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der doppelgänger

  • Nelly Sachs, « Papillon »

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    « Quel bel au-delà

    est peint dans ta poussière.

    À travers le noyau de flammes de la terre,

    à travers son écorce de pierre

    tu fus offert,

    tissage d’adieu à la mesure de l’éphémère.

     

    Papillon,

    bonne nuit de tous les êtres !

    Les poids de la vie et de la mort

    S’abîment avec tes ailes

    sur la rose

    qui se fane avec la lumière mûrie en ultime retour.

     

    Quel bel au-delà

    est peint dans ta poussière.

    Quel signe royal

    dans le secret des airs. »

     

    Nelly Sachs

    « Dans le secret »

    In Éclipse d’étoiles précédé de Dans les demeures de la mort

    Traduction de l’allemand et postface de Mireille Gansel

    Collection « Der Doppelgänger », Verdier, 1999

  • Suzette Gontard, « Lettre à Hölderlin »

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    Susette Gontard et Friedrich Hölderlin, gravure sur bois, vers 1870, d’après un dessin de Norbert Schrödl.

     

    « Le matin

    J’ai bien dormi, mon tendre et cher, et il me faut te dire à nouveau combien ta lettre m’a fait plaisir et te remercier pour toute cette douce félicité que tu m’as procurée. Ah, ne lis plus ma lettre si elle t’a procuré du chagrin et tiens-t’en à l’avant-dernière que tu as tant aimée. Hier, je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir encore intensément à la passion, – – – La passion de l’amour le plus sublime ne sera sans doute jamais satisfaite sur terre ! Partage avec moi ce sentiment ! Ce serait folie que de chercher à la satisfaire. – – – Cela signifierait mourir ensemble ! – – – Mais je me tais, au risque de passer pour une douce rêveuse, même si c’est tellement vrai, voilà comment la satisfaire. – – Cependant, nous avons des devoirs sacrés envers ce monde. Il ne nous reste qu’à croire l’un en l’autre avec la plus grande béatitude, ainsi qu’au pouvoir tout puissant de l’amour qui, éternellement invisible, nous dirigera et nous unira sans cesse de plus en plus. – – – Être silencieusement résignés ! Faire confiance à son cœur, à la victoire de ce qu’il y a de vrai et de mieux dans le dévouement qui fut le nôtre. Et nous pourrions périr ? – – – Alors, oui, alors tout équilibre disparaîtrait nécessairement et le monde se changerait en un chaos si ce n’était pas ce même esprit de l’harmonie et de l’amour qui le garde et nous garde également ; si cet esprit vit pour toujours dans le monde, pourquoi, comment pourrait-il nous abandonner ? sommes-nous bien en droit de nous comparer au monde ? Et pourtant, il ne peut pas en aller autrement en nous-mêmes, ce qui est valable à grande échelle l’est à petite échelle, et nous ne devrions pas avoir confiance ? Nous à qui tous les jours la nature prouve sa magnificence tout en nous donnant vie et en ne nous témoignant que de l’amour, nous devrions abriter en notre sein une lutte et une dissension quand tout nous appelle à la quiétude de la beauté ! – – – Ô mon tendre et cher, il est évident que nous ne pouvons pas devenir malheureux puisque cette âme vit en nous. Et je sais que la douleur ne nous rendra que meilleurs et nous unira plus fortement.

