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je voulais m'en aller mais je n'ai pas bougé

  • Jean-Jacques Viton, « Je voulais m’en aller mais je n’ai pas bougé »

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    DR

      

    « XXII

     

    un matin   dans le bas d’un rideau de fenêtre

    en travers   dans les plis   un visage brûlé

    plein d’épaisseurs   il soutient le regard

     

    observé d’un lit   le visage change

    les plis du rideau deviennent simples

    difficile de retrouver la forme

    ce n’est plus un visage   on peut chercher

    dans l’obscur   le clair   le gris

    quelques angles   une ressemblance improbable

     

    écarter les murs comme des feuilles les repousser

    pour espérer agrandir l’espace mal composé

     

    des rayons de phares se déplacent au plafond

    poursuivis par une troupe de taches sombres

    ce sont cinq cents chiens sauvages

    un gros chiffre   ils bougent dans un galop ralenti

    ils suivent une piste déterminée

    maintiennent le principe du tout droit

    rien n’est décelable en face mais ils passent

     

    c’est un chemin liquide   un ciel qui coule

    on ne comprend pas de quel côté

    il traverse des vides et des volumes

    nombreuses surfaces coloriées sans origine

     

    quand il y a du brouillard les maisons sont en paix

    dans le brouillard une maison est une maison

    ce sont des aspects ou des constellations

    des constellations déterminées par le temps

     

    on invente tout   avec le tout qui existe

    on ne sait jamais au juste ce qu’on pense

     

    où est le vieux vagabond de la Divine Comédie

    où est le vieil homme qui traversait Philadelphie

    avec trois rouleaux sous le bras

    où est le vagabond étrange qui marchait sur l’eau

    où est le vieux vagabond qui allait dans les montagnes

    les poches pleines de morceaux de pain

    qu’il trempait dans des ruisseaux

    où est le vagabond noir dernier vestige de Bruegel

    personne ne sait ce qu’il a dans son sac

     

    où est Essenine qui profita de la révolution russe

    pour courir dans les villages arriérés de la Russie

    en buvant du jus de pommes de terre

    qui songe en admirant le Jardin de l’Amour de Lahore

    à la terrifiante dévastation d’Hiroshima

    où sont les crocodiles qui brûlent les arbres avec leur urine

     

    ce sont de fausses routes   une idée de frontières

    c’est une invention   on peut y circuler

     

    microraptor précurseur de six centimètres

    avait des pattes antérieures plumées

     

    était-ce un parachute pour les trous forestiers

    ou des ailes qui battaient pour propulser

    l’ancêtre de l’avion   cet oiseau aquatique

    dormait à la dérive bec dans la poitrine

     

    rien ne colle   ne veut pas dire   rien ne va

    on entre dans le présent   c’est un état

    il nous entraîne là où nous ne devions pas aller

     

    la Rift Valley vue de satellite

    les Orgues de la chaussée des Géants

    la Taïga dans la région de la Kolyma

     

    c’est une invention on peut y circuler

     

    sommes-nous sûrs d’avoir un visage »

     

    Jean-Jacques Viton

    Je voulais m’en aller mais je n’ai pas bougé

    P.O.L, 2008

    http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numpage=12&numrub=3&numcateg=2&numsscateg=&lg=fr&numauteur=198