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miroir de léda

  • Claude Louis-Combet, «  Miroir de Léda »

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    « Estivale, dans le ruissellement des parfums matinaux, la terre s’ouvre comme une vulve. La fibre des pierres écarte son rideau. Chaque brin d’herbe est une forêt ouverte où rôde une lumière en quête d’extase. Chaque tige se gonfle dans l’amour du soleil. Tout ce qui est s’érige — écorces de mélèzes, touffes de serpolet, digitales et jusqu’aux fragments de silex et jusqu’à l’eau bleue des cascades. Il y a, dans la zone étroite où s’échangent l’air et la terre, une tension qui fait de chaque chose le signe d’un désir et la promesse d’un spasme. Orgie de senteurs, le tourment végétal de la terre s’excède de sa propre danse : la sève charrie ses rêves de lourdeur vaincue, tiges et feuilles, fleurs et fruits entrent dans le soleil, tendus, ouverts, aux marches extrêmes de la jouissance. Si leurs parfums ne se répandaient en-dehors d’elles, les plantes crieraient de plaisir...

    Mais l’espace est l’exutoire de toute folie. Qui pourrait courir sans obstacle s’allégerait du poids de tous ses tourments. Et c’est ainsi qu’à se vider sans cesse dans le ciel blanc, la végétation recueille en elle toute la sagesse de la terre - sa foi tranquille dans le temps, son infinie patience à vivre les saisons, son obstination à chercher l’eau dans la pierre et dans le sable, sa profonde immobilité par-delà son agitation de surface... Et toujours dressée, toujours tendue. Son étalement ne renonce jamais à ce qui vient d’en-haut, à la lumière comme à la pluie. Et, tout entière, elle s’abandonne au délire des insectes — rumeur charnelle qui sourd de la pénombre des sous-bois et monte dans la vallée. C’est toute la richesse sensuelle de l’été qui s’accomplit dans ce concert — comme, vertical, c’est aussi le désir en l’homme de renoncer à l’humain, tant les abeilles ont pouvoir d’exalter à vibre d’ailes leur démence solaire. Violettes ou serties d’or vert, les mouches de midi râpent du cuivre : la joie de l’instant est torréfiée dans la violence des parfums. Joie debout. Joie à pic. L’abîme se crie clair. Le soleil étire ses ailes de rapace. Le ciel est malade de cymbales crues : il vibre au ras du sol par grands frissons métalliques. Juillet épines jardin. Juillet sur les cailloux aigus. Juillet sur les épines sèches. Juillet sur les chardons. Dans le jardin de Léda, au long des fils qui les tendent, les draps éblouissent. Toute la sécheresse de l’été s’y consume dans une blancheur sans pardon — toute l’aridité du ciel.

    “Jamais trop blancs... ”, songe Léda. Jamais trop puissants, jamais trop tendus. Comme voiles en bonace, les draps étroits de mon petit lit clament leur vacuité virginale. Déroulés de mon corps, défripés de mes hanches, si vides dans l’espace, si parfaitement rendus à leur étoffe solitaire, les voici sonores, de toute leur trame et qui attendent que se lève le vent — que les déchire et les émiette mon désir de blancheur. »

     

    Claude Louis-Combet

    Miroir de Léda

    Flammarion, 1971

    en mémoire de Claude Louis-Combet qui vient de mourir.