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Jean-Christophe Bailly, « Description d’Olonne »

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« … encore un tour de manège, encore un tour dans la porte-tambour, l’effritement lent des saisons, les crues de la Sauve (avec les niveaux les plus hauts gravés sur la tour de la Pente), des nuits de clochettes et d’autres de grand vent, ville pimpante et ville noyée de brume, j’y étais mais maintenant où se tient-elle, immobile en appui sur le bord de ses eaux vives, rêvant ? Ce que l’on quitte demeure, ce que l’on retrouve suit la pente et chaque jour qui passe aiguise en moi à la fois le désir d’y revenir et la crainte de le faire – ce que j’ai été là-bas, je ne pourrais plus l’être, ce que j’ai vu là-bas, je ne pourrais plus le voir, le voir ainsi, et tout l’inchangé, si vaste et si calme, ne serait qu’un masque de tragédie intime me disant que je n’y suis plus, que je n’y serais plus jamais – à moins de m’enfoncer tranquillement dans une retraite précoce, face à une petite allée d’iris et de glaïeuls dont je guetterais comme un seul homme la floraison, entre des bonjours de boulangères et des promenades de petit vieux. Olonne, Olonne, c’est le nom désormais, il le faut, d’un souvenir, d’une carte pliée qu’à chaque instant je peux rouvrir et d’autant plus facilement qu’elle le fait d’elle-même, en moi, de tous ses plis et de tous ses pores, de stase en stase comme une seule équipée. Vol haut, très haut, des oiseaux sur l’estuaire, claquant dans le ciel rapide à travers la grande verrière de l’atelier de Sam, carrefour d’ombres où toutes se recoupent, celles de Mériel comme celles de l’ami américain, chacune avec son pesant d’or, sans bruit, comme si j’avais battu les cartes d’un jeu d’archanges ou croisé sur un quai la dame de Vermeer qui tient la balance : c’est bien ainsi, et je prospère dans le vent du tableau, allée de parc ou porte cochère, on peut même le rimer. Quand la carte se replie, c’est comme si tout était lié et comme si l’harmonie n’était plus un vœu mais la certitude d’une rumeur lointaine. Petits puits apposés pour l’écoute, solennité de fontaine à quatre heures du matin, quelque chose se tient près de moi, qui est dans le souvenir comme l’écho d’un souvenir enfoui que l’autre éveillerait de son songe dormeur, et si je marche en rêve sur les contre-allées sableuses du boulevard Minton, c’est comme en allant à la rencontre d’un autre rêve, mais d’où je proviendrais, ruban de Möbius d’un temps qui penche vers le passé avec des allures d’avenir. Couche indistincte, parallèle au présent qui la forme et la soulève, et qui n’est pas tant l’enfance elle-même qu’une enfance de la sensation et de la durée – quelque chose qui se couche, qui fait son lit, sans finir, et de telle sorte que les trois années d’Olonne sont comme un seul jour découvert en une seule fois, et qui m’éclaire. »



Jean-Christophe Bailly

Description d’Olonne

Christian Bourgois, 1992, rééd. Titres (n° 110), 2014

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