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  • Julien Nouveau, Caroline François-Rubino, « d’ombres, d’eau et de sel »

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    « L’histoire que je t’avais demandée, je ne suis pas sûre d’en avoir entendu les premiers mots. Je sais pourtant qu’elle parlait d’un retour de baignade, d’une cascade moins tonnante que prise à dire les chuchots de l’eau. De cette journée qui ne finissait pas de s’épuiser, je n’ai pas même entendu les premiers mots, glissant vers mon sommeil. Pourtant je sais que tu me l’as racontée, plusieurs heures durant, soucieux de ne pas me réveiller ; heureux d’en suivre le cours. Heureux de me savoir endormie, heureux de profiter encore un peu de ce moment de veille, qui précédait celui de notre sommeil.

     

    Toi, de pierre, d’eau et d’un peu de sel, moi de vapeurs, de ciel et d’un peu de verre, nous tenions à un fil, à la grâce d’une heure de nuit propice. Un déplacement de lumière, un soleil dur venu contre son heure, un silence encombré sur le pavé de notre ciel, impatient quand nous nous offrions à l’éternité d’un instant, aurait-il suffi à nous rompre. Nous tenions à un fil, ténu mais de fer, immortel, tant que nous le voulions ainsi. »

     

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    Julien Nouveau

    d’ombres, d’eau et de sel

    peinture de Caroline François-Rubino

    Lanskine, 2019

  • Sereine Berlottier, « Au bord »

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    © : remue.net

     

     

    « ce jour là son visage était si

    simplement vivant (c’est comme un souvenir)

    nous étions couchées sur le lit (oreillers

    lourds) regardant la télévision

    et nous ne cherchions plus les mots ni

    ce que nous aurions pu avoir à nous dire

    avec l’enfant dans nos branches

    ses boucles tièdes sur nos épaules

    nous étions comme un très vieil arbre

    des feuilles pour hier et des feuilles pour demain

    et pourquoi aurait-il fallu

    détruire ce monde à coups de question ? »

     

    Sereine Berlottier

    Au bord

    Lanskine, 2017

  • Joël Bastard, « Une cuisine en Bretagne »

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    © : Michel Durigneux

     

    « Aujourd’hui, je le sais, je suis un écrivain contre ma volonté. La chose a grandi en moi sans que j’y prenne garde. Je ne sais rien de plus qu’hier. Ce sont les mots qui ont pris possession de mon corps. Rien de plus éphémère, à l’image de ce blanc sur lequel je m’appuie.

     

    Ces textes méritaient-ils deux cigarettes et un verre de whisky à trois heures du matin dans une cuisine et dans le noir de l’océan qui flûte à ma fenêtre.

     

    Je ne suis pas plus heureux que lorsque j’écris. Tout est là, le possible et l’impossible. Les absents que je peux inviter sur mon papier sans qu’ils ne le sachent. Les morts que j’utilise à toutes heures pour agrandir ma phrase. Je peux écrire tout à trac : regret, île, vagin, lumière, sourcils, fosse, encoignure, onde, amande, pierre, vague, fille, barbarie, souplesse, échange, crépuscule, chanson, avance, perte, sommeil, orgasme, silence, enfants, outils… Enfin, tous les mots du dictionnaire.

     

    En fait, je fais ce que je veux, mais avec les mots des autres, donc ! Allons-y et faisons ce que nous pouvons.

     

    Je ne souhaite rien d’autre que d’habiter mon chagrin.

     Roland Barthes »

     

    Joël Bastard

    Une cuisine en Bretagne

    Lanskine, 2016

    http://www.editions-lanskine.fr/accueil

  • Michaël Glück, « Tournant le dos à »

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    © : C. Chambard

    10.

    on parle pour

    ne pas laisser place

    au goût de la terre

    on fait comme

    on tient debout

    on dit il elle

    ne sait qui

    tient l’autre

    les lits sont défaits

    les guerres passées

    les étreintes aussi

    deux oublient

     

    11.

    ce qui est fait ce peu

    dit : un legs ce n’est pas plus

    ce qui se transmet sans savoir

    une errance de la matière

    dit encore c’est encore

    corps qui se reproduit

    retient le vieux code

    depuis genèse du vivant

    se tue au labour

    lire ce va-et-vient

    boustrophédon ou

    travail de la navette

     

    22.

    et c’est un autre jour et

    un autre cela fait une vie

    et c’est un temps et le temps

    entre les doigts n’est rien

    un oiseau traverse les yeux

    battement de cils

    à peine le temps du cœur

    d’un écureuil

    qui bat au poignet

    à peine le temps de se retourner

    de jeter le sel

    par-dessus l’épaule »

     

    Michaël Glück

    Tournant le dos à

    Lanskine, 2013

  • Jacques Estager, "Je ne suis plus l'absente"

    jacques esatger,je ne suis plus l'absente,lanskineNous avions quitté Jacques Estager après quelques livre somptueux suivi d’un long silence et voici qu’il réapparait avec ce très beau livre Je ne suis plus l’absente.

     

    On y retrouve d’emblée les thèmes et quelques personnages – si j’ose dire – des livres précédents. Le chaume (bleu) y a sa place naturelle et revient ici comme point d’ancrage d’une syntaxe à nulle autre pareille. Car Jacques Estager à sa place personnelle dans le paysage de la poésie, une place où chaque pierre, chaque rose, chaque ronce, chaque chaume, chaque épi de blé, chaque silhouette, chaque main, chaque ange sont au cœur d’un dispositif de langue qui se renverse sans cesse pour éclairer la nuit qui est déjà la lumière dans la suite des jours.

     

    Depuis son premier livre Une pierre sous la rivière, en 1971, Jacques Estager ne déroge jamais à son entreprise qui pourrait être résumé par ceci page 37 : « et déjà moi je suis transparent sinon je ne suis pas » que pourrait aussi bien prononcer une des voix de Histoire cent. C’est cette entreprise qu’il reprend ici, jamais abandonnée sans doute, plus sereine peut-être, plus sauvage pourtant, où l’auteur plus que jamais est présent paraphant le livre de ce « j’ » qui prend et ouvre toute la place à tous les livres à venir.

     

    Claude Chambard

     

    Jacques Estager

     Je ne suis plus l’absente

     Lanskine

     48 p. ; 10 €

     

     

    Cette article a paru initialement dans CCP n° 21