vendredi, 20 mars 2020
Yang Wan li, « cinq poèmes autour la poésie »
« Froid tardif composé devant les narcisses sur le lac de montagne*
pour forger un poème, on ne saurait se passer du fourneau et du marteau
mais si le poème s’accomplit, ce n’est pas seulement grâce à eux
le vieil homme ne cherche pas le poème
c’est le poème qui cherche le vieil homme
Lire des poèmes
dans la jonque ma seule occupation est de lire des recueils de poèmes
j’ai fini de lire les poèmes des Tang, je lis maintenant Wang An-shih**
ne dites pas que le matin le vieillard ne mange pas
les quatrains de Wang An-shih sont mon petit déjeuner
Dans l’éclaircie au milieu de la neige, près de la fenêtre ouverte j’ouvre un recueil de poèmes Tang et y trouve un pétale de fleur de pêcher, qui me laisse songeur
au hasard j’ouvre un livre de poèmes, ce matin devant la fenêtre de neige
dedans, un pétale de fleur de pêcher, encore frais
je me souviens d’avoir emporté ces poèmes pour lire sous les fleurs
c’était au printemps, bientôt une année déjà
Ajoutant de l’eau dans le bassin des roseaux aromatiques et des narcisses
mes vieux poèmes que je relis sont de nouveau frais
une fois la lecture finie, fatigué je bâille et m’étire
ces innombrables plantes dans le bassin se plaignent d’avoir soif
mais le vieil homme a pour projet d’être un homme paresseux
Poème en réponse à Lu Yu***
enchaîné à ma fonction, du printemps je ne puis profiter
ma barbe éclaircie est devenue comme de la neige
au milieu des nuages je fréquente le poète
oubliant les affaires, notre entente est parfaite
si en vieillissant mes poèmes s’émoussent,
grâce à ton talent tes vers sont toujours impeccables
toute ma vie j’ai été ballotté,
mon écriture vaut-elle encore grand-chose ? »
* Une dizaine de jours avant le nouvel an, on installe un bulbe de narcisse dans une bassine d’eau (le lac) avec un caillou (la montagne). Le jour du nouvel an, les narcisses sont en fleurs.
** Wang An-shih (1021-1086), poète et homme d’état de la dynastie Song du nord
*** Lu Yu (733-804), poète de la dynastie Tang
Yang Wan li – 1127-1206
Le son de la pluie
Poèmes choisi et traduits du chinois par
Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988, 2008, 2017
17:05 Publié dans Chine, Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : yang wan li, poésie, le son de la pluie, cheng wing fun, hervé collet, moundarren
mercredi, 16 janvier 2019
Yang Wan li, « Le soir assis dans le studio baptisé “de l’Art de gouverner sans interférer avec le peuple” »
« porte fermée, je reste assis, mal à l’aise
j’ouvre les fenêtres pour faire rentrer une légère fraîcheur
la forêt cache le soleil
mon fils broie de l’encre d’un émeraude lumineux
spontanément ma main cherche mes recueils de poèmes
je fredonne doucement plusieurs poèmes
au début cela me réjouit
puis soudain je ressens de la tristesse
j’abandonne le recueil, impossible de lire plus longtemps
je me lève et marche autour de mon siège
les anciens avaient des griefs hauts comme une montagne
mon cœur est tranquille comme un fleuve
si je suis si différent d’eux,
pourquoi me brisent-ils les entrailles à ce point ?
mon émotion passée, je me mets à rire
une cigale hâte le soleil couchant »
Yang Wan li
Le son de la pluie
Poèmes choisi et traduits du chinois par
Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988, 2008, 2017
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lundi, 22 octobre 2018
Yang Wan Li, « Vivant retiré »
Antoine Watteau, Lao Gine ou le vieillard chinois, Musée du Louvre
« L’arbre Yuo mu, sur une île de l’Océan de l’ouest, est l’arbre au-delà duquel le soleil se couche
convalescent, j’ai du mal à marcher
longtemps assis, mon sentiment ne s’apaise pas
têtu devant ma femme,
j’ai honte d’avoir à lui demander du soutien pour me lever
je préfère faire appel à ma canne en bambou taché
à chaque pas elle m’accompagne
je n’ai pas l’intention d’aller bien loin,
je vais juste faire un tour dans la cour
quand le terrain est plat, personne ne s’en rend compte
mais si ça monte ou si ça descend aussitôt on ralentit
ma vie durant l’ambition m’a mené dans les quatre directions
les huit extrémités je les regardais comme rien
à l’ouest je me suis envolé, cassant une branche de l’arbre Yuo mu*
à l’est j’ai traversé l’océan en chevauchant une baleine
aujourd’hui me voilà allongé sur un lit en chénopode
dès que je me lève neuf fois je halète
ma force est épuisée mais mon ambition est intacte
au-dessus du lit je saisis mon épée précieuse
en plus d’être malade, j’ai mal aux pieds et suis las de rester assis toute la journée, j’écris pour tromper l’ennui
ma vue est brouillée, la neige couvre mon crâne
dans le flou sont passées les trois ou quatre dernières années
qui sait que c’est le mal aux pieds qui m’empêche de marcher ?
