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Gustave Roud, « Le bois-gentil »

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photogramme du film de Michel Soutter, Gustave Roud, poète, 1965

 

« Un petit arbuste aux lisières des forêts, aux pentes des ravins, parmi les broussailles des clairières, dans les jeunes plantations de hêtres et de sapins. Mais pour le promeneur d’avant-printemps, qui se repose sur la souche humide et ronde, couleur d’orange, des fûts fraîchement sciés, ce n’est tout d’abord qu’une gorgée d’odeur aussi puissante qu’un appel. Il se retourne : là, parmi le réseau des ramilles, à la hauteur de son genou, ces deux ou trois taches roses, d’un rose vineux, le bois-gentil en fleur ! Qu’il défasse délicatement les branches enchevêtrées, qu’il se penche sur l’arbrisseau sans en tirer à lui les tiges, car un geste brusque ferait choir les fleurs rangées en épi lâche, par petits bouquets irréguliers à même l’écorce lisse d’un gris touché de beige. Chacune, à l’extrémité d’une gorge tubulaire, épanouit une croix de quatre pétales charnus, modelés dans une cire grenue et translucide, dont les étamines aiguisent le rose, au centre de la croix, d’un imperceptible pointillis d’or. Et de chacune pleut goute à goutte ce parfum épais et sucré comme un miel où chancelante encore de l’interminable hiver s’englue irrésistiblement la pensée.

Mais qu’il tienne couteau en poche, celui qui voudrait cueillir le bois-gentil ! À tenter de le rompre avec ses seuls doigts, il ne parvient qu’à déraciner toute la plante ou sinon, c’est une baguette nue qui lui reste dans la main, avec des lanières de tenace écorce déchirée et leur odeur vireuse, comme celle de certains champignons mortels.

 

Gustave Roud

Les fleurs et les saisons

Photographies de l’auteur

Édition préparée et postfacée par Philippe Jaccottet

La Dogana, 1991

https://ladogana.ch/les-fleurs-et-les-saisons

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