mardi, 09 juin 2020
Claire Malroux, « Soleil de jadis »
DR
« L’enfant s’apprête à franchir le pont
serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises
Loin, dans le bas du village
elle a pris l’embranchement de la grand-route
passé le dos d’âne où tient en équilibre
la maison de l’entrepreneur des transports
Un car lilliputien conduit les paysans
au chef-lieu de canton les jours de foire
De l’autre côté elle aperçoit en contrebas
une petite maison blanche et sa terrasse adjacente au lavoir
Elle est tombée un jour dans ce lavoir
en glissant sur l’ombre liquide des dalles
Le trou de la serrure découpe une allée
de branches en fleurs sous lesquelles
des vêtements gonflent indolemment sur une corde à linge
et une enfant nue se balance
rescapée du temps
*
L’enfant s’apprête à franchir le pont
serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises
Les porte à qui ?
Elle a oublié, happée par le prodige du matin d’été
le déluge de plis bleus sur ses épaules
les remous argent de la rivière
autour des rochers captifs au milieu de son lit
Les filles de l’ogre crachent en souriant la salive de l’écume
loin du couteau paternel
L’enfant jette une poignée de cerises sur l’eau blanche
Si tu avales le noyau, l’a-t-on avertie
un arbre poussera dans ton ventre
Un verger peut-il jaillir de l’eau ?
*
L’enfant s’apprête à franchir le pont
serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises
Plus loin la rumeur de la forge s’élève
sinistre en ce bas-fond
On dit que les deux filles du forgeron
sont atteintes de tuberculose
En face rouille la grille jamais ouverte du château
caché par les arbres de son parc, sapins et mélèzes
C’est un lieu interdit où n’entre
et d’où ne sort personne
Un sentier mouillé rongé d’ornières le longe
Ses hautes murailles de buis
crépitent de chaleur en été
De ce labyrinthe on sait
qu’on ne trouvera jamais seul l’issue
*
L’enfant ne franchira pas le pont
L’univers déborde d’univers aussi ronds que ses cerises
mais elle ne peut faire un pas
sans déchirer la trame
où son être est inséré
Figée au confluent des images
elle naît à elle-même à cet instant
ayant découvert ses propres rives »
Claire Malroux
Soleil de jadis
Préface d’Alain Borer
Couverture de Colette Deblé
Le Castor Astral, 1998
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dimanche, 14 mai 2017
Isabelle Lévesque, « Voltige ! »
« Le livre repose-t-il à l’ombre ?
Ces gestes exaltés, saisis, noirs ou blancs,
retiennent-ils dans leur arrêt
le désarroi fin des poussières
immobiles, suspendues, revenues
d’un rêve qui n’existe pas
sauf à poser sur le bras tendu
l’image qui confond le passé le présent ?
Le rouge impossible des fleurs
lancé vers le ciel
avant l’orage.
––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Que retracer d’une malhabile survie ?
Entre nos doigts, la gorge et son cri,
parfum oublié d’une feuille.
Nous la frottons, chaque partie
contre la force d’oubli. Le murmure
coule, petite nappe,
la paume le recueille.
Et ce mouvement reproduit : geste du feu,
étincelle ou source. Nous gardons
sur nos lèvres le retour du vif.
Nous l’écrivons (dorénavant se double
de vers inachevés).
Isabelle Lévesque
Voltige !
Peintures de Colette Deblé
Postface de Françoise Ascal
L’herbe qui tremble, 2017
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lundi, 24 février 2014
Christian Gabriel Guez Ricord — « Lettre à Colette Deblé »
« J’ai habité votre fenêtre, tel pourrait être le début d’une lettre amoureuse ; si elle n’était vôtre, c’était du moins une fenêtre que j’ai habitée une nuit. Quelle chute y attendais-je ? La fenêtre serait le lieu limite de l’attente, celui qu’habitent folie et suicide. C’est pourquoi les fenêtres me fascinent, regards mais aussi abris quand on ne peut ni entrer ni se jeter dans le vide. Un monde qui n’est pas le monde et qui n’est pas non plus le non-monde de la transcendance, voici la fenêtre, lieu d’un vécu imaginaire et parfois dangereux. Ni être ni ne pas être, tel est le cri du fou coincé sur le rebord de la fenêtre et, passée l’anecdote, vos fenêtres sont aussi là pour être des lieux en soi, elles pourraient être les reliures d’un dernier cri comme la patène d’un rouge-gorge.
Je veux célébrer en vous cette illumination d’un ordre qui est à côté, d’un espace différent, ni le haut ni le bas, d’un support qui tente l’impossible de sa situation objective comme définitive et, semble-t-il, soumise à un destin unique et immortel, être ouvert ou fermé. Vous avez peint le lieu de la poésie quand elle se souvient d’avoir bâti une demeure dans les temps, la nue du principe ; et d’y avoir veillé, dans l’attente de quelqu’un, la proximité de la flamme qui, près du lit des chambres, se réfléchit sur la vitre d’un silence improbable, que l’immobile retient comme l’impossible salut des nuits où le soleil ne se lève jamais. »
Christian Gabriel Guez Ricord
Lettre à Colette Deblé
33 exemplaires accompagnés d’une gravure originale de Colette Deblé numérotés de 1 à 33 et 100 exemplaires numérotés de 34 à 133, tous signés par l’auteur, imprimés sur vélin d’Arches par Soulié, Atelier Breteuil à Marseille. Exemplaire n° 15.
L’Atelier Blanc, 1979
Note : Christian Gabriel Guez Ricord a donné à son prénom la forme définitive Christian Gabrielle à partir de 1986
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dimanche, 29 janvier 2012
Bernard Vargaftig, Nancy 24 janvier 1934 — Avignon 27 janvier 2012 & l'éternité
Bernard Vargaftig
Le lieu exact — ou la peinture de colette deblé
Vivantes
Les orties ô même l’orage
Et l’absence
Et les galets vont si vite
Même l’enfance
Tout-à-coup et la cour
Plus terrible où le mur craque
Et le gouffre
Et les arbres
Qui dévalent jusqu’au vent
Comme jamais
Regardaient le langage
………………………………………
Tant de fois
Les roches le lieu exact
La prairie et
Quand il manque une page
Tomber tomber
Était comme un murmure
Et le vent se précipite
Et l’espace
Loin derrière
Effaçant pente et parfum
Immensité
Que l’horizon saisit
………………………………………
Ah plus d’oubli
Et l’instant qui commence
Un récif
Que tout aurait fait bouger
Vent et lumière
La plage dénouée
Un murmure et si lointaine
L’étendue
Où sans cesse
Avalanche dans le sens
Le rosier comme
Mortellement échappe
[…]
les trois premières pages de
Le lieu exact
ou la peinture de colette deblé
imprimé au plomb
en Garamond corps 10
en mars 1986 par mes soins
à 15 exemplaires sur
Gravure du Moulin de Larroque
enrichis d’une peinture de Colette Deblé
& à 300 exemplaires sur vélin blanc
à Passage, Bordeaux
isbn : 2.905391.11.5
14:11 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : bernard vargaftig, colette deblé, à passage