-mathieu-riboulet/

  • Marie-Hélène Lafon, « Traversée »

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    DR

     

    « Le pays premier peut être une prison, il peut être un royaume suffisant, une source vive, un trésor. Je ne sais pas bien où passe la frontière entre la chance et le risque, le partir et le rester, l’attachement et l’arrachement ; je cherche à tâtons et suis des chemins ombreux ou troués de lumière qui s’enfoncent dans la terre des origines et partent dans le monde. Je sais seulement que la regardeuse d’enfance est devenue une travailleuse du verbe, assise à l’établi pour tout donner à voir en noir et blanc sur la page des livres. Il s’agit, par le truchement du matériau verbal, d’habiter la page comme on habiterait un pays, et dans son cadre rectangulaire, entre ses marges, de donner aux paysages, extérieurs et intérieurs, un corps textuel, d’incarner un bout du monde perdu au milieu de rien à mille mètres d’altitude, pays premier, séminal et infusé que chacun porterait en soi, comme une cicatrice ou comme un viatique, ou les deux à la fois ou de mille autres façons encore. Il s’agit de se tenir au plus près, au plus serré, et de ne rien inventer en réinventant tout ; et de brouiller les pistes en inversant patronymes et toponymes, en déplaçant Fridières de Saint-Flour à Saint-Amandin et Montesclide de Saint-Amandin à Marchastel ; et de trouver au Jaladis ou aux Manicaudies, on n’invente pas cette musique des noms propres, leur juste équilibre sur la ligne de crête de la phrase, ce qui n’est pas une mince affaire, ce qui serait même la grande affaire, l’épicentre du séisme textuel. »

     

    Marie-Hélène Lafon

    Traversée

    Coll. Paysages écrits

    Fondation Facim / éditions Guérin, 2015

    première édition, Créaphis, 2013

    http://fondation-facim.fr/edition/!/edition/1/titre/Travers%C3%A9e