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  • Guillaume Decourt, « Le cargo de Rébétika »

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    DR

     

    «  VI

    Grupetta est bien jolie.

    Elle est bien gentille mais n’entend que peu

    ce que mon intérieur demande, un couscous

    ou bien son fameux bœuf bourguignon qui me comble

    tant et tant.

    Je n’ai droit qu’à du réchauffé :

    tambouille qu’elle prépare au retour de la chasse aux huîtres.

     

    X

    C’est peu dire qu’à l’Hôtel de l’Existence nous jouîmes,

    elle criait si fort qu’au matin les hommes

    de chambre tenaient leurs yeux baissés.

    Et le petit déjeuner ! Par les meurtrières on apercevait les mouettes

    en croquant nos tartines. Je puis dire

    que cela ressemblait au bonheur comme

    deux gouttes d’eau.

     

    XVI

    Une olive entre deux seins semblait

    une tache de vin,

    elle avait aussi un grain de beauté sous l’aisselle

    droite, ses amants anciens, austères, n’en firent point leur miel,

    Grupetta.

     

    XXIV

    Je connus Rébétika par le biais de l’acupuncteur. Elle louait mansarde

    dans son arrière-cour et flânait à heure fixe autour de

    la Fontaine aux Affins. Plus que son tape-cul

    ce fut son sourire dilapidé qui

    me fit percer le judas. Dure d’oreille et la salive propre comme

    atout premier. Elle ne fut pas insensible à mes

    bégaiements de soutier.

    Nous signâmes pour une barcarolle bien déterminée.

     

    XL

    Grupetta, Rébétika.

    J’ai pêché à la senne des petits poissons de remembrance

    dont on peut manger la tête et la queue

    sans frémir.

    Grupetta, Rébétika. »

     

    Guillaume Decourt

    Le cargo de Rébétika

    Lanskine, 2017

    http://www.editions-lanskine.fr/

  • Jacques Réda, « Châteaux des courants d’air »

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    DR

     

    « Mes fenêtres donnent à présent sur des jardins aux essences diverses – vernis du Japon, érables, marronniers, cytises, tilleuls, lilas, buddléias – échantillons bien spécifiques (il ne manque qu’un figuier) de ce que fournit spontanément la conjonction, sous cette latitude bénigne, d’une terre opiniâtre et du songe de jardin des Plantes qui hante ses occupants. Ainsi, très tôt le matin, quand le jour se diffuse comme du lait dans l’épaisse bouteille verte qui danse sous les ponts, d’un coup dix mille oiseaux actionnent les aiguilles et ciseaux d’un énorme atelier de couture, ou – par brouillard – se taisent pour exalter ce merle unique de l’enfance, appelant encore du cœur d’un monde plus pur que le cristal. Vers six heures, le soir, un soleil discret pénètre dans la cuisine, et s’y tient de profil comme une jeune femme qui repasse en souriant. Alors j’entends vibrer plus fort, symétrique de l’arc de la Seine, la corde qu’entre le pont Mirabeau et le pont de Tolbiac tend cette longue voie qui change quatre fois de nom, coupe trois arrondissements, y redistribue le trafic et la vadrouille vers les nefs vides de Citroën, les jardins cachés d’Alésia, les vallons de Montsouris et la farouche autonomie de la Butte-aux-Cailles. Unissant le clocher prétentieux d’Auteuil et la douce colonnade de la Nativité sous les rameaux païens de Bercy, elle s’insinue elle-même sous un fin poudroiement de feuillages. Acacias, gleditschias et autres espèces parentes ou ressemblantes (on s’y perd) s’y gravent en hiver sur des ciels tendrement lithographiques, et s’épanchent l’été dans les bleus par bouffées tropicales. Telles sont aussi la rue des Pyrénées ou la rue Caulaincourt, bien sûr indissociables des régions qu’elles desservent, délimitent, font communiquer, mais dont je sens mieux, la nuit, de mon nouveau point d’ancrage, quelle dimension mentale elles ajoutent au corps de la ville : rues en perpétuel mouvement comme dans les rêves, où c’est la ville qui se rêve et navigue en tout sens à travers les strates de pierre, de vie et de mémoire qui forment une épaisseur, réinventant à mesure les lois de son instable gravitation. Car si Paris semble devenir par instants une ville imaginaire, il faut dire qu’elle est avant tout une ville imaginative, voire jusqu’à un certain point mythomane (tous ces endroits où elle se prend pour Changai, Chicago, Conakry), sans cesse en quête d’elle-même sous le front rassurant que nous tendent les monuments de sa gloire. Sans doute redevable de ces dispositions aventureuses à la proximité de la mer (la lumière y est de sable et d’écume, l’air volumineusement libre et vert), peu à peu ses métamorphoses influent sur le promeneur. Il se pressent à son tour imaginé, promené comme l’antenne vagabonde et réflexive de la ville dans ses humeurs passagères (un coup de vent de carrousel d’automne au Luxembourg, un rayon qui, en un clin d’œil, porte à l’incandescence huit cents balcons de la rue de Grenelle), ou dans des lieux où, au contraire, elle peut céder au vertige d’une idée fixe (rue de l’Évangile, rue Leblanc), s’épanouir avec l’évidence d’une vérité bonne et majestueuse (l’avenue Parmentier, l’avenue Trudaine, l’esplanade du pont Alexandre et des Palais), et ailleurs répéter, parce que c’est instructif et nécessaire, la conclusion d’un raisonnement : telle, entre la Bastille et le fleuve, la vieille rame de métro qui, virant et grinçant, se réextirpait du sous-sol vers les nuages avec une placide régularité de geyser et une sourde véhémence axiomatique. »

     

    Jacques Réda

    Châteaux des courants d’air 

    Gallimard, 1986

  • Pierre Dhainaut / Caroline François-Rubino, « Paysage de genèse »

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    « Obscur, l’horizon au fond de l’espace

    puisque nous prétendons l’atteindre, mais rien,

    rien ne s’éteint dans les yeux, dans la voix

    de connivence : l’air n’a besoin que d’air,

    pour eux il n’a pas de secret. »

     

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    Pierre Dhainaut / Caroline François-Rubino

    Paysage de genèse

    Voix d’encre, 2017

    http://www.voix-dencre.net/spip.php?article332

     

  • Esther Salmona, « Amenées »

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    DR

     

    « 7 février 2014, 11h08 : Placard du fond à gauche dans la grande chambre : vide. Papier marron comme gras, enlevé déchiré avec bruit strident, des petits zones, effilées, adhèrent encore aux étagères. Le buffet : vide. L’alcôve du fond : restent deux cantines. La salle de bains : presque vide, reste le meuble avec la plaque de marbre. Le placard de la petite chambre : vide. Restent les morceaux de lé, trop grands pour les étagères, repliés à la bonne dimension, fleuris, pas pu les enlever — au dernier moment, à la fin, le dernier jour. Petite table de chevet à roulettes : vide. Tiroirs du secrétaire : vides. Placard de communication entre la chambre du fond et la petite chambre : vide.

     

    * * *

     

    19 février 2014, 19h32. Cette douleur de la perte, au début, anesthésie et puis par vagues arrive, va chercher chaque fois dans des profondeurs qu’on découvre grâce à elle, on en sourirait presque de cette exploration, long masque aux bords effrangés. »

     

    Esther Salmona

    Amenées

    Éric Pesty Éditeur, 2017

    http://www.ericpestyediteur.com/