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le castor astral

  • Claire Malroux, « Soleil de jadis »

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    DR

     

    « L’enfant s’apprête à franchir le pont

    serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises

    Loin, dans le bas du village

    elle a pris l’embranchement de la grand-route

    passé le dos d’âne où tient en équilibre

    la maison de l’entrepreneur des transports

    Un car lilliputien conduit les paysans

    au chef-lieu de canton les jours de foire

    De l’autre côté elle aperçoit en contrebas

    une petite maison blanche et sa terrasse adjacente au lavoir

    Elle est tombée un jour dans ce lavoir

    en glissant sur l’ombre liquide des dalles

    Le trou de la serrure découpe une allée

    de branches en fleurs sous lesquelles

    des vêtements gonflent indolemment sur une corde à linge

    et une enfant nue se balance

    rescapée du temps

     

    *

     

    L’enfant s’apprête à franchir le pont

    serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises

    Les porte à qui ?

    Elle a oublié, happée par le prodige du matin d’été

    le déluge de plis bleus sur ses épaules

    les remous argent de la rivière

    autour des rochers captifs au milieu de son lit

    Les filles de l’ogre crachent en souriant la salive de l’écume

    loin du couteau paternel

    L’enfant jette une poignée de cerises sur l’eau blanche

    Si tu avales le noyau, l’a-t-on avertie

    un arbre poussera dans ton ventre

    Un verger peut-il jaillir de l’eau ?

     

    *

     

    L’enfant s’apprête à franchir le pont

    serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises

    Plus loin la rumeur de la forge s’élève

    sinistre en ce bas-fond

    On dit que les deux filles du forgeron

    sont atteintes de tuberculose

    En face rouille la grille jamais ouverte du château

    caché par les arbres de son parc, sapins et mélèzes

    C’est un lieu interdit où n’entre

    et d’où ne sort personne

    Un sentier mouillé rongé d’ornières le longe

    Ses hautes murailles de buis

    crépitent de chaleur en été

    De ce labyrinthe on sait

    qu’on ne trouvera jamais seul l’issue

     

    *

     

    L’enfant ne franchira pas le pont

    L’univers déborde d’univers aussi ronds que ses cerises

    mais elle ne peut faire un pas

    sans déchirer la trame

    où son être est inséré

    Figée au confluent des images

    elle naît à elle-même à cet instant

    ayant découvert ses propres rives »

     

    Claire Malroux

    Soleil de jadis

    Préface d’Alain Borer

    Couverture de Colette Deblé

    Le Castor Astral, 1998

    https://www.castorastral.com/livre/soleil-de-jadis/

  • Éric Poindron, « Comme un bal de fantômes »

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    DR

     

    LES JOURS RACCOURCISSENT

     

    « Même morte je reviendrai forniquer dans le monde. »

    Joyce Mansour

     

    « Baudelaire avait une obsessionnelle et sainte peur

    de ne jamais mourir

    et de connaître le désespoir suprême

    jusqu’à la nuit des temps ;

    en écho conceptuel, Jean Starobinski imagina la notion

    d’“immortalité mélancolique”,

    où quand le spleen,

    porté à son comble,

    sait ou croit savoir que la mort

    n’y changera décidément jamais rien.

     

    Il n’y a guère Isaac Bashevis Singer,

    l’écrivain qui conversait avec les fantômes,

    dit un jour à l’immense critique Edmund Wilson

    qu’il croyait en l’existence d’une forme de survie

    après la mort.

    Wilson, sceptique et définitif,

    répondit que la survie ne l’intéressait guère.

    Non, non, ça suffit comme ça, merci.

    Singer rétorqua

    définitif à son tour

    “Si une survie a été prévue, vous n’aurez pas le choix de toute façon…”

     

    La vie peut être taquine mais c’est une sacrée complice. »

     

    Éric Poindron

    Comme un bal de fantômes Camaraderie & chemins chuchotés

    Préface de Jean-Marie Gourio

    Coll. Curiosa & cœtera, Le Castor Astral, 2017