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sang des glaciers

  • Éric Pessan, « Sang des glaciers »

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    DR

     

    « Le Barbo, Machicruta, Ratepenate, Nitoula, le Coco peint par Goya, Carabibounet, la Came-cruse, Papotchantel, Micaraouda, la Lamia, Babo, le Grand Lustucru, Mâchecroute, Rafagnaoude, Pattier, le Fillou, le Cueulo, Carco-Vieio, la Rafagnoude, le Bègue, la Marie-Couette sont des croquemitaines, des Père ou Mère Fouettard, des ogres qui punissent les fils et les filles désobéissants. La Marronne, la Garaoude, Couché-huit-heures, Sarramauca, Pelharot le chiffonnier se chargent de châtier les enfants. Des milliers de créatures vivant dans des puits, dans les bois, sous les toits, dans la cendre des cheminées ou dans les angles des chambres observent les enfants pour mieux les frapper ou les battre ou les manger s’ils ne sont pas sages. Banya Verde, le Coquelin, Chiapacan, la Faye daou mau parti, Barbe-Citrouille ou l’Ome pelut vont bouffer les gosses, les déchiqueter, les conduire dans l’ombre d’où jamais ils ne reviendront. Rampono et la Mère-de-la-nuit viendront avec Grand-Papa Janvier et le Père Babaloum et ils sauront mater les gamins les plus indociles, ils les tortureront, ils les briseront s’il le faut, ils broieront leur âme et leur volonté et les enfants rentreront dans le rang.

    L’homme ne sait plus où il a lu que dans toutes les cultures, sur tous les continents, l’humanité a su ajouter des dangers imaginaires aux dangers réels.

    Mère-en-Gueule et la Vouivre, Nòchtgròbbe et Bonhomme Misère planteront leurs dents gâtées dans la chair des gosses. Des hordes et des hordes de choses mi-humaines mi-griffues qui menacent les enfants avec la complicité de leurs propres parents. Des crocs et de la méchanceté qui peuvent compter sur la complaisance des adultes. C’est le répugnant scandale des croquemitaines : ils secondent les parents, ils ne sont pas des menaces extérieures comme une armée ennemie ou un diable, ils viennent prendre le fils indocile désigné par son père, la fille dénoncée par sa mère. Ils sont les instruments d’une justice terrible et atroce, d’une justice sans pardon ni compassion. Qu’un garçonnet escalade un mur pour voir ce qu’il y a derrière, qu’une fillette s’aventure jusqu’au croisement du chemin et ils seront là pour les attraper et les dissoudre dans la douleur infinie. »

     

    Éric Pessan

    Sang des glaciers

    Coll. « Pépites », La Passe du Vent, 2016

    http://www.lapasseduvent.com/