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  • Jacques Aumont, « 2x2. Godard. Hélas pour moi. Nouvelle vague »

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    « Qu’est-ce que l’amour ? Il aura fallu, dans l’œuvre de Godard, attendre ces deux films pour avoir une réponse qui réponde à la question. Il n’en parlera plus jamais aussi bien, avec autant de fraîcheur. Éloge de l’amour est, sur ce plan, une régression triste, vers un monde où les hommes et les femmes “se volent mutuellement la solitude et l’amour”, comme disait cyniquement le PDG de Nouvelle vague. Elena Torlato-Favrini et Rachel Donnadieu ne sont pas des mythes (elles ne sont pas la Vierge Marie) : c’est en sujets humains féminins qu’elles aiment, de tout leur corps lorsqu’il le faut, et de toute leur volonté. L’homme qui les a inventées n’est qu’un homme. Deux films pour dire l’énigme de l’amour, l’énigme du féminin pour un homme, c’est peu, mais Godard en est humblement fier : “Au terme de cette longue entreprise il m’arrivera d’être celui qui aime. C’est-à-dire de mériter enfin le nom que je m’étais donné : un homme, rien qu’un homme, et qui n’en vaut aucun, mais qu’aucun ne vaut.”, dit-il à la fin de son Autoportrait.

     

    * * *

     

    Faire de la fiction, faire ces deux films, c’est oublier, un temps, l’amour de l’art pour l’amour tout court. C’est aussi, un moment, s’apercevoir que le monde autour de soi existe. “Est-ce que l’écrivain sait de quoi il parle ?” demande-t-on à Pierre Bergounioux dans Notre musique*. Réponse : “Non, bien sûr que non. Il doit se contenter de raconter ce que les autres font.”

    Raconter. Raconter les autres, s’intéresser à l’amour, oublier un moment le tête-à-tête solitaire avec l’art. Ne pas être épuisé, en dépit de tout et de soi-même. Cela valait le détour. »

     

    Jacques Aumont

    2x2. Godard. Hélas pour moi. Nouvelle vague.

    202 éditions, 2018

    http://202editions.blogspot.fr/

     

    * Qui est un des plus grands Godard, un des 3 ou 4 que l’on se doit de voir & revoir. (note du blogueur)

  • Qin Guan, Deux poèmes

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    « AUX CONFINS DU CIEL, LOURDE DE CHAGRINS PASSÉS…

     

     Air : « Les Magnolias. Version abrégée ».

     

    Aux confins du ciel, lourde de chagrins passés,

    Seule, glacée, misérable, et nul ne s’enquiert de moi,

    Je voudrais dévoiler mon cœur aux mille tourments brisé,

    Comme se brise le parfum des fines écritures* hors l’encensoir doré.

     

    Mes sourcils de jais si souvent froncés

    Qu’un vent de printemps ne peut même détendre ;

    Lasse, appuyée dans un pavillon haut perché :

    Une grue qui s’enfuit dessine trait après trait ma peine…

     

    SUR LA BRANCHE UN LORIOT AUX MÉLODIES INCESSANTES…

     

    Air : « Ciel de perdrix »

     

    Sur la branche un loriot aux mélodies incessantes qui s’accordent à mes larmes,

    Traces de pleurs nouvelles ajoutées aux anciennes.

    Tout le printemps, les carpes et les oies sauvages n’ont porté nulle lettre** ;

    Séparée par les passes et les monts sur mille lis, mon âme, hors d’elle, en songe s’épuise.

     

    Muette, face aux coupes parfumées,

    Je prépare mon cœur qui se brise au crépuscule qui vient.

    Je viens juste d’allumer les lanternes,

    La pluie frappe les fleurs de poirier, et je ferme à fond les portes. »

     

    * les fines écritures (litt. « la petite sigillaire ») désignent les volutes qui s’échappent du brûle-parfum.

    ** les anciens Chinois croyaient que les carpes et les oies sauvages étaient des messagers.

     

    Qin Guan (1049-1100)

    « La dynastie des Song du Nord — 960-1127 »

    Textes traduits, présentés et annotés par Stéphane Feuillas

    Anthologie de la poésie chinoise

    La Pléiade, Gallimard, 2015