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  • Thomas Bernhard, « Montaigne. Un récit »

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    « J’ai toujours aimé Montaigne comme personne. Toujours je me suis réfugié auprès de mon Montaigne lorsque j’éprouvais cette peur mortelle. J’ai laissé Montaigne me guider et me conduire, me mener et me séduire. Montaigne a toujours été mon sauveur et mon secours. Quand bien même j’ai fini par me défier des autres, de ma pléthorique famille philosophique française, qui n’a jamais compté que quelques cousins et cousines venus d’Allemagne ou d’Italie, rapidement disparus qui plus est, Montaigne est toujours resté pour moi une sorte de refuge.

     

    Je n’ai jamais eu ni père ni mère, mais j’ai toujours eu mon Montaigne. Mes géniteurs que je ne saurais qualifier de père et de mère, m’ont rejetés dès l’origine, et j’ai tôt fait de tirer les conséquences de ce rejet, me réfugiant tout droit dans les bras de Montaigne, voilà la vérité. Montaigne, me suis-je toujours dit, est à la tête d’une famille philosophique extraordinairement prolifique, mais jamais je n’ai aimé les membres de cette famille philosophique autant que son chef, mon cher Montaigne. »

     

     Thomas Bernhard

     Goethe se mheurt

     Récits traduits de l’allemand par Daniel Mirsky

     Gallimard, 2013

  • Jean-Paul Chague, « Expansion sans profondeur »

    jean-paul chague, Expansion sans profondeur, l'attente

    « tant de nos livres sont muets

     

    à quoi l’attribuez-vous     des corps

    pourtant y passent entre les lignes

     

    ni cris ni revendications qui les fassent

    se retourner     désir plaisir même

    demeurent affaire privée

     

    ils passent ce sont des entités

     

    ni hoquets ni râles ni murmures

    ni douleur à opérer l’organique

    nous est une langue étrangère

    et tombe de la bouche une mélopée »

     

     Jean-Paul Chague

     Expansion sans profondeur

     Coll. Philox, L’Attente, 2013

  • Michel Chaillou, « Le Sentiment géographique »

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    « M’étais-je assoupi ? Il me semble avoir beaucoup parlé durant mon sommeil. Qu’ai-je bégayé ? le souvenir m’ombrage encore d’une espèce de causerie par moments fredonnée à deux sous un orme. Quelle heure est-il ? l’obscurité est si grande que je distingue à peine le livre tombé au pied du canapé. Est-ce moi ces ténèbres dans la glace ? d’Esguilly fut défiguré dit-on ; serait-ce son absence de visage qui annule le mien ou la folie du réveil tuméfiant passagèrement les traits ? les oreilles me tintent toujours d’une flûte achevant je ne sais quoi devant un courant emportant l’âme. Au lieu d’un clocher proche j’entends l’étourdissant battement de mon cœur. Est-ce la nuit, le jour ? Il faudrait repousser les lourds volets pour retrouver l’intelligence de la chambre, de cette bâtisse que mon angoisse tourmente d’une architecture compliquée, voire d’une rampe à pente douce débouchant sur un panorama aussi intime que celui de mes yeux actuellement aveuglés, il faudrait écarter les persiennes pour fixer l’esprit, clouer du cri du coq l’imagination qui trop vagabonde, il faudrait, mais le sentiment m’envahit, alors que tâtonnant je redresse du bras une chaise que mon genou renversa, le sentiment me submerge, et me voilà déjà loin dessous l’eau, que passer la tête à la fenêtre c’est courir le risque d’être interpellé dans une langue tournoyante comme le remous de la gueule des chiens, de meutes peut-être ségusiennes ou ségusiaves aboyant silencieusement à la lune d’une terre échevelée. Je n’ose ouvrir. »

     

     Michel Chaillou

    Le Sentiment géographique

    Gallimard, coll. Le Chemin, 1976

    rééd. Coll. L’Imaginaire, 1989

     

     pour accompagner Michel, ce jour, au Père-Lachaise

     

    Un document de 1969 : http://www.ina.fr/video/CPF10005607

  • Michel Chaillou

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    En pensant à Michèle, David, Mathilde & Clément.

