dimanche, 21 juin 2020
Dominique Preschez, « Un matin, l’autre »
Les Inédits du Malentendu, volume 3.
pour Claude et Sophie Chambard
… repères ciels en pinceaux
d’oiseaux sans couleur autre
qu’infime or montgolfière
au levant continues
ses narines au vent caressent
l’ambre des algues
en dépôt de la nuit
sur toute rive ronde…
… les bois en veille bandent
l’effigie des solistes cotonnée
aux pollens roulés en tierces
cordes ou résonances
quel orchestre ?
sous la hêtraie du vent...
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… attente à l’air sec du parquet
disjoint le souffle étouffé
un enfant marche sur les mains
liées à la pression
au vide noir s’incline
où trait de lune sauve
l’instant du sacrifice…
… dans le bas du jardin chaud
frisé par la fontaine
l’arbre à glycines
grimpe au parquet de lune
un funambule étoilé
en blanc de laine
il a talqué ses mains…
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… quelle prévoyance d’ailes
amantes en secret
ô, tournis ! sous l’ombrage
exhalent une écurie haletante
son musc de corne
près des paupières retournées…
… en poussière les silences
de l’air mesurent
l’horloge de verre célèbre
seconde à la seconde
près l’illusion du temps…
Dominique Preschez
Jardin de sommeil (extrait)
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jeudi, 28 mars 2019
Dominique Preschez, « L’enfant nu »
DR
« Qu’y-a-t-il de plus beau, quand on commence un chant qui se termine, que de louer un enfant perdu à la chair si brune, et son ami dont la hauteur introduit un sens dans l’homme ! Seulement des larmes… Tu ne seras plus longtemps amant. Ô mortelle lassitude, sur les chemins aimés les âmes te suivront et au plus profond de toutes nos prières, à toi d’offrir le sacrifice — terre froide et aveugle ! Mon enfant, tu te détournes de moi. Tu me fuis le long des jours et le long des nuits. Ta pensée joue le mannequin.
Je sens mon regard rendormir dans la mort la mémoire d’un enfant qui n’est plus.
Le doux repos, ton corps l’effacera.
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Souviens-toi des roses noires sur le front de l’enfant relâchant le bouquet des draps — son empreinte de neige sous la paupière close —, l’œil muré faisant reculer l’horizon au creux du matin — sa perte, ta douleur et tes pleurs — comme un vaste filet jeté par le pêcheur sur un lit placé bien bas…
C’est l’heure à présent où mes prunelles amères ont l’inflexion de sa voix, ainsi qu’une pierre invincible où loge le vers.
Il agonise crucifié comme cette fin d’été sous un ciel de novembre. Le voici nu et blanc dans le cercle des tombes, sous les arbres d’un chemin penché sur l’hôpital, dépouillé de corps à l’heure où finit son absence. La fin vient sur toi au détour de l’allée et
“…moins fort que moi, tu absous…”
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L’amant de la mort est exempt d’ambition mauvaise ; il se met à l’abri des parleurs, attend le couteau sur la gorge. Or la peur est là, qui lui dit : “Tout le monde en fait autant.”
Voyant alors des arbres dans la rivière, il y jette sa vie, et le ciel se recouvre soudain de nuages en blocs de neige où meurent les oiseaux. »
Dominique Preschez
L’enfant nu
Précédé de Pourquoi cette douleur par Mathieu Bénézet
Seghers, 1981
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mardi, 14 octobre 2014
Dominique Preschez, « Vers le soir »
À quelle heure t’ai-je écrit vers le soir ?
« Quand par la baie pulvérisée toute d’eau, une brume en tufeau de mouettes lasses resserrait l’horizon devers la Manche d’or à la colonne de ses lampes — fanal de première enfance et chapiteau de triangles ouvrant sur la maison —, encore qu’il fût tard pour me mentir l’abandon, mâchant pesamment les bœufs (blancs) aux pas cassés des guérets entretenaient un vertige de cette boucherie d’élans en halètement du soir et les moucherons, veufs aussi, mêmement voués au charme suicidaire des menthes en peine, j’ai prié la nuit de me tuer au matin, parce que sans toi j’ai peur, de la mort. »
« Pourquoi la mort, si fort ? » ai-je tracé de buée tiède encore d’une communion à l’aube des foins de fille au dos de la maison, sur une ardoise atteinte ; palimpseste et marelle pour savoir, ce qui fut de nos jeux solitaires…
Et, m’étant livré à pareille ascension, sans plus de nos magnoliers bleus près le club des sacrifices, je me suis prémuni contre ce vide de l’âtre, m’évitant un crime, où tu vis Mallarmé paraître lent, un peu, au long d’une échelle dressée qui me fit préférer l’écriture à l’astre sans homme. Tapi au recoin d’un corps de pierre à l’odeur de maman, où bombille l’essaim d’insectes qui piquent, j’ai imploré, quel diable de première famille ? pour tout en vie, me mourir…
« T’entendrai-je frapper à la porte de cuir ? » Dans la chambre malade depuis que tu n’es plus, à la mesure des vins — sexe ballant, remugle de linceul —, je répugne au pacte de l’amour perdu.
Et seul un homme seul s’habille vers le soir pour aller sur la route…
Dominique Preschez
Vers le soir
à Passage, coll. « Les Galées », 1983
15:40 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : dominique preschez, vers le soir, à passage