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  • Michael Ondaatje, « Le grand arbre »

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    Zou Fulei, Un souffle de printemps, 1360

     

    « Zou Fulei est mort comme un dragon abattant un mur…

     

    ce vers composé et enrubanné

    d’une écriture cursive

    par son ami le poète Yang Weizhen

     

    dont le père bâtit une bibliothèque

    entourée de centaines de pruniers

     

    C’était Zou Fulei, presque inconnu,

    qui faisait les plus belles peintures de fleurs de pruniers

    de tous les temps

     

    Une branche dressée dans le vent

     

    et la ligne verticale des caractères de son ami

     

    leurs couleurs d’encre

    – de délavé à opaque

    de sombre à pâle

     

    chaque mouvement et chaque geste

    appris et différent

    renvoyant à l’art de l’autre

     

    Dans la haute bibliothèque entourée de pruniers

    où le jeune Yang Weizhen étudia

    on retira l’escalier mobile

    pour assurer sa concentration solitaire

     

    Sa grande œuvre

    “libre” “originale” “non conformiste”

    “sans trace de superficialité”

       “sans mouvement flamboyant”

     

    utilisant parfois les queues recourbées

    de l’écriture archaïque,

     

    partageant avec Zou Fulei

    ses bonds et ses obscurités

     

    *

     

    Ainsi je t’ai toujours gardé dans mon cœur…

     

    Le grand poète calligraphe du XVIe siècle

    pleure la mort de son ami

     

    Le langage attaque le papier depuis les airs

     

    Il n’y a qu’un chemin semé de fleurs

     

    pas de mouvement flamboyant

     

    Une nuit d’encre noire en 1361

    une nuit sans escalier »

     

    Michael Ondaatje

    Écrits à la main

    Traduit de l’anglais(Canada) par Michel Lederer

    Bilingue

    L’Olivier 2000, rééd. Points Seuil, 2019

  • Christine de Pizan, « Ce jour saint Valentin… »

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    Christine de Pizan  & Etienne de Castel, The British Library Board.

     

    L’amant

     

    Ce jour de la Saint-Valentin, ma belle dame,

    Je vous choisis pour dame pour l’année

    Et pour toujours une fois pour toutes.

    Bien que je vous aie déjà donné

    Mon amour sans faille,

    Ce jour, pour maintenir l’usage

    Des amoureux dont je fais partie,

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    Le doux printemps où tout se renouvelle

    Commence ce soir ; tout amoureux

    Doit donc ce jour retenir pour maîtresse

    Dame ou jeune fille, mais jamais

    Ne s’achèvera l’amour que sans partage

    Je mis en vous, c’est pour toujours,

    Et pour montrer que je ne cherche pas à m’en repentir

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    Je serai gai dans la saison nouvelle

    Pour votre amour, soir et matin,

    Car j’espère avoir beaucoup de nouvelles

    De vous ; j’en manifesterai une grande joie,

    Comme il est juste, si votre doux cœur

    Veut consentir à mon bonheur.

    Quoi qu’il en soit, jusqu’au mourir,

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    Souveraine de toutes, sans mentir,

    Amour m’a mis dans un tel servage

    Qu’il ne pourrait faiblir :

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    La dame

     

    Très doux ami, pour ta grande joie

    Je te choisis de nouveau et retiens

    Ce jour de Saint-Valentin, où Amour

    Prend volontiers sa proie : je te donne

    À nouveau mon cœur. Bien que depuis longtemps

    Il fût tout à toi, je te le confirme à nouveau

    Et promet de t’aimer d’un amour sûr.

     

    Pour ami, pour toujours, où que je sois

    Je t’ai retenu et jamais le lien

    N’en sera rompu. Mettons-nous sur le chemin

    De la joie dans ce doux temps, plein de félicité,

    Qui commence ce soir ; je l’affirme,

    Je suis à toi, rien ne peut m’en détacher,

    Et promets de t’aimer d’un amour sûr.

     

    Il est juste que ton cœur s’en réjouisse

    Et que pour moi, en acte et en maintien,

    Tu sois joyeux en ce temps où tout

    Se réjouit ; je me tiens aussi

    Au doux plaisir que je retiens de mon côté,

    Car vrai amour me l’a durablement donné,

    Et promets de t’aimer d’un amour sûr.

     

    Ainsi, ami, je suis à toi, sans fin

    Et promets de t’aimer d’amour sûr. »

     

    Christine de Pizan

    Cent ballades d’amant et de dame

    Présentation, édition et traduction de Jacqueline Cerquiglini-Toulet

    Poésie / Gallimard, 2019