     

    Notre ami Michel Chaillou est mort, mercredi 11 décembre, il avait eu 83 ans le 15 juin. Depuis je ne cesse de revenir à ses livres, ses livres qui m’accompagnent depuis des années et des années. Ses livres sans lesquels la vie aurait moins de saveur, sans lesquels la langue aurait moins de saveur. Car quelle langue que celle de Michel. Quel styliste, quel conteur. Je me souviens de notre première rencontre à Poitiers, en 1989, lors des journées « À quoi sert la littérature ? » en compagnie de Florence Delay, de Claude Margat, de Jean-Loup Trassard, de Jacques Roubaud, de Juan Benet — qui voulait se faire ouvrir les églises poitevines en pleine nuit et avec qui nous étions allés voir la maison où vivait Pierre-Jean Jouve étudiant avant de finir la nuit dans sa chambre d’hôtel à boire beaucoup trop — et de bien d’autres… Je l’ai invité avec Michèle de nombreuses fois en Aquitaine pour parler de lui, de son travail,  de Montaigne — les lycéens silencieux suspendus à ses paroles, à son verbe inoubliable qui faisait tout passer avec une immense générosité —, de ses lectures… Nous avons pris des ascenseurs, nous sommes descendus dans des caves, dans des parkings souterrains, nous avons roulé la fenêtre fermée… lui qui était claustrophobe… nous étions bien ensemble, souvent il faisait croire que j’étais son jeune frère car nous avions tous deux les cheveux bouclés. Michèle à l’inoubliable regard souriait à toutes ses gamineries. C’était simple et heureux. Je devais écrire un livre sur la tauromachie pour sa collection chez Hatier « Brèves littératures », d’une richesse considérable, mais qui fut arrêtée trop tôt. J’ai publié son magnifique texte : Les livres aussi grandissent — à l’enseigne de À la campagne, éditeur discret — qu’il avait écrit pour le salon du livre de jeunesse de Montreuil, puis nous l’avons réédité au crl Aquitaine. Ils sont venus faire quelques étapes lors de l’écriture de La France fugitive, cette randonnée rêveuse dans des paysages avec Michèle, un couple d’amoureux (depuis 1966) dans la petite Twingo (un vrai personnage) — « À dire vrai, je n’ai jamais su partir. D’abord pour partir, il faut être là, or je suis tellement toujours ailleurs, distrait, préoccupé, filant ma laine. ». Alors ils sont revenus pour le plaisir de l’amitié. Ils ont déménagé d’un premier appartement pour s’installer au coin du boulevard du Montparnasse, c’était moins haut et plus vivant… David, le fils aimé, compositeur, vit à quelques encablures, les deux petits enfants sont tout près… Michel s’en est allé… il nous reste ses livres pour toujours et tant et tant de beaux souvenirs. Et sa voix dans les oreilles, sans fin.

     

    Ses livres, de Jonathamour son premier en 1968 chez Gallimard à  L’Hypothèse de l’ombre qui vient de paraître toujours chez Gallimard, en passant par ce qui est le plus singulier dans son œuvre Le Sentiment géographique, ou l’incroyable Domestique chez Montaigne, La Croyance des voleurs qui l’a sans doute fait repérer d’un plus vaste public avec son incipit inoubliable : « Chez nous on a une table, quatre chaises, plus l’éternité. », puis ce furent par exemple cet étonnant hommage à Pouchkine, La Rue du capitaine Olchanski : roman russe,  Mémoire de Melle qui le vit reprendre le roman familial, La Vie privée du désert, Le Ciel touche à peine terre, Indigne indigo, Le Matamore ébouriffé qui lui ressemble tant, 1945, Le Dernier des Romains, La Fuite en Égypte et tant d’autres, car c’est une œuvre immense et abondante que Michel nous confie, à nous maintenant d’en prendre soin et de la faire passer.

     

    On peut le retrouver sur son site : http://michel-chaillou.com/index.php

    On pourra relire aussi un petit article et un extrait du Dernier des Romains sur mon blog :

    http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2009/06/16/michel-chaillou-%E2%80%9Cle-dernier-des-romains%E2%80%9D.html