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Louis-René des Forêts, « Poèmes de Samuel Wood »

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© Jacques Robert / Gallimard

 

 

« En navigateurs aussi hardis qu’aveugles

Peu leur importe où ils mettent le cap, ils foncent

Par tourmentes et naufrages jusqu’au point suprême

Et c’est le même pour chacun d’entre nous

Ils n’y cueilleront après tant de vaillance

Que le fruit empoisonné des ténèbres

Auquel devra goûter pareillement quiconque

Pour retarder la redoutable échéance

Ne s’aventure qu’à petits pas prudents

Ou cherche refuge dans les tâches ordinaires.

Plus rares ceux qui lui trouvent si peu d’amertume

Qu’ils le consomment comme un philtre bénéfique

Délivrés d’eux-mêmes et rendus au sommeil

Tels ces risque-tout malmenés par le sort

Engloutis corps et biens dans l’abîme des mers.

 

Pour nous qui ne l’avons pas bu avant l’heure

Quand sonnera celle d’en approcher nos lèvres

Puissions-nous l’avaler sans faire de manières

Quoiqu’il en coûte d’y être astreint par l’âge

Non par libre volonté de se détruire

Ni dans le tumulte d’une action conquérante

Mais le cœur viendrait-il à nous manquer

Mieux vaut blêmir devant ce fiel à boire

Que rougir d’avoir encore envie de vivre

Ne fût-ce qu’afin de réparer nos torts

Qui grèvent la mémoire d’un passif cuisant.

 

 

Silence. Veille en silence. Pourquoi t’obstiner

À discourir sans rien savoir sur la mort ?

Que du mot même émane une force sombre

Crois-tu par tant de mots pourvoir l’adoucir,

Donner un sens à l’énigme du non sens ?

Vois plutôt vaguer les oiseaux au soleil

Écoute leur concert la nuit dans les bois

D’où s’élèvent en trilles maints duos amoureux

Qui sonnent clair comme les eaux des montagnes.

Si proche soit la fin que tu sens venir

Libère-toi de ton funèbre souci

Épouse la liesse des créatures du ciel

Vivre et chanter c’est tout un là-haut ! »

 

Louis-René des Forêts

Poèmes de Samuel Wood

Fata Morgana, 1988

rééd. in Œuvres complètes, Gallimard, coll. Quarto, 2015

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