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Michel Chaillou, “le dernier des Romains”

chaillou.jpgConnaissez-vous Montauvert ? Et la Gartempe, cette rivière un peu sorcière qui la traverse ? C’est en Poitou, dans la Vienne même, au sommet d’un triangle dont Chauvigny et Saint-Savin seraient la base.
C’est là que Samuel Canoby est nommé dans un « vieux lycée pacifique » après sa démobilisation, après l’expérience traumatisante de la guerre d’Algérie.
Samuel vient de divorcer d’Ange et il n’imagine pas rester célibataire bien longtemps. Il aime trop les femmes pour rester seul, dans le studio de Poitiers, au-dessus du garage, dans sa chambre d’hôtel de Montauvert ou dans la maison qui penche au bord de la Gartempe. Entre deux bavardages avec Jean Raison, latiniste distingué et obsédé et son amie Jane, entre un voyage en Espagne avec le proviseur et un autre avec Carole, entre Apulée, la Possonnière de Ronsard et les cauchemars de la guerre d’Algérie, entre le fantôme de son père, Alex dit Ray, et ses savants conseils de séduction, et les lettres de sa mère, Charlotte Eva, installée au Brésil, entre deux tours avec la Ford Anglia – à moins que ce ne fut une Fiat–, Samuel – dont Michel Chaillou nous livre ici le tome quatre des aventures, après La croyance des voleurs, Mémoires de Melle et La vie privée du désert – qui a pris de l’âge, se souvient avec tendresse et bonheur de ces quelques mois au retour de la guerre, se souvient de Mélissa, de Carole et des autres… et ce sont des visiteurs, comme seul l’auteur de Domestique chez Montaigne ou du Sentiment géographique sait nous tirer le portrait, qui viennent, précautionneusement mais puissamment nous raconter le temps et l’amour qui toujours nous tiennent au cœur et à la vie.

« Les masses de terre qu’il soupçonnait à droite et à gauche, en fait c’était à Montauvert son lit, sa montagne d’oreillers et la paix du Poitou. Il rêvait, songeait trop. De point d’eau, nul besoin désormais, elle frémit partout sous la terre dans cette heureuse région de France où l’on ne compte plus les fontaines et les sources et où l’herbe pousse haute et où l’on ne s’éclaire pas à la bougie.
La chandelle, c’est bon pour les contes à endormir les enfants, et alors il se levait s’il était assis, ou s’asseyait s’il était debout. Il se devait maintenant de se sentir vivre, exister, allant aussitôt pour s’en convaincre se rafraîchir le front, s’inonder la bouche, que plus aucun mot torréfié n’en sorte sec comme cet Est algérien que le soleil momifiait, et surtout il lui fallait apprendre à ne plus se souvenir, à rejeter au loin et à jamais ce terrible sentier que la centaine de parachutistes allaient emprunter et dont il ne voulait plus qu’il lui entortille les pieds à Montauvert.
« Je suis libre, libre », il lui arrivait de crier dans la maison qui penche, et les chaises, qui ne demandaient qu’à le soutenir, approuvaient toutes, j’en suis sûr, craquant par sympathie plus que d’habitude, et dans l’évier de la cuisine jusqu’au vieux robinet qui consentait à perdre quelques gouttes d’approbation.
Mais il y avait cet étage condamné au-dessus de sa tête où il avait imaginé de stocker toutes ses frayeurs, celles parfois qui le faisaient tomber du lit quand, ses cauchemars le prenant à bras-le-corps, il luttait contre sa mémoire. »

Michel Chailllou
Le dernier des Romains
Fayard, 2009
13,5x21,5 ; 448 p. ; 22 €

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