François Bon, « Fictions du corps »
© : Philippe Cognée
notes sur celui qui composait ce livre
« Parmi ceux qui composaient les livres, celui-ci avait considération : il était parti du principe qu’en prenant le premier mot du premier livre, le deuxième mot du deuxième livre, le troisième mot du suivant et ainsi de suite, il aurait composé un livre qui serait le livre des livres. Il démontrait aussi volontiers, sur un tableau qu’il remplissait de chiffres et d’exemples, qu’à certain moment déterminé le mot qu’il aurait à ajouter dans son livre serait le mot qu’il était en train d’écrire dans son livre même, et qu’à ce moment précis son livre serait achevé et complet. Il prétendait que ce livre, relié par un mot à chacun des livres existants, serait une somme non pas qui les contiendrait tous, mais serait le corps de leurs corps. Que ce livre était important à construire pour une trace de civilisation que nous constituions encore (ce qui se raréfiait, pourtant, avec le nombre des hommes qu’elle comptait – nous le savions). On ne s’attardait pas à le contredire, ou vérifier même le bien-fondé de son hypothèse. On laissait à sa porte un peu de nourriture, on le saluait si on l’apercevait, et cela lui suffisait. Les livres ne gênaient personne, désormais. »
François Bon
Fictions du corps
Dessins de Philippe Cognée
Lecture de Jérémy Liron
L’Atelier contemporain, 2016