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marcelline roux

  • Marcelline Roux, « Carnet pour et avec Emma »

    Les Inédits du Malentendu, volume 4.

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    Bulle griffée, Emma Glodt

     

    Ce carnet aurait dû se refermer le 4 juin 2020 et être lu lors du vernissage de l’exposition des photographies d’Emma Glodt à la Galerie d’Art de Corbeil-Essonnes. Le confinement en a décidé autrement. Le carnet restera ouvert jusqu’en janvier 2021, date de report de l’exposition.

     

     

    Celle qui regarde pourrait

     

    être embarquée dans un sous-marin

    voir le monde à travers un hublot, début du véritable savoir selon Jules Verne,

     

    être enfermée dans une capsule spatiale jouant au-delà des nuages,

     

    ou simplement spectatrice derrière une fenêtre, immobile face au monde.

     

    Pour celle qui regarde,

    des bulles de temps flottent, voyagent, passent comme le sang dans les veines.

     

    Elle a la force d’y être, d’y revenir, d’oser la répétition surtout quand le corps rechigne.

     

    Celle qui regarde n’est pas celle qui marche mais celle qui vient se déposer,

    croit encore au cadre, au frémissement des couleurs, à la présence de l’arbre.

     

    Elle invite au grain d’un soir, au bruissement d’un matin.

     

    Sa contemplation charrie des ciels tourmentés, des lumières étrangères.

    L’arrêt sur image n’en finit pas de passer.

    Le rituel l’accroche, la retient tandis que la nature découd le dehors comme le dedans.

     

    Celle qui regarde tisse avec le sauvage de la douleur, l’apprivoise,

    y glisse des tremblements, des bougés, de l’épaisseur,

    quitte à griffer la surface des choses.

     

    Elle ne peut mentir,

    adoucir le monde d’en face, qui se dresse chaque matin comme un défi,

    une image à prendre ou à laisser s’évanouir dans un souvenir.

     

     

     

    Sa chambre est camera obscura et pourtant capte la lumière.

    Sa Vita Nova débute dans une autre chambre, imposée par le corps.

    Sa vue cherche vallons, toits éloignés, brumes et natures mortes.

    La ville et l’humain ont été mis à distance.

     

    Elle a osé le repli au creux ou au sommet des monts

    selon la foi qu’elle accorde au geste qui capte l’instant.

     

    22 Février 2020, je lui envoie par texto : « J’attends tes images, comme on attend des nouvelles des éléments, des bouleversements cosmogoniques. Beau temps sur Corbeil ». Pour elle, j’ai ouvert un nouveau carnet. J’ai la manie des carnets et ses instantanés feront bon ménage avec ce genre du quotidien. Envie d’écrire à partir de ses percées et griffer moi aussi du papier. Envie d’une correspondance légère entre mots et images, au ras de l’ordinaire.

     

    22 février 10H49, je reçois cinq images et une vidéo : une maison bouge, un chemin, une forêt-nuages, une encre, un nuage solitaire.

     

    23 février 12H10, un portrait d’elle apparaît sur Facebook. Un regard face, des yeux ronds et bleus comme les bulles de ses photos, des pointillés comme un voile de pixels, tiré sur la moitié du visage comme si le portrait ne pouvait pas tout dire, qu’il fallait deviner sa part cachée, la construire autrement. Tirer des lignes, se montrer à points comptés, broder autour de soi, chercher les lettres manquantes comme dans une grille de mots croisés : n’est-ce pas le lot de chacun ?

     

    29 février 18H43, me parviennent des images de brins d’herbe. La lumière est celle de mon jour : éclair entre giboulées. Le vent secoue et la cabane virtuelle laisse tout passer. J’ai cru que ma maison meulière ne résisterait pas plus que ces traits esquissés. Pluie, bourrasques, dérèglements non virtuels de nos temps présents.

     

    12 mars, dans le TGV vers Angers, je goûte aux images à grande vitesse à l’exact opposé des prises immobiles d’Emma. Points communs : la vitre striée qui donne la sensation d’images retravaillées, l’écran de la fenêtre qui fait cadre, découpe le réel et invite à chercher ce qui se cache, à rêver de netteté, de captation de la vision fugitive.

