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lionel bourg

  • Michèle Desbordes, « Les Petites Terres »

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    © Vincent Fournier

     

    « […] Il y aura ce que nous avons été pour les autres, des bribes, des fragments de nous que parfois ils crurent entrevoir. Il y aura ces rêves de nous qu’ils nourrirent, et nous n’étions jamais les mêmes, nous étions chaque fois des inconnus magnifiques qu’ils inventaient, ces idées de nous telles des ombres fragiles dans de vieux miroirs oubliés au fond des chambres, et qui ajoutées à nos propres rêves, nos propres et inlassables tentatives de nous-mêmes, composeront durant quelques années encore de la vie sur cette terre cette étrange et brillante, et croirait-on inoubliable mosaïque, où rien, ni personne ne permettra de dire vraiment qui nous fûmes, et le jour viendra où disparaîtra jusqu’au dernier de ces souvenirs et de ces rêves, de ces idées de vie, et il n’y aura plus nulle part, pas même dans les livres que parfois nous écrivîmes, où chercher ce que nous fûmes. Qu’aurons-nous donc été et pour qui ? Et combien de créatures, combien d’ombres cheminant les unes près des autres dans la lumière des crépuscules, ces cortèges silencieux et recouverts de poussières des fins de jour ? Et qui jamais comprendra ? »

     

    Michèle Desbordes

    Les Petites Terres

    Verdier, 2008

    https://editions-verdier.fr/auteur/9968/

     

    Vient de paraître, à l’initiative des Amis de Michèle Desbordes, un fort et passionnant volume qui lui est consacré, publié aux éditions Le Silence qui roule, par les bons soins de Marie Alloy – des très beaux textes/témoignages de Lionel Bourg, Michelle Devinant Romero, Jacques Mény, Jean-Pierre Petit, Marie Alloy (qui, en outre, scande l'ensemble de ses gravures & peintures), Marieke Aucante, etc.

    On peut se le procurer soit en adhérant à l’association,

    https://lesamisdemicheledesbordes.wordpress.com/category/contributions/

    soit en le commandant à l’éditeur, https://www.lesilencequiroule.com/

  • Lionel Bourg, « J’y suis, j’y suis toujours »

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    « Rien ne devrait avoir de terme.

    La route pas plus que le chemin.

    La houle ample des gestes amoureux, le babil des nourrissons ni le vers du poème béquillant pied à pied, le bruit du cercueil que l’on cloue dans la poitrine, l’orage, l’averse ou, l’hiver, les merveilles de la neige.

    Interrompant le pas, j’ai chuchoté deux ou trois mots à celle que j’accompagne.

    Elle sourit. Me montra des cageots moisis, les cieux striés d’éclaboussures, une bicoque à cheval sur la voûte enjambant la rigole qui moussait sur l’asphalte.

    Nos doigts s’unirent.

    Nous fûmes émus. Un peu. Beaucoup. L’amour n’a pas d’âge. »

     

    Lionel Bourg

    J’y suis, j’y suis toujours

    Fario, 2015

     

    pour le 20 octobre 1990

     

  • Lionel Bourg, « L’échappée »

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    Lionel Bourg au 20 ans de L'Escampette à Chauvigny, mai 2014

    © C. Chambard

     

    « Une phrase une seule, inachevable.

    Mouvante des sables indistincts qu’elle charrie, du lœss, des alluvions transportées au fil des mots, méandre après méandre, entre ses muscles d’onde soyeuse qui se contractent avant de se détendre le long des berges, enveloppant les branches et les racines des arbres ployés au-dessus des remous. Une phrase parfaite. Indissociable du frisson des feuillages que l’orage chahute et que le vent oblige à se tordre comme en une même flamme liquide, une phrase qui monte, descend, s’apaise ou se rebiffe, répercutant au détour d’une virgule ou d’une parenthèse le chuintement pluvieux dont elle ne saurait se défaire. Une phrase, rien qu’une phrase, ce fut cela, l’étape de la Grande Chartreuse du Tour 1958. Gaul me la susurra mieux que les plus grands stylistes. Je l’écoutais. L’entendais. Jamais mon attention ne s’était si résolument tournée vers le mouvement chaloupé d’un verbe, d’un adjectif, de sorte que, sauvage encore, inculte mais irriguée par les chansons de maman, les alexandrins qu’elle clamait, les cantiques, les paillardes et les refrains révolutionnaires que je reprenais sans comprendre – mais si, je comprenais, j’ai tout compris, bambin, la folie, la tendresse, la mort, la violence, le mépris, l’injustice, la révolte, la haine –, elle naissait débordante, ma passion des noms, des syllabes comme de cette grammaire onctueuse où je plantai l’ergot, léchant à son extrémité la pâte qui venait de lever, pleine de songes. »

     

    Lionel Bourg

    L’échappée

    L’Escampette, 2014

  • Lionel Bourg, « La croisée des errances »

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    Lionel Bourg

    La croisée des errances (Jean-Jacques Rousseau entre fleuve et montagnes)

    Dessins de Géraldine Kosiak

    La Fosse aux ours

    184 p. ; 16 €


    « La vie que l’on choisit — qu’on assume — n’est pas indifférente, pas autonome de notre perception de la souffrance comme de l’iniquité régnant parmi les hommes » écrit page 126 le meilleur camarade de Jean-Jacques qu’il me fut permis de rencontrer. Je suis fidèle à Jean-Jacques depuis l’adolescence, à Lionel* depuis notre grand âge. Et voici que depuis sa terre Lionel Bourg nous écrit son affection pour le marcheur qui jamais sans doute depuis qu’il écrivit son œuvre ne fut plus « moderne » , en plein dans l’actualité peu réjouissante de notre monde dont on dirait qu’il l’a anticipé. Ici nous suivons Jean-Jacques dans son incessant voyage, dans ses nuits à ciel étoilé, aux côtés de ses femmes — c’est compliqué —, dans son inlassable construction. Aimer et être aimé, trouver un havre de paix, une île — Saint-Pierre**­ —, marcher, penser, écrire, « En lui, cela gigote. Grogne, bouillonne. Quelque animal chafouin le ronge. Sa santé décline. La jeunesse l’abandonne. Il ne balancera plus : l’intelligence que l’on a du réel ne peut être que sensible ». Et la conscience sociale, très tôt, « fidèle à ses frères les plus pitoyables », alors qu’on brûle ses livres à Genève, lui, le solitaire, sans perruque, en manteau oriental et bonnet, sans montre, « jamais très content, ni heureux […] il ne répudie ni convictions ni songes ». On l’aime Jean-Jacques qui ne recule pas, qui écrit sur des cartes à jouer et qui marche — « L’espace qu’il dépeint garde partout la mesure de son pas. » — et l’on se glisse dans ce carnet de route pour un voyage interminable et salvateur en compagnie de deux bons camarades.

     

    Claude Chambard

     

    * Oui, Michel a raison : «  Il fallait bien que tu le fasses, un jour, ce bouquin. »

    ** regarder à ce propos le passionnant DVD du film de Christian Baudillon et François Lagarde. : Entretiens de l’île Saint-Pierre, dialogue entre Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Christophe Bailly, édité par Hors Œil, 2006


    Cet article a paru initialement dans CCP 24

    2ème semestre 2012