UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

emmanuel merle

  • Emmanuel Merle, Philippe Agostini, «Démembrements»

    32326700_10216136876638432_2840577101969489920_n.jpg

     

    « Rien, presque

     

    La pierre, on la croyait à eur de sol,

    on la déloge, avec une pioche,

    c’est la mémoire, terreuse, encore humide

    de ce qui s’est passé. Rien, presque.

     

    On laisse un trou qui ne se comble pas,

    et le ciel le regarde, s’en ferait une orbite

    supplémentaire. Toutes les mémoires

    de tous les hommes, tous les yeux du ciel.

     

    Et le ciel, que voit-il, augmenté de ma mémoire ?

    Rien, presque. De l’électricité de faible

    ampérage, au fond du trou. Des formes

    simples qui crieraient silencieusement

    comme les nuages lorsqu’ils se désagrègent

    ou semblent s’entredévorer.

     

    Ma mémoire n’a que des rapports humains

    minéralisés. Et pourtant mon visage recrée

    quelquefois la sensation d’avant :

    la barbe de mon père,

    une broussaille, quelque chose qui dure

    puisque c’est encore là, possible. Ou

    ce cheval heurté de face, tête à tête,

    et le claquement derrière mon front.

     

    Ou la main d’un enfant sur ma paupière,

    oui, ça revient facilement, je saisirais

    presque le doigt. Presque. Ce serait saisir

    la lumière, comme on saisirait tout le bleu

    d’un monde, d’un seul rapt.

     

    Étranges cicatrices de l’esprit.

     

    Cette capacité de déchirure qu’elles ont,

    sur des visages aimés et incompréhensibles,

    souvenirs de visages

    tendus vers le vide, le sans-retour.

    Aimer, c’est quoi ? Accepter l’assemblage

    nécessaire et étrange d’un visage.

     

    Souvent presque rien, presque. Un magma

    encore tiède au bas de la pente.

    Où est cette maison qui est moi,

    qu’avec moi d’autres ont habitée ?

     

    Ce rien pourtant devrait être une terre,

    une presqu’île qu’on rejoint encore, parfois,

    à marée basse,

    sous la nuit. »

     

    Emmanuel Merle

    Démembrements

    Peintures de Philippe Agostini

    Voix d’encre, 2018

    http://www.voix-dencre.net/spip.php?article343

  • Jennifer Barber, (Portail)

    jennifer Barber,emmanuel merle,rumeur libre

    © : cchambard

     

    (Portail)

     

    Hier la corde à linge

    s’est effondrée sur le sol

    dans le vent, la pluie a laissé place

     

    à une autre pluie, plus fine,

    qui a dissous la baie. J’ai vu

    un traquet à la mangeoire,

     

    une mésange noire, un chardonneret, un roitelet,

    une éclaboussure de soleil

    sur le fuchsia trempé.

     

    Un bras géant, invisible,

    a dévié un nuage de la montagne

    jusqu’à la plage, puis dans l’autre sens.

     

    Soulevant le loquet du portail, j’ai entendu

    sept années d'abondance

    suivies par sept de disette

     

    dans les maisons en ruines sur la colline.

     

    Jennifer Barber

    traduit de l’américain par Emmanuel Merle

    in revue Rumeurs

    La Rumeur libre 2016

     

  • Emmanuel Merle, « Dernières paroles de Perceval »

    Emmanuel Merle.jpg

     

     

    « Quand on est enfant, tous les mots

    ont des majuscules, toutes les choses

    sont des êtres,

    et de façon magique

    rien n’est oublié,

    puisque tout a lieu.

     

    Je m’arrête devant le sang,

    trois trous rouges

    sur la neige indéfaite.

     

    Ô la couleur de la joue,

    quoi d’autre, malgré le rêve,

    que vie et mort mêlées ? »

     

    Emmanuel Merle

    Dernières paroles de Perceval

    L’Escampette, 2015