    C’est pourquoi, désormais, tu ne dois pas éprouver du chagrin à l’idée de m’avoir rendue triste. Tu vois, tout sera fini quand tu auras retrouvé ton calme et que je serai forte. Il me faut te dire également que ma confiance en toi est illimitée. Quoi que tu sois, quoi que tu fasses me semblera tacitement juste, je ne me demande pas moi-même pourquoi. La semaine dernière, tu n’es pas venu, tu n’as pas dit hier que tu voulais passer à nouveau ici, que tu voulais revenir ce matin, alors que je te l’ai d’emblée proposé dans ma lettre. Je puis t’assurer que je n’en ai pas éprouvé le moindre trouble, tant ta lettre m’avait rendue heureuse et j’ai simplement pensé que c’était bien sûr de l’amour et je ne me suis pas posé davantage de questions. Et c’est dans la foi qu’on voue à ce sentiment qu’il faut honorer l’inexplicable. Ô mon tendre et cher, mon amour ! Retrouve ton calme, ta sérénité et donne-moi le seul sentiment qui puisse me rendre bienheureuse, celui de te savoir satisfait, et, à ton tour, rends-moi ma sérénité. C’est à ce moment-là certainement, oui, que je serai heureuse. – – – » septembre 1798

     

    Suzette Gontard, la Diotima de Hölderlin

    Poèmes, lettres, témoignanges

    Édition d’Adolf Beck

    Traduction, présentation et notes de Thomas Buffet

    Collection « Der Doppelgänger », Verdier, 2020

    https://editions-verdier.fr/livre/susette-gontard-la-diotima-de-holderlin/

    https://poezibao.typepad.com/poezibao/2020/07/note-de-lecture-suzette-gontard-la-diotima-de-h%C3%B6lderlin-par-isabelle-baladine-howald.html

  • Josef Winkler, « Mère et le crayon »

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    « À Pâques, Thérèse ma marraine, ma débonnaire et macabre tante, m’offrait le traditionnel  lapin de Pâques, un kouglof marbré, fait maison, saupoudré de sucre glace et dans lequel se cachait une pièce de dix shillings. Tout autour du kouglof, reposant en leur nid de papier verdâtre, des œufs de poule peints et laqués à la couenne de porc sur lesquels de petits autocollants figuraient l’agneau pascal et la bannière de la Résurrection, de petits œufs de Pâques en chocolat et un agneau pascal en chocolat. Mais c’est à Pâques, par-dessus tout, que je recevais mes habits et mes souliers du dimanche pour l’année entière. Quand il était prévu qu’on m’offrît un complet, nous allions Thérèse et moi, deux mois avant la semaine sainte, à Paternion, où, dans son atelier qui sentait la cigarette et les étoffes neuves, que chauffait un poêle de faïence, le tailleur, avec son vieux mètre gradué, prenait mes mesures, m’enroulait le ruban jaune autour des hanches, s’agenouillait devant moi et, de ses mains tremblotantes, me tripotait la braguette. Un jour que Thérèse, comme à son habitude, nous avait apporté la corbeille de Pâques pour le samedi saint – je restais assis la moitié de la journée sous le crucifix de la cuisine attendant fiévreusement ma marraine –, j’eus la surprise de voir ma mère, si distante, étreindre sa belle-sœur et la remercier de ses généreux cadeaux de Pâques. « Le plus touchant de tous les signes de vie : la faroucherie », écrit Peter Handke dans ses carnets, Hier en chemin. Et, m’en allant sur la neige tôlée des champs hivernaux, j’apportai jour après jour, en témoignage de reconnaissance, à Thérèse, la sœur aînée de mon père, qui n’eut jamais d’enfant, vécut avec son mari – un ouvrier de l’usine Heraklith, à Fendorf, qui mourut d’un cancer du poumon – dans la maison de sa sœur cadette, un grand pot de lait de vache frais. Elle le vidait alors, sans le nettoyer jamais, déposait dans le récipient émaillé marron les biscuits de pain d’épices, les sablés à la vanille, les macarons à la noix de coco. Et quand, repassant sur la neige durcie des champs, écrivant dans ma tête mes premières histoires, je rentrais à la maison, les gâteaux étaient tout imbibés de lait, bon nombre d’entre eux se désagrégeaient déjà. Nous mangions jusqu’au dernier, ma mère et moi, assis à la table de la cuisine, ces biscuits qui avaient un léger goût beurre rance. »

     

     Josef Winkler

    Mère et le crayon

    Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay

    Coll. « Der Doppelgänger », Verdier, 2015