lundi, 18 mai 2020
Bernard Manciet, « Impromptu de Tabago »
DR
« Impromptu de Tabago
Jaspe noir que ce minuit
cette nuit toute une grappe
tourne et tourne sous la main
hanche lisse argile sombre
rôde encore svelte cruche
t’arrondis comme la paume
lune épaule épanouie
sois pavane lune noire
sur la pointe de ton pied
d’une paume sois la joue
et contre la joue oiseau
cruche toute sois un pleur
parole en forme de larme
sombre ou d’un grain de raisin
goût d’argile goût de rhum
goût de larme goût de brume
à l’aube fine chemise
qu’un souffle disperse en bruine
pour qu’au noir d’aube sois brume
grain d’argile chair de poire
cruche pure figue bleue
de salive revêtue
mais gorgée obscur sanglot
langue laquée et léchée
mais de tes grains couronnée
cruche mon figuier en feux
posée au port de Bordeaux
sois plus ronde sous la main
maison où jeunesse habite
d’un alto l’âme sonore
mais oreille d’aromate
où se chuchote le jais
en trille délicieux
figue sèche lèvre épaisse
violette et vanillée
banane mûre ce cou
qui déteint le long des flancs
tulipe la sombre joue
qui renferme ses cachous
maison de musique cruche
musique de Tabago
tourne ton chancellement
entre les doigts et t’incline
et t’inclinent tes coteaux
nous versant fraîcheur de chai
parfum de vin voyagé
tout le flanc d’un cargo lourd
d’une nuit chaude d’épices
d’une sueur d’août humée
cargo de vin charge creuse
de mots purs sous notre langue
de grain de peaux doux couteau
cruche de vin chancelante
qui déborde sur les hanches
soit touffes soit cheveux grappe
boucles par bouquets ce soir
cruche en vigne toute entière
telle un adolescent tournante
bien fessu lorsqu’il se lève
de sources grives frémie
mon argile aux mille pampres
chair de l’âme si le doigt
trace en couleuvre en lierre
de l’orteil jusques au souffle
frêle fêlure un éclair »
Bernard Mancciet
Impromptus
Bilingue
Traduit de l’occitan par l’auteur
L’Escampette, 1997
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lundi, 25 février 2013
Bernard Manciet, « Jardins perdus »
Il pleut dans les pins
« C’est immobile, c’est tout en lenteur. Il pleut dans les pins comme dans une sorte de passé, mais un autrefois qui entoure et qui comble. On n’est plus en soi-même, et jamais pourtant on ne fut plus proche de soi. Ce n’est pas un murmure, ni une voix, mais la pâleur d’une voix. C’est comme une âme continue. On ne peut s’en défaire. On ne l’écoute ni ne la voit, mais on la guette dans ses paroles sans tristesse ni gaieté. On ne pense à rien.
Ici, il n’y a pas de pourquoi, ni de raison d’espérer. Vivre ici, c’est vivre de loin. C’est croître à couvert comme les fougères, comme le sable, remuer à peine comme, sourdement, la tempête à l’ouest. La pluie appelle en zozotant, mais on lui a répondu, il y a bien longtemps déjà. De plus profond que l’amour, comme si l’on avait aimé. Et, plus loin, encore d’autres lignes d’humilité. De la pluie on est la demeure, avec son brouillard et son évidence. On est inutile. »
Bernard Manciet
Jardins perdus
traduit de l’occitan par Guy Latry
L’Escampette, 2005
Cinquième page pour fêter les 20 ans de L’Escampette
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dimanche, 06 février 2011
Bernard Manciet, Ampelos
Le manuscrit de ce livre était sur la table de travail de Bernard Manciet lorsque la mort s’en est venue le chercher. Les dieux ont-ils pleuré ? Quelques vivants (pour encore peu de temps) sans aucun doute… La disparition de Manciet est la fin de quelque chose de plus grand que lui, la fin d’un modèle de résistance aux prés carrés. Mais l’arbre, qui parfois cachait la forêt, n’est pas encore coupé, c’est à peine si quelques feuilles sont recroquevillées. Les poètes occitans, des nouvelles générations, doivent trouver ici le modèle et savoir le dévorer et le dépasser.
Le chant, la célébration, la langue, n’ont pas de particularismes locaux, ils sont de toujours et maintenant, d’ici et d’ailleurs, dans toutes les langues, la grandeur de la poésie est à ce prix. Manciet l’avait bien compris. Ce dernier volume en est la preuve encore, au travail dans les langues, pour une unique réussite. « Il faut mourir en couleurs terribles – que cau color-morir pauruc », écoutez la langue chanter, « dormir ne pas dormir mais/rêver le rêve – dromir non pas dromir mès/saunejar lo saunei », écoutez la langue bruire, « dans la chair luisante de la nuit/le jeune impétueux se repose/il dort dans la vision/toutes les sources de sa chair/parlent dans la vieille parole – debs la carn lusenta de la nueit/lo hodre joen se repausa/que dròm dens la vision/las dotz tota de sa carn/parlan dans la vielha paraula », écoutez la langue éternelle de Manciet, c’est-à-dire la langue éternelle de la poésie du monde entier.
Claude Chambard
Bernard Manciet
Ampelos
Bilingue : français/occitan
Traduit de l’occitan par l’auteur et Guy Latry
14x21 ; 80 p. ; 13 € – isbn : 978.2.914387.92.7
L’Escampette éditions
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