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  • Jacques Roman, « D’entente avec oui »

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    Vincent Ottiger

     

     

    « Il est étendu dans l’herbe

    un livre tombe à terre

    pourquoi le ramasse-t-on

    et se relever

    pourquoi donc se relever

    à quelle page l’ouvrir

    si l’on ne peut plus lire

     

    Est-ce le poids du ciel

    que soulève la poitrine

    qui donc tourne les pages

    d’un bleu papier

    et télégraphie

    de la détresse stop

    sourire de la farce stop

     

    –––––––––––––––––––––––

     

    D’entente donner le jour

    de ce côté-ci

    à d’étranges constellations

    entrevues intimes

    au respir et au lit

    de la conscience

    son étendue nocturne

     

    D’entente avec oui

    aveugle chancelant

    effleurer la face

    de l’invisible sens

    et voir d’un instrument fou

    le revenant dire je

    dire avoir entendu »

     

    Jacques Roman

    D’entente avec oui

    Gravures sur bois de Vincent Ottiger

    Paupières de terre, 2008

    https://paupieresdeterre.wordpress.com/2012/02/22/jacques-roman/

  • Katherine L. Battaiellie, « Récit »

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    « Selon les besoins du ménage, et ses sentiments, elle transporte l’urne d’une pièce à l’autre. Quand les soucis s’accumulent, elle se poste en face d’elle et admoneste les cendres avec véhémence.

    Elle leur crie qu’elle n’en peut plus, entre la chaudière qui est tombée en panne, la cave qui a été inondée, le voisin qui se plaint des branches qui dépassent sur sa propriété, les papiers des impôts qui ont disparu. Il aurait pu ranger un peu, mais ça, ça n’a jamais été son fort, et il s’est bien défilé, il la laisse toute seule se débrouiller.

    Et quand elle a dit tout ce qu’elle avait à dire, elle prend l’urne, la fourre par terre dans un coin sombre derrière un meuble, et quitte la pièce en claquant la porte. »

     

    Katherine L. Battaiellie

    Récit

    Rhubarbe, 2018

    http://www.editions-rhubarbe.com/recit.htm

  • Christophe Manon, « Qui vive »

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     Christophe Manon & Frédéric D. Oberland, concert Jours redoutables,

    à la Bibliothèque Mériadeck, 23 mars 2018 © cchambard

     

    « Maintenant tu as mal camarade, d’une douleur sans âge, celle qui parcourt à gros bouillons de sang la longue histoire de l’humanité. Maintenant tu voudrais cesser d’entendre et de voir, te transformer en plante ou mieux encore en pierre, incapable d’un cri ou d’un geste, et tu voudrais sombrer dans un long sommeil qui n’arrive pas.

     

    Maintenant tu as mal camarade. Tu agonises ou tu es déjà mort. Peu importe. Tu séjournes dans un espace intermédiaire, dans un temps intermédiaire, dans un de ces lieux de transition entre réel et irréel, on ne sait où, étendu, saignant, très calme cependant, tu fermes les yeux et te recroquevilles en position fœtale. Tu voudrais simplement rejoindre ton terrier natal, te coucher dans ta ruche tout confort pour une nuit sans rêve. Désireux maintenant de dormir en paix.

     

    Tu ignores qui tu es, où tu es, et ce que tu fais, camarade. Tu ignores si tu te trouves au centre ou à la périphérie de la mort. Et quelle importance d’ailleurs ? Lèvres closes, tu cherches. Tu cherches des mots, mais dans quelle langue et pour communiquer avec qui ? Les yeux écarquillés comme un animal sauvage surpris dans sa fuite, tu protestes. Tu ne comprends pas et tu protestes.

     

    Ne t’en fais pas, camarade. Mourir n’est pas difficile. Vivre l’est beaucoup plus. Vivre est une réalité. Ne t’en fais pas. Ta mort était déjà ancienne quand ta vie commença et tu as renoncé à toi-même depuis longtemps déjà. Mais est-ce mourir cette incompréhension, cette surprise, la bouche ouverte, les bras ballants ? Tu fermes les yeux et tu vois maintenant. De ton lointain passé surgissent des souvenirs que tu croyais disparus à jamais, séparé d’eux par l’infranchissable épaisseur du temps comme un obstacle de verre invisible et trompeur. »

     

    Christophe Manon

    Qui vive

    Nouvelle édition revue et corrigée,

    suivie de Missive du Conseil autonome des partisans rouges et de Derniers Télégrammes

    Dernier Télégramme, 2018 (première édition, 2010)

    http://www.derniertelegramme.fr/_Christophe-Manon_