à me voir rester sagement à la maison, on pense que je suis assis en méditation
si mon éventail tombe de la table, je suis trop paresseux pour le ramasser
aller consulter un livre près de la fenêtre, comment me déplacer ?
les gens de ce monde tous envient les immortels parce qu’ils volent
moi, j’envie ceux qui marchent, c’est ça pour moi être immortel »
Yang Wan li – 1127-1206
Le son de la pluie
Poèmes choisi et traduits du chinois par
Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988, 2008, 2017
http://www.moundarren.com/poeteschinois/yangwanli
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vendredi, 03 août 2018
Yang Wan Li, « Dans la chaleur de midi, je monte au Kiosque de la Récolte abondante »
Shen Zhou, 1427-1509. Musée du Palais, Pékin
« dans la maison basse, la canicule, impossible de rester
dans le haut kiosque, d’air frais il n’y a pour ainsi dire pas
si le petit vent n’est pas entièrement avalé par les cigales,
un peu de fraicheur arrivera peut-être jusqu’au vieillard »
Yang Wan Li – 1127-1206
Le son de la pluie
Poèmes traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988
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dimanche, 24 juin 2018
Yang Wan Li, « Pour remercier Wu Te hua, commissaire du thé de Chian chow, qui m’a envoyé une nouvelle édition d’un recueil de Su Tung po* »
Ma Yuan (actif 1190-1225), Promenade sur un sentier de montagne au printemps (détail), peinture, encre et couleurs sur soie. Musée du Palais, Taipei
« L’or jaune, le jade blanc, des perles claires comme la lune, des chansons limpides, des danses merveilleuses, une jeune beauté à renverser une ville, les autres ont tout cela, moi seul n’ai rien. Comme Hsiang yu** je n’ai que quatre murs pour m’entourer. À part cela j’ai aussi une étagère de livres. Si elle ne suffit à me rassasier, au moins elle rassasie les termites argentés. Un vieil ami au loin vient de m’envoyer un recueil de Tung po. Les vieux livres quittent tous la natte pour lui céder la place. Quand j’étais enfant, espiègle, pour les cent choses je n’étais pas paresseux, mais quand il s’agissait d’étudier, exprès je me levais tard. Mon père se fâchait, blâmait son fils sot et m’ordonnait, l’estomac affamé, de dévorer de vieux livres abimés. Avec la vieillesse pour les dix mille choses je suis à la traîne derrière les autres. Quand avec nonchalance je prends un vieux livre pour occuper mes yeux malades, dès qu’ils rencontrent le livre mes yeux malades se brouillent. Les caractères gros comme des mouches deviennent de vieux corbeaux. Mes yeux malades, que peuvent-ils donc faire avec de vieux livres ? Quand je feuillette un vieux livre, tout le temps je soupire. Ce recueil de Tung po je l’ai déjà, mais avant d’arriver au dernier chapitre ma main s’arrête. L’encre est imprimée de façon floue, le papier n’est pas bon. Ni bon papier, ni bonne calligraphie. Mais le texte vient d’être gravé sur du bois de jujubier de Fu sha. La gravure fidèle, vigoureuse et svelte ne trahit pas l’original. Le papier est comme un cocon de couleur de neige qu’on sort d’une bassine de jade, les caractères comme le dessin des oies sauvages du givre sur les nuages d’automne. Avec la vieillesse mes deux yeux voient comme à travers le brouillard, quand ils croisent des saules, quand ils croisent des fleurs, ils ne les remarquent même pas. Mais chaque fois qu’il croisent un beau livre neuf, toute la journée ils l’apprécient, ne veulent plus le quitter. Tung po est encore plus fou que moi, il a refusé d’échanger sa veste de toile grossière pour devenir l’un des trois ministres. De son pinceau surgit un langage étonnant, à balayer les chevaux ordinaires de dix mille générations. Vieil ami, tu t’apitoies, comme en vieillissant je deviens plus obtus, au lieu de m’envoyer un élixir pour soigner mes os malades, tu m’envoies ce livre pour me bousculer un peu. Je gratte ma tête blanche jusqu’à ce que la lampe bleue s’éteigne. »
* Poète, peintre, 1037-1101
** Chef militaire de la fin de la dynastie Qin, 232-202 av. J.-C. Selon la légende il se serait décapité lui-même.
Yang Wan Li
Le son de la pluie
Traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988
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mardi, 19 juin 2018
Yang Wan Li, « Dans la Barque sous la neige, fatigué je m’endors »
« J’ai construit un petit studio, de la forme d’une barque, aussi l’ai-je appelé la Barque du pêcheur sous la neige. Aujourd’hui j’y étudie, fatigué m’endors. Brusquement le vent entre dans la pièce, remue dans le vase les fleurs de prunier si parfumées. Réveillé en sursaut, je compose ce poème.
une petite chambre, la fenêtre claire, la porte à moitié fermée
lisant un livre je m’endors, tout engourdi
impudentes les fleurs de prunier me dérangent
exprès elles dégagent leur parfum pour briser mon rêve »
Yang Wan Li – 1127-1206
Le son de la pluie
Poèmes traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988
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