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  • Emmanuel Hocquard, « Ce qui n’advint pas »

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    DR

     

    « LA DESTRUCTION D’UNE VILLE

     

    j’ai construit

    une ville de sable

       de marbre

    d’eau

                                      à l’embouchure du fleuve

    Élégie 7

     

    Chacun des souvenirs que j’ai de Tanger, aussi éloigné dans le temps soit-il, est lié à un endroit très précis de la ville ou de ses environs.

     

    Si, aujourd’hui, me revient un souvenir marquant, je le localise immédiatement. Le muret blanc qui sépare la cour de récréation du terrain de gymnastique du lycée Regnault, les feuilles gris vert de la rangée d’iris au fond de la cour, le balcon de l’immeuble de la rue Quevedo, en face, où la fille sans prénom apparaissait et s’attardait un moment avant de rentrer chez elle.

     

    La fille n’est pas dans le paysage existant. C’est à partir de la fille que s’organise instantanément ce morceau de paysage.

     

    Mon Tanger n’est pas celui des plans de Tanger. Il est fait de bouts discontinus d’espaces et de temps, d’émotions, de sensations, de segments de parcours isolés les uns des autres, raccordés les uns aux autres ou troués de vide où il ne s’est jamais rien produit dont je me souvienne.

     

    Il y avait, au début de la route de Tétouan, une rivière où je me baignais parfois. K N se baigna un jour dans cette rivière, en amont de l’endroit où je me tenais face au courant.

     

    Cette rivière, je ne saurais dire, en vérité, si elle a jamais existé. Je pense que oui, sans en être sûr, mais elle n’existe plus aujourd’hui. Une rivière peut-elle disparaître en quelques années ? Ce que je sais c’est qu’elle ne figure pas sur mon plan de Tanger.

     

    Deleuze a établi la différence entre un calque et une carte. Ce qu’il appelle calque est en fait ce qu’on appelle habituellement carte. Pour lui, la carte est tout autre.

     

    “Faire la carte, et pas le calque. Si la carte s’oppose au calque, c’est qu’elle est tout entière tournée vers une expérience en prise avec le réel. La carte ne reproduit pas, elle construit. La carte est ouverte, elle est connectable dans toutes ses dimensions, démontable, renversable, susceptible de recevoir constamment des modifications, […] On peut la dessiner sur un mur, la concevoir comme une œuvre d’art, la construire comme une action politique ou comme une méditation.”

     

    L’ensemble de mes livres dessine ma carte de Tanger. »

     

    Emmanuel Hocquard

    Ce qui n’advint pas

    Une grammaire de Tanger V – post-scriptum

    Coll. ‘‘‘Le Refuge en Méditerranée’’’,

    Centre international de poésie Marseille, 2016