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Catherine Millot « O Solitude »

images.jpg« Lire est une vie surnuméraire pour ceux à qui vivre ne suffit pas. Lire me tenait lieu de tous les liens qui me manquaient. Les personnages de romans, et les auteurs qui devinrent bientôt mes personnages de prédilection, étaient mes amis, mes compagnons de vie. Companion-books. Dans les heures d’esseulement et d’abandon, comme dans les heures de solitude épanouie ou dans celles où je jouissais d’une présence à mes côtés, lire fut toujours l’accompagnement — comme on dit en musique — indispensable.

Lire c’est comme une rencontre amoureuse qui n’aurait pas de fin. Ici, pas d’arrachement, mais une succession sans rupture, voire une coexistence heureuse de liens multiples, durant parfois toute la vie. Cela commence par un coup de foudre pour un livre. Alors je lis tout de son auteur, j’aime tout de lui. Puis vient l’accomplissement de l’amour qu’est l’écriture. Écrire, pour moi, veut dire élire un de ces compagnons de prédilection, un peu comme on se décide à s’engager dans une liaison qui durera des mois, voire des années, jusqu’à ce que son fruit arrive à terme.

Mais écrire, c’est aussi s’engager dans une ascèse qui, d’ailleurs, comporte son plaisir propre. Il faut inventer à sa mesure, ses rythmes, ses rites, ses règles de vie, un cadre et une discipline, sans omettre de préserver la part due au lien avec les autres, car, dans l’ascétisme, il faut se garder des excès, tous les ascètes le savent. Roland Barthes l’a très bien vu, qui s’est longuement interrogé sur les modes de vie solitaires, l’aménagement des relations nécessaires avec les autres, qu’il souhaitait le plus légères possible afin de préserver le temps qu’il faut pour écrire, c’est-à-dire pour laisser la solitude s’épanouir. »

 

Catherine Millot

O Solitude

Coll. L’Infini, Gallimard, 2011

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