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  • W. G. Sebald / Jan Peter Tripp, « Nul encore n’a dit »

     

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    «  Sende mir bitte

     

    den braunen Mantel 

    aus dem Rheingau

    in welchem ich vormals

    meine Nachtwanderungen

    machte

    * * *

    Envoie-moi s’il-te-plaît

     

    le manteau marron

    du Rheingau

    dans lequel autrefois

    je faisais mes promenades nocturnes »

     

    W. G. Sebald / Jan Peter Tripp

    « Nul encore n’a dit »

    Bilingue, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau

    Préface de Gilles Ortlieb

    Fario, 2014

     

    La gravure de Jan Peter Tripp représente Maurice

    le chien de W. G.  Sebald

  • Guy Walter, « Outre mesure »

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    « Saint Clément rapporte – et le récit s’en trouve au livre iv de l’Histoire ecclésiastique – qu’un jour l’apôtre convertit un jeune homme beau et violent. Cette phrase de la Légende dorée m’incline à regarder avec elle la toile de Francesco Furini, Saint Jean L’Évangéliste.

    Le jeune homme, c’est vrai, est beau et violent, toujours (je le sais d’expérience, par blessures attribuées et reçues) y compris le plus doux, et les mots qu’il prononce ont souvent le tranchant d’un couteau ou peut-être les paroles prononcées ont-elles, quelles qu’elles soient, ce pouvoir élémentaire de couper, par qualité intrinsèque de section, miracle d’organisation, esprit de justice, et rien n’y fait pas même l’amour, le sexe peut-être.

    Ainsi la parole a-t-elle toujours le pouvoir de nous couper à minima en deux, intérieur extérieur, nous sauvant ainsi de la folie première, du risque de nous confondre au monde ou à nous-mêmes à moins qu’elle ne revienne, esprit de grâce, pourtour de sainteté, peindre en nous l’image qu’elle nous propose, donnant ainsi au peintre, qui devient alors un parolier de peinture, la force improbable et sereine de ne nous séparer ni du monde ni de nous-mêmes sans pour autant nous jeter dans la noirceur muette, le fond de folie, l’obscurité obscure, le tremblement sauf que parfois nous sommes au bord et qu’il s’en faut de peu.

    Ainsi quand la parole du parolier peint une image, la peint-elle à l’intérieur de nous-mêmes, sur fond de folie avec son bord de noirceur, son tremblement, son peu s’en faut et c’est le miracle de la peinture que de nous le faire voir à l’extérieur, sur le mur. 

    Ainsi le coude proposé de saint Jean l’Évangéliste peint-il à l’intérieur de nous-mêmes le coude, et la toile que je regarde, ainsi la regardé-je à l’intérieur de moi-même quand je la vois aussi devant moi peinte sur son fond de folie, bords de tremblement. »

     

     Guy Walter

    Outre mesure

    Verdier, 2014

     

    Saint Jean l’Évangéliste de Francesco Furini (Florence 1603-1646) est au musée des beaux-arts de Lyon

  • Michel Ohl, « Onessa »

    « Penché sur le plan d’Onessa il était pris de vertige, rappelez-vous, lecteur, et sa tête cognait le bois de la table.

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    Décollant du village la bouche et le nez il s’ébroua, cilla les yeux : un fil de bave reliait la maison natale au cimetière.

    Il évoqua le cheminement fatidique de Limaçonne. Partie de Bercail la nuit de sa naissance, Limaçonne atteindrait le caveau familial le jour de ses obsèques. Il l’avait vue en décembre 91 longer la folie-Rivoyre, à cent mètres du cimetière. Malgré ses dix-huit heures de repos quotidien, elle arriverait à l’équinoxe d’automne. “Sus donc !” s’exhorta-t-il, “si tu veux devancer la mort, vas-y, sus !”

    Il lambinait, il lanternait, il époussetait le secrétaire, l’armoire à glace, il éprouvait son image, il vétillait, “Et si je te disais visage ? – Natal ! – Dédoublement ? – Deux vies nettes ! – Et si le cercueil figurait la chambre ? – Hein ? !”, il éloigna le lit d’angle des murs qu’il frôlait, ménageant l’espace d’une délirante ronde d’endeuillés.

    Le cercueil s’appuyait au buffet-bibliothèque. Il lui donna un coup de brosse. C’était un cercueil acajou de type “peace box Pallas”, en carton biodégradable issu du recyclage de ses propres livres. Un dépliement, un simple montage, et il entrerait en service, tel un colis postal. L’adresse s’y trouvait déjà.

    Onessa via

    Labouheyre

    “L’emporterai-je ? Et si les Onessites jugeaient que nous faisons corps ? ils m’enseveliraient avec ? dans du vrai bois incorruptible ? Pas question ! Je le laisse !”

    Le cercueil entre les bras, il inspectait la chambre. Et s’il s’était oublié quelque part ? sous forme cadavéreuse qui sait ? Les morts, ça s’oublie !

    Il posa le cercueil contre la table de nuit, écarta la mystiquaire qui le protégeait des razzias de la clique céleste : personne ! le gang divin l’aurait-il ravi en plein sommeil ?

    La porte ouverte il fit volte-face, avisa le cercueil : “Je l’emporte ? je le laisse ? je le laisse”.

    Il courut à travers la chambre comme un fou rire. L’instant d’après il sortait résolument, le cercueil sous le bras. » […]

     

     Michel Ohl
    Onessa
    Schéol, 1993

    Voir également l’Affiche n°9 publiée par le bleu du ciel
    http://editionlebleuduciel.free.fr/affiche9.html

    Michel Ohl, né le 5 décembre 1946 à Onesse-et-Laharie,

    est mort le 20 octobre 2014 à Bordeaux.