[…] J’ai huit ans. Un polo blanc et par-dessus, un pull bleu marine sans manche et col en V. Ferdinand a fait apporter le piano droit dans notre maison. Il a suivi le camion dans sa voiture. Il observe l’installation dans notre bureau, au rez-de-chaussée avec une fenêtre qui donne sur le jardin. Un monsieur viendra pour l’accorder, pour que je puisse jouer. Ferdinand a dit le piano sera bien ici. Maman a trouvé un tabouret à ma taille et une méthode pour débutant. Je ne connais pas les notes, je joue des mélodies simples à l’oreille, j’essaie de reproduire les gestes de maman.
C’est dimanche. Jeanne et Ferdinand sont venus déjeuner. Papa et maman ont aménagé le grenier en salle de jeux. Il y a aussi nos bureaux, un cadeau de Jeanne et Ferdinand. En pin vernis. Un plateau sur des tréteaux. Et une lampe d’architecte noire offerte par papa. Après le repas, nous allons jouer. Ferdinand monte l’escalier. Il s’assoit à mon bureau. Mon cartable est ouvert. Je lui tends mon cahier de poésie. J’ai illustré Le Dormeur du Val. Il regarde. Il attend. Je récite, raide comme un I.
Ferdinand me montre ce qu’il a trouvé, des pointes de flèches, des silex taillés, des gros des petits. Il me raconte. Quand il a fini, il attrape un sac de toile et y range une partie de son trésor. Il y a un dessin sur le sac, un chasseur armé d’une lance. Il me dit c’est pour toi. J’ai accroché le sac derrière mon bureau. J’ai étalé les silex devant moi. La pierre est douce. Du caramel au beurre salé.
J’ai neuf ans. C’est l’été. La maison est fraîche. Je suis assise dans l’escalier en bois qui mène à la chambre de Ferdinand. Au-dessus de moi, les casquettes de Ferdinand sont accrochées. Elles sont toutes pareilles, des caquettes de marin, plates avec une visière, bleues presque noires. L’intérieur est satiné et matelassé. Je voudrais en attraper une et la mettre sur ma tête. Depuis la quatrième marche, je peux tendre le bras et choisir. Mais je reste assise à les regarder. Ferdinand s’est endormi dans le salon, devant la télé. Sur son fauteuil, il se tient bien droit.
En face de la chambre de Jeanne et Ferdinand, il y a une porte. Elle mène dans le grenier sous les combles. Je n’y suis jamais allée. Ferdinand est devant la porte. Je suis derrière Ferdinand. Il me dit viens. Il y a deux pièces. L’une est tapissée d’étagères remplies de bocaux, de provisions, de boîtes en cartons, de vêtements rangés dans des plastiques transparents. L’autre pièce est fermée par une porte. Ferdinand l’ouvre. Les murs sont recouverts de bâches noires opaques et luisantes comme des sacs poubelle. La lumière est rouge. Il y a des cordes tendues entre les parois, des gros bidons remplis de liquide, des bacs, un appareil que je n’ai jamais vu. Ferdinand me montre. J’imite ses gestes. Des images apparaissent sous nos doigts.[…]
Lucie Braud
Ferdinand
Coll. Alter & Ego
Éditions de l’atelier In8
32 p. 4 €
isbn : 978.2.36224.017.1
http://editions.atelier-in8.com/catalogue/collection-alter-a-ego/ferdinand/?category_id=3&flypage=flypage.tpl
photographie : Claude Chambard