     

    21 mars , nous sommes tous passés de l’autre côté du miroir. On ne sort plus de chez nous : confinés depuis le début de la semaine et les photographies de nature, de brume, d’herbe sont comme des pieds de nez, des souvenirs insuffisamment savourés, ou déjà les images d’un avant. Elles deviennent mes randonnées visuelles. Pas envie d’ajouter un journal de confinement à tous ceux qui vont être écrits mais juste tenter de poursuivre ce carnet.

     

     

    Marcelline Roux

    Carnet pour et avec Emma

    Inédit

    https://www.emma-glodt.com/

  • Marcelline Roux, « Vita Nova solo »

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    « 18/ Inventer chaque soir une bonne raison de fêter quelque chose et boire un verre de vin : l’arrivée d’une mésange dans le jardin, ma première leçon d’anglais, une nuit sans insomnie, un jour sans texto désagréable, un jour sans attendre de texto…

    42/ M’accrocher à l’idée d’une possible chambre à soi avec quelques livres en protection.

    61/ Développer une capacité à inventer des nids ou des coquilles. Me souvenir qu’enfant déjà, je regardais les fenêtres allumées dans la nuit et me demandais où j’aurais envie d’habiter. Le voyage continue devant les façades : un fil comme un autre à tenir.

    98/ “Il y a toujours une scène derrière le discours” écrit Pascal Quignard dans la Mélancolie du sexe. La seule que je revois, en boucle, est celle de ma tête effondrée sur la table de la cuisine tandis que le disjoint franchit le portail. J’ai la scène, pas le discours. La sidération m’a rendue sourde et muette. Décidément il faut que je relise Quignard : sur le mutisme et la sidération, il est intarissable.

    135/ La discipline de la Vita nova oblige à retourner les événements désagréables comme des crêpes, seule façon de partager l’insupportable sans accabler et véritable Chandeleur quotidienne qui éclaire les semailles de mes chemins en contrebande.

    245/ Me concentrer sur les fleurs du cerisier qui n’en finissent pas de tout repasser au blanc et me croire invitée à noircir des pages de vie en vue de futurs pots de confiture.

    291/ L’écritoire au centre pour qu’il agisse comme une persuasion.

    302/ Être devant un jardin annihile toute velléité romanesque : contempler le va-et-vient des oiseaux suffit à vivre.

    434/ Aimer la vie qui va avec l’écriture ! La laisser filer, s’infiltrer, s’inviter dans les maisons, les jardins, les paysages, les routes, les coins de cuisine, les soirées dehors, à la grande table des repas, lui ouvrir toutes les fenêtres, lui sortir les transats et les nappes à pois. Ne pas résister au silence qu’elle appelle ! »

     

    Marcelline Roux

    Vita Nova solo – Carnet d’une traversée

    Encres de Jean-Gilles Badaire

    Préface de Françoise Ascal

    Rhubarbe, 2018

    http://www.editions-rhubarbe.com/news.htm

  • Marcelline Roux, « Celles qui regardent »

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    © Francepol

     

    « Vouloir une maison sans risquer l’abandon.

    […]

    Je voudrais savoir écrire les livres qui habitent les maisons, pas seulement ceux logés sur les rayons des bibliothèques mais ceux ouverts, déposés en certains endroits qui vivent autrement et forment autant de cairns lors de nos allées et venues. Écrire ceux sur le bureau près de la fenêtre, les empilés près de la lampe sur le parquet, les gardiens de la nuit, ceux en transit, debout sur le haut d’un meuble du salon, lus mais pas encore réintégrés et d’autres non lus qui attendent. Et si les lectures imprimaient une atmosphère particulière aux intérieurs, si tous ces mots parcourus le soir apportaient une présence, laissaient une trace, comme la sensation que l’on a d’emporter un bout de chez soi dans son sac quand on y glisse un livre. Ce n’est pas un hasard si les livres durent parmi les premiers à habiter leur maison, avec quelques assiettes, le nécessaire de toilette et le matelas sur le sol. Ils furent les premiers à se faire une place.

     

    Il suffit de m’asseoir près d’une bibliothèque pour sentir un devenir, quelque chose qui pousse à continuer, à changer, à poursuivre. »

     

    Marcelline Roux

    Celles qui regardent. Carnet des maisons

    Gravures de Francepol

    Rhubarbe, 2017

    http://www.editions-rhubarbe.com/