jeudi, 19 mars 2020
Jacques Roman, « Notes vives sur le vif du poème »
DR
« […]
Puissance d’un dire, rebelle au royaume de la feinte… On ne s’attable pas ici pour écrire un poème, c’est lui qui met la table et le couvert, tout est dressé… Surtout ne pas craindre la “gaucherie” propre à l’élan furieux, la travailler plus que la préciosité et la manière.
[…]
Le poème dessine un espace, espace étranger à la frontière. Corps de la parole, il se meut en la matière en mouvement, en élan, en appétit de formes, musical… Écrit en retrait, à l’écart, à l’âme nomade il assure la solide errance dont elle a faim.
[…]
Cet état où, achevé le poème, tu trembles des heures encore… c’est que jamais le poème n’est un achèvement et le vivant réclame sa part dans cela qui semble mourir pour qu’au monde advienne, de la réalité, un pan éclairé. Le poème écrit n’a ni commencement ni fin, il fait semblant, disait Mallarmé.
[…]
La clef du poème n’appartient à personne. Elle est appelée à être perdue. Une autre clef ouvrira le poème, une autre clef appartenant à qui lira, elle aussi appelée à être perdue, et tant, tant de clefs… Seules les serrures ont de notre curiosité le désir et même dans l’inexpugnable insomnie de la solitude.
[…]
État de grâce que j’accueille comme le fruit d’une vie, le fruit d’une longue marche, ardue, et dont il me semble avoir oublié les embûches. C’est respirer. Je pose la plume. Je souris. Je pense à ce poème non écrit, murmuré dans un parc, ce poème que je connais par cœur et que je n’écrirai pas. »
Jacques Roman
Notes vives sur le vif du poème
Éditions Isabelle Sauvage, 2014
18:15 Publié dans Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : jacques roman, notes vives sur le vif du poème, isabelle sauvage
mercredi, 22 juin 2016
Jacques Roman, « Proférations »
© : dcollin
« Le 19. 1. 1991 échoué
… veilleur ne criera pas éveillé échoué immobile boule dans la gorge en janvier œil sur la mort drapée d’étoiles et de galons aux quatre points cardinaux oubliés n’écrira pas sur les murs du vieux monde sa honte portée devant vous échoué à l’heure qu’il est ce soir il tourne en rond tandis qu’on lui arrache la bonté prie que soit donné à l’enfant pitié des années et des années d’oreille lui échoué muet sans rôle ici ne blâmez pas son espoir en vous l’être a fait son feu consolation par tous les pores de la peau entendez veilleur ne criera pas échoué n’écrira pas éveillé échoué en janvier parmi les miettes éparpillées de la joie qui nous fut ciel ici supplie brûlez ces mots toute la fausse monnaie afin que ne tombent et sa vie et la vôtre en été tous sens à l’abîme échoués la boule en la gorge nommez-la amour encore là-bas demain où sa poussière dansera dans un autre janvier où n’aura plus cours cet enfer qui prit en toutes lettres nom d’homme jusqu’en ce sable échoué terrassier de l’interminable dans la énième heure du matin ici où ne criera pas en janvier veilleur éveillé la boule en la gorge où ne saignons ni vous ni lui pourtant écoutez l’entendez-vous cette parole allant dans le silence ainsi l’abandonnant où le sang coule… »
Jacques Roman
Profération
Éditions Isabelle Sauvage, 2016
15:28 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jacques roman, proférations, isabelle sauvage
mercredi, 15 juin 2016
Isabelle Baladine Howald, « Hantômes »
© : cchambard
« le sommeil les baisers ferment les yeux
sans la mort
ta bouche dans ma bouche – même souffle j’inspire
et expire ton souffle ne les distingue plus j’aimerais
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
fermer les yeux
– je ne veux pas
fermer les yeux –
Le gris bleu violet de l’iris, inimitable, j’ai laissé
ses yeux entrouverts,
je pas, peux pas, fermé
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––
L’élégie est l’arrivée et rien qu’elle.
Hantômes est le livre pour les enfants, à leur place –
de morts.
Fente. Déplacement définitif.
Non remplacés, regarde l’espace entre le carton
inséré et les bords en métal ou en bois, flottant,
non remplacés, non remplacé l’espace, non remplacé
le cœur de lui, et de lui, et de lui. Flottant battements
inaudibles. »
Isabelle Baladine Howald
Hantômes
Éditions Isabelle Sauvage, 2016
12:35 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : isabelle baladine howald, hantômes, isabelle sauvage
mardi, 01 mars 2016
Yannick Torlini, « Camar(a)de »
« travaille. toujours travaille tous jours ton peu qui : se déforme éternise dans l’attente se (encore, encore attenter ton corps éternise), déforme. ton peu qui devient mais : sueurs, arthroses, cargaisons de solitudes calcifient, adossées à l’outil encore, adossé. camarade, perclure ton corps à la ruine des frondaisons, n’achèvera pas le doute. qui, n’achèvera rien, s’éternisera anxieux camarade : poumone l’anxieuse asphyxie jusque. cette muqueuse que tu nommes. exister pour.
* * *
ne cède jamais (au grand : jamais), ta langue, à la boue. à la (probable). glaireuse attente qui. guette et avance, ta langue dans, fragmentée, condensée, asphyxiée (percluse dans), percluse l’anxiété de. avance fragmentaire crèverie camarade creuse (ton lit, ton rien, ton reste) : ta fragmentaire crèverie, du début de jour. du début de jamais. pasjamais. »
Yannick Torlini
Camar(a)de
Éditions Isabelle Sauvage, 2014
19:49 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : yannick torlini, camar(a)de, isabelle sauvage