mercredi, 28 juin 2017
Julien Blaine, « Débuts de roman »
© : sophie chambard
« 7
En retournant de chez ses parents : lui, le père nonagénaire dégoulinant sur son fauteuil roulant et elle, la mère, dont l’ego était si éblouissant qu’il brûlait toutes celles et ceux qui l’approchaient, il envoya ce texto à ses enfants : “si un jour je me suicide, je n’aurais pas besoin de laisser un mot !”
12
C’est au moment et au centre d’une curieuse torpeur que Toussaint se murmura : “Moi, je regarde et considère ces jeunes gens comme s’ils avaient mon âge et, eux, me voient comme si j’avais le mien…”
Au bruit d’une feuille froissée, il se retourna.
Pourquoi le regardait-elle ainsi ?
22
Depuis longtemps, très jeune, déjà, il parlait de la vieillesse, de sa vieillesse et le voilà ce matin, septuagénaire, en train de se brosser les dents en se mirant dans la glace de la salle de bain…
En fait, de cet état, de cet âge, il n’en savait rien.
60
Ainsi va la vie, on perd de vue des amis très chers irremplaçables au détour d’un jour, ou à la fin d’une interminable nuit on ne sait même plus s’ils sont vivants ou morts et soudain »
Julien Blaine
Débuts de roman
Éditions des Vanneaux, 2017
17:23 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : julien blaine, débuts de roman, les vaneaux
dimanche, 08 juin 2014
Julien Blaine, « Thymus »
© : Claude Chambard
« Par exemple, à partir de cette constatation d’une banalité confondante et vérifiée, ce jour d’été, dans un des vallons des sources du Verdon :
Mon ombre disparaît sous les nuages.
Ce n’est qu’une constatation d’un pas-encore-tout-à-fait-vieil-homme qui marche dans un sentier de berger en montagne.
La petite phrase ; chacun va la charger un max…
On va y aller à fond dans la métaphore, et comme cette simple remarque est universelle : nous possédons tous une ombre (affirmation soumise à condition) et il y a partout des nuages.
Mais que va lire le lecteur qui aime la poésie arabe ou perse ? Et que va lire le lecteur qui aime tant la poésie t’ang ou le haïku ? Ou celui qui se passionne pour les textes d’Edgar Allan Poe ou de Villiers de l’Isle-Adam…
Et déjà j’imagine le sens caché qui sera dévoilé par mes lecteurs préférés !
Le ciel était très fort, le soleil très dru et le nuage très mobile. Et moi, sous les trois, je montais, appuyé sur mon bâton, vers la crête, accompagné par la ribambelle de mes petits enfants. Voilà.
Cette phrase, aussi, chacun va la charger un max. »
Julien Blaine
Thymus
Le Castor Astral, 2014
13:43 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : julien blaine, thymus, lecastor astral
mercredi, 19 septembre 2012
Julien Blaine, bon anniversaire !
« D’une voix tonitruante et lourde (dont j’ai le secret) le futur spectateur-auditeur entendrait un texte puéril et juste :
La création est le fruit de l’inculte :
Comment celui-ci qui écrit
pourrait-il lire et lire ?
Comment celui-ci qui peint
pourrait-il regarder et regarder ?
Comment celui-ci qui compose
pourrait-il écouter et écouter ?
Comment celui-ci qui bâtit
pourrait-il visiter et visiter ?
Comment celui-ci qui fait
pourrait-il analyser et étudier ?
Comment celui-ci qui crée
pourrait-il considérer et considérer ?
La création est le fruit de l’inculte.
Puis après un silence que je vous laisse imaginer (le public : bourdonnement, bruissement, brondissement, craquètement, gargouillement, gazouillement, gémissement, grognement, grondement, hurlement, vagissement, vociférations, ronron.)
des enregistrements de tous les bruits (voir supra –plus flic ! flac ! floc !–) des enregistrements vrais pris en pleine nature :
de la mer :
vagues,
lames,
tempête…
de la terre :
ruisseau
torrent,
fleuve,
cascade,
chute
du ciel :
pluie,
averse,
orage…
pour renoncer à la barbarie
renouer les débris des chants premiers :
renoncer
renouer
renoner
renoucer.
Alors, alors seulement, j’imiterai le chant de la mer en trois mouvements, le chant de la terre en cinq mouvements et le chant du ciel en trois mouvements. »
Julien Blaine
Du sorcier de V. au magicien de M.
Galerie Roger Pailhas, 1997
16:04 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : julien blaine