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  • Jean de La Fontaine, « Le chat, la belette et le petit lapin »

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    Jean Ignace Isidore Gérard dit Grandville

     

    « Du palais d’un jeune lapin
    Dame Belette un beau matin
    S’empara : c’est une rusée.
    Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
    Elle porta chez lui ses pénates, un jour
    Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,
    Parmi le thym et la rosée.
    Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
    Jeannot Lapin retourne aux souterrains séjours.
    La belette avait mis le nez à la fenêtre.
    “Ô Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
    Dit l’animal chassé du paternel logis :
    Ô là, Madame la Belette,
    Que l’on déloge sans trompette,
    Ou je vais avertir tous les rats du pays.”
    La dame au nez pointu répondit que la terre
    Était au premier occupant.
    “C’était un beau sujet de guerre,
    Qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant.
    Et quand ce serait un royaume,
    Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
    En a pour toujours fait l’octroi
    À Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
    Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi.”
    Jean Lapin allégua la coutume et l’usage.
    “Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ont de ce logis
    Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils,
    L’ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.”
    “Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
    — Or bien sans crier davantage,
    Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.”
    C’était un chat vivant comme un dévot ermite,
    Un chat faisant la chattemite,
    Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
    Arbitre expert sur tous les cas.
    Jean Lapin pour juge l’agrée.
    Les voilà tous deux arrivés
    Devant sa Majesté fourrée.
    Grippeminaud leur dit : “Mes enfants, approchez,
    Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause.”
    L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.
    Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
    Grippeminaud, le bon apôtre,
    Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
    Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.


    Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
    Les petits souverains se rapportants aux Rois. »

     

    Jean de La Fontaine

    Fables (livre VII)

  • Wisława Szymborska, « Certains aiment la poésie »

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    « Certains —

    donc pas tout le monde.

    Même pas la majorité de tout le monde, au contraire.

    Et sans compter les écoles, où on est bien obligé,

    ainsi que les poètes eux-mêmes,

    on n’arrivera pas à plus de deux sur mille.

     

    Aiment —

    mais on aime aussi le petit salé aux lentilles,

    on aime les compliments, et la couleur bleue,

    on aime cette vieille écharpe,

    on aime imposer ses vues,

    on aime caresser le chien.

     

    La poésie —

    seulement qu’est-ce que ça peut bien être.

    Plus d’une réponse vacillante

    furent données à cette question.

    Et moi-même je ne sais pas, et je ne sais pas, et je m’y accroche

    comme à une rampe salutaire. »

     

    Wisława Szymborska, « Fin et début » 1993

    in De la mort sans exagérer, poèmes 1957-2009

    Préface et traduction de Piotr Kaminski

    Poésie / Gallimard 2018