mercredi, 21 août 2019
Julien Nouveau, Caroline François-Rubino, « d’ombres, d’eau et de sel »
« L’histoire que je t’avais demandée, je ne suis pas sûre d’en avoir entendu les premiers mots. Je sais pourtant qu’elle parlait d’un retour de baignade, d’une cascade moins tonnante que prise à dire les chuchots de l’eau. De cette journée qui ne finissait pas de s’épuiser, je n’ai pas même entendu les premiers mots, glissant vers mon sommeil. Pourtant je sais que tu me l’as racontée, plusieurs heures durant, soucieux de ne pas me réveiller ; heureux d’en suivre le cours. Heureux de me savoir endormie, heureux de profiter encore un peu de ce moment de veille, qui précédait celui de notre sommeil.
Toi, de pierre, d’eau et d’un peu de sel, moi de vapeurs, de ciel et d’un peu de verre, nous tenions à un fil, à la grâce d’une heure de nuit propice. Un déplacement de lumière, un soleil dur venu contre son heure, un silence encombré sur le pavé de notre ciel, impatient quand nous nous offrions à l’éternité d’un instant, aurait-il suffi à nous rompre. Nous tenions à un fil, ténu mais de fer, immortel, tant que nous le voulions ainsi. »
Julien Nouveau
d’ombres, d’eau et de sel
peinture de Caroline François-Rubino
Lanskine, 2019
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samedi, 04 mars 2017
Sereine Berlottier, « Au bord »
© : remue.net
« ce jour là son visage était si
simplement vivant (c’est comme un souvenir)
nous étions couchées sur le lit (oreillers
lourds) regardant la télévision
et nous ne cherchions plus les mots ni
ce que nous aurions pu avoir à nous dire
avec l’enfant dans nos branches
ses boucles tièdes sur nos épaules
nous étions comme un très vieil arbre
des feuilles pour hier et des feuilles pour demain
et pourquoi aurait-il fallu
détruire ce monde à coups de question ? »
Sereine Berlottier
Au bord
Lanskine, 2017
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jeudi, 02 février 2017
Joël Bastard, « Une cuisine en Bretagne »
© : Michel Durigneux
« Aujourd’hui, je le sais, je suis un écrivain contre ma volonté. La chose a grandi en moi sans que j’y prenne garde. Je ne sais rien de plus qu’hier. Ce sont les mots qui ont pris possession de mon corps. Rien de plus éphémère, à l’image de ce blanc sur lequel je m’appuie.
Ces textes méritaient-ils deux cigarettes et un verre de whisky à trois heures du matin dans une cuisine et dans le noir de l’océan qui flûte à ma fenêtre.
Je ne suis pas plus heureux que lorsque j’écris. Tout est là, le possible et l’impossible. Les absents que je peux inviter sur mon papier sans qu’ils ne le sachent. Les morts que j’utilise à toutes heures pour agrandir ma phrase. Je peux écrire tout à trac : regret, île, vagin, lumière, sourcils, fosse, encoignure, onde, amande, pierre, vague, fille, barbarie, souplesse, échange, crépuscule, chanson, avance, perte, sommeil, orgasme, silence, enfants, outils… Enfin, tous les mots du dictionnaire.
En fait, je fais ce que je veux, mais avec les mots des autres, donc ! Allons-y et faisons ce que nous pouvons.
Je ne souhaite rien d’autre que d’habiter mon chagrin.
Roland Barthes »
Joël Bastard
Une cuisine en Bretagne
Lanskine, 2016
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mercredi, 13 août 2014
Michaël Glück, « Tournant le dos à »
© : C. Chambard
10.
on parle pour
ne pas laisser place
au goût de la terre
on fait comme
on tient debout
on dit il elle
ne sait qui
tient l’autre
les lits sont défaits
les guerres passées
les étreintes aussi
deux oublient
11.
ce qui est fait ce peu
dit : un legs ce n’est pas plus
ce qui se transmet sans savoir
une errance de la matière
dit encore c’est encore
corps qui se reproduit
retient le vieux code
depuis genèse du vivant
se tue au labour
lire ce va-et-vient
boustrophédon ou
travail de la navette
22.
et c’est un autre jour et
un autre cela fait une vie
et c’est un temps et le temps
entre les doigts n’est rien
un oiseau traverse les yeux
battement de cils
à peine le temps du cœur
d’un écureuil
qui bat au poignet
à peine le temps de se retourner
de jeter le sel
par-dessus l’épaule »
Michaël Glück
Tournant le dos à
Lanskine, 2013
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mercredi, 11 avril 2012
Jacques Estager, "Je ne suis plus l'absente"
Nous avions quitté Jacques Estager après quelques livre somptueux suivi d’un long silence et voici qu’il réapparait avec ce très beau livre Je ne suis plus l’absente.
On y retrouve d’emblée les thèmes et quelques personnages – si j’ose dire – des livres précédents. Le chaume (bleu) y a sa place naturelle et revient ici comme point d’ancrage d’une syntaxe à nulle autre pareille. Car Jacques Estager à sa place personnelle dans le paysage de la poésie, une place où chaque pierre, chaque rose, chaque ronce, chaque chaume, chaque épi de blé, chaque silhouette, chaque main, chaque ange sont au cœur d’un dispositif de langue qui se renverse sans cesse pour éclairer la nuit qui est déjà la lumière dans la suite des jours.
Depuis son premier livre Une pierre sous la rivière, en 1971, Jacques Estager ne déroge jamais à son entreprise qui pourrait être résumé par ceci page 37 : « et déjà moi je suis transparent sinon je ne suis pas » que pourrait aussi bien prononcer une des voix de Histoire cent. C’est cette entreprise qu’il reprend ici, jamais abandonnée sans doute, plus sereine peut-être, plus sauvage pourtant, où l’auteur plus que jamais est présent paraphant le livre de ce « j’ » qui prend et ouvre toute la place à tous les livres à venir.
Claude Chambard
Jacques Estager
Je ne suis plus l’absente
Lanskine
48 p. ; 10 €
Cette article a paru initialement dans CCP n° 21
18:29 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : jacques esatger, je ne suis plus l'absente, lanskine