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bernard manciet

  • Bernard Manciet, « Impromptu de Tabago »

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    DR

     

    « Impromptu de Tabago

     

    Jaspe noir que ce minuit

    cette nuit toute une grappe

    tourne et tourne sous la main

    hanche lisse argile sombre

    rôde encore svelte cruche

    t’arrondis comme la paume

    lune épaule épanouie

    sois pavane lune noire

    sur la pointe de ton pied

    d’une paume sois la joue

    et contre la joue oiseau

    cruche toute sois un pleur

    parole en forme de larme

    sombre ou d’un grain de raisin

    goût d’argile goût de rhum

    goût de larme goût de brume

    à l’aube fine chemise

    qu’un souffle disperse en bruine

    pour qu’au noir d’aube sois brume

    grain d’argile chair de poire

    cruche pure figue bleue

    de salive revêtue

    mais gorgée obscur sanglot

    langue laquée et léchée

    mais de tes grains couronnée

    cruche mon figuier en feux

    posée au port de Bordeaux

    sois plus ronde sous la main

    maison où jeunesse habite

    d’un alto l’âme sonore

    mais oreille d’aromate

    où se chuchote le jais

    en trille délicieux

    figue sèche lèvre épaisse

    violette et vanillée

    banane mûre ce cou

    qui déteint le long des flancs

    tulipe la sombre joue

    qui renferme ses cachous

    maison de musique cruche

    musique de Tabago

    tourne ton chancellement

    entre les doigts et t’incline

    et t’inclinent tes coteaux

    nous versant fraîcheur de chai

    parfum de vin voyagé

    tout le flanc d’un cargo lourd

    d’une nuit chaude d’épices

    d’une sueur d’août humée

    cargo de vin charge creuse

    de mots purs sous notre langue

    de grain de peaux doux couteau

    cruche de vin chancelante

    qui déborde sur les hanches

    soit touffes soit cheveux grappe

    boucles par bouquets ce soir

    cruche en vigne toute entière

    telle un adolescent tournante

    bien fessu lorsqu’il se lève

    de sources grives frémie

    mon argile aux mille pampres

    chair de l’âme si le doigt

    trace en couleuvre en lierre

    de l’orteil jusques au souffle

    frêle fêlure un éclair »

     

    Bernard Mancciet

    Impromptus

    Bilingue

    Traduit de l’occitan par l’auteur

    L’Escampette, 1997

  • Bernard Manciet, « Jardins perdus »

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    Il pleut dans les pins

     

    « C’est immobile, c’est tout en lenteur. Il pleut dans les pins comme dans une sorte de passé, mais un autrefois qui entoure et qui comble. On n’est plus en soi-même, et jamais pourtant on ne fut plus proche de soi. Ce n’est pas un murmure, ni une voix, mais la pâleur d’une voix. C’est comme une âme continue. On ne peut s’en défaire. On ne l’écoute ni ne la voit, mais on la guette dans ses paroles sans tristesse ni gaieté. On ne pense à rien.

     

    Ici, il n’y a pas de pourquoi, ni de raison d’espérer. Vivre ici, c’est vivre de loin. C’est croître à couvert comme les fougères, comme le sable, remuer à peine comme, sourdement, la tempête à l’ouest. La pluie appelle en zozotant, mais on lui a répondu, il y a bien longtemps déjà. De plus profond que l’amour, comme si l’on avait aimé. Et, plus loin, encore d’autres lignes d’humilité. De la pluie on est la demeure, avec son brouillard et son évidence. On est inutile. »

     

     Bernard Manciet

     Jardins perdus

     traduit de l’occitan par Guy Latry

    L’Escampette, 2005


    Cinquième page pour fêter les 20 ans de L’Escampette

  • Bernard Manciet, Ampelos

    Bernard_Manciet_04-Fellonneau-couve-4.jpgLe manuscrit de ce livre était sur la table de travail de Bernard Manciet lorsque la mort s’en est venue le chercher. Les dieux ont-ils pleuré ? Quelques vivants (pour encore peu de temps) sans aucun doute… La disparition de Manciet est la fin de quelque chose de plus grand que lui, la fin d’un modèle de résistance aux prés carrés. Mais l’arbre, qui parfois cachait la forêt, n’est pas encore coupé, c’est à peine si quelques feuilles sont recroquevillées. Les poètes occitans, des nouvelles générations, doivent trouver ici le modèle et savoir le dévorer et le dépasser.

    Le chant, la célébration, la langue, n’ont pas de particularismes locaux, ils sont de toujours et maintenant, d’ici et d’ailleurs, dans toutes les langues, la grandeur de la poésie est à ce prix. Manciet l’avait bien compris. Ce dernier volume en est la preuve encore, au travail dans les langues, pour une unique réussite. « Il faut mourir en couleurs terribles – que cau color-morir pauruc », écoutez la langue chanter, « dormir ne pas dormir mais/rêver le rêve – dromir non pas dromir mès/saunejar lo saunei », écoutez la langue bruire, « dans la chair luisante de la nuit/le jeune impétueux se repose/il dort dans la vision/toutes les sources de sa chair/parlent dans la vieille parole – debs la carn lusenta de la nueit/lo hodre joen se repausa/que dròm dens la vision/las dotz tota de sa carn/parlan dans la vielha paraula », écoutez la langue éternelle de Manciet, c’est-à-dire la langue éternelle de la poésie du monde entier.


    Claude Chambard


    Bernard Manciet
    Ampelos
    Bilingue : français/occitan
    Traduit de l’occitan par l’auteur et Guy Latry
    14x21 ; 80 p. ; 13 €  – isbn : 978.2.914387.92.7
    L’Escampette éditions