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  • Anton Tchékhov, « La steppe »

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    DR

     

    « Quand nous regardons longuement le ciel immense, nos idées et notre âme se fondent dans la conscience de notre solitude. Nous nous sentons irréparablement seuls, et tout ce que nous tenions auparavant pour familier et cher s’éloigne indéfiniment et perd toute valeur. Les étoiles, qui nous regardent du haut du ciel depuis des milliers d’années, le ciel incompréhensible lui-même et la brume, indifférents à la brièveté de l’existence humaine, lorsqu’on reste en tête à tête avec eux et qu’on essaie d’en comprendre le sens, accablent l’âme de leur silence ; on se prend à songer à la solitude qui attend chacun de nous dans sa tombe, et la vie, nous apparaît dans son essence, désespérée, effrayante…

    Iégor pensait à sa grand-mère qui reposait au cimetière à l’ombre des cerisiers ; il la revit, couchée dans son cercueil, une pièce de cuivre sur chaque œil ; il se rappela qu’ensuite on avait mis un couvercle sur la bière et qu’on l’avait descendue dans la tombe ; il se souvint aussi du bruit sec des mottes sur le couvercle… Il se représenta sa grand-mère dans son cercueil étroit et sombre, abandonnée de tous et sans secours. Il l’imagina s’éveillant soudain, et, ne comprenant pas où elle était, frappant contre le couvercle, appelant à l’aide et, finalement, accablée d’horreur, mourant une seconde fois. Il imagina, comme s’ils étaient morts, sa mère, le Père Christophe, la comtesse Dranitski, Salomon. Mais quelque effort qu’il fît pour se représenter lui-même dans une tombe obscure, loin de sa maison, abandonné, sans secours et mort, il n’y réussit pas ; il n’admettait pas pour lui-même la possibilité de mourir, il avait le sentiment qu’il ne mourrait jamais… »

     

    Anton Tchékov

    La Steppe, suivie de Salle 6 et L’Évêque

    Traduction d’Édouard Parayre, revue par Lily Denis

    Préface et dossier de Roger Grenier

    Folio / Gallimard, 2003

  • Tanikawa Shuntarô, « Le vert des herbes folles »

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    DR

     

    « Quand je promène un œil distrait sur le vert des allées envahies d’herbes folles, je suis tenté de tout prendre à la légère

    La vieille, têtue comme une mule, mourra un jour elle aussi

    Ce que je pourrais faire pour elle ne pèse pas lourd dans la balance

    On traîne dès la naissance le fardeau du karma, et personne n’y peut rien

     

    Or, quand je me figure l’enfance de cette vieille,

    quand je l’imagine, sous les coups de trique de la marâtre, qui va puiser de l’eau,

    les poèmes que j’écris m’apparaissent comme de simples tentatives

    Aux yeux de la vieille, tout ce que j’écris ne vaut pas plus qu’un maigre bol de riz

    Ça ne l’empêche pas de me féliciter en caressant chacun de mes nouveaux recueils

     

    Supposons (ce qui a peu de chances de se produire)

    que je puisse décrire dans un poème l’état de cette vieille à bout de forces

    Alors, il cesserait d’être un état pour devenir de la poésie

    Rien de plus qu’un soupir poussé, de très loin, par un homme sans la moindre attache avec elle

     

    Ce que je dis est bizarre, mais moi, toujours en quête

    de poésie, je suis pareil à cette vieille

    Si j’éprouve de la joie à lire des poèmes c’est uniquement

    parce qu’ils me permettent de m’oublier

    Quand je reviens à moi, je ne suis qu’un être vivant, un homme incorrigible

     

    Si on doit tout prendre à la légère, autant aller se pendre pour en finir dit la vieille

    Promenant un œil distrait sur le vert des herbes folles qui se fane à mesure que le soir tombe

    je me sens basculer dans l’ivresse de la nuit sans pitié »

     

    Tanikawa Shuntarô

    L’Ignare

    Traduit du japonais et préfacé par Dominique Palmé

    Bilingue

    Coll. D’une voix l’autre, Cheyne, 2014