Jacques-Marie Dupin, « Opus incertum »
« Déplorable déformation de l’esthétique — est-ce encore de l’esthétique ? — en tout cas du jugement. Ce n’est plus son œuvre qui compte, mais sa vie. La corde de Nerval ou d’Essenine, la drogue de Gilbert-Lecomte et Brasillach nazi ou fusillé.
Je donne moi-même dans le panneau. Je lis avec avidité ces bandes dessinées. Les accidents les plus communs y prennent des noirceurs corrosives d’estampes. Rops ou Daumier de bazar.
Qu’en restera-t-il à l’état de fragments, quand les barbares seront passés par là et qu’ils ne seront plus, comme Empédocle ou Sapho, que des noms pourvus de légendes ? Peut-être racontera-t-on aux enfants que Mallarmé s’est jeté dans un volcan.
C’est faire, au demeurant, bon marché de la vertu de l’acteur. Dès qu’il y a public, il y a théâtre, et le malheur comme les cris : déguisements. Là-dessus, la parole terrible de Jacques Rigaut :“Vous êtes tous des poètes, et moi je suis du côté de la mort.” Des poètes, c’est-à-dire des farceurs. À moins que ce ne soit la mort elle-même qui soit une farce, un suprême déguisement.
Quant à l’apostrophe de Rigaut, elle n’est terrible, il faut bien l’avouer, que par ce codicille décisif : la balle qu’il s’est tirée posément dans le cœur.
S’il était mort de vieillesse comme tout le monde, elle ferait plutôt sourire.
Illustration, s’il en était besoin, par le cercle vicieux où je viens moi-même de m’enfermer, de la ténacité de ces déplorables errements. »
Jacques-Marie Dupin
Opus incertum
Préface de Kenneth White
William Blake & Co. Édit, 1984
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