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maurice blanchot

  • Vadim Kozovoï, « Hors de la colline »

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    litographie de Henri Michaux

     

     

    « Entre deux points de douleur, la poésie est la voie la plus courte. Courte tellement qu’à son coup solitaire tombe décapité le temps.

     

     

    Il reste

     

    Seul mon pin qu’il soit près de ta montagne

    les ailes rognées ni ne tourne la tête

    limpide est sans cils la merveille citadelle

    aux aiguilles des yeux en coulisse de colombe

    est-ce au fils de bâtir par vallées décrépites ?

    leurs saisons s’enlisent et leur siècle croule…

    ériger à nouveau sous l’orage proche ?

    les lointains on y touche foules se resserrent…

    si tant est vu tordu dilapidé en miettes

    filouté flûté tout sauf la limpide

    près de la montagne seul mon pin reste

    sans tourner les yeux au passé quittes

    à scruter quelle merveille et rien tête à dire

    rien de plus aux ailes rognées au cimeterre

     

     

    Ton aile

     

    Aile de hölderlin en détresse flottant par sa propre seule faute d’illimité

    d’une faille timide m’a effarouché au point de l’aube l’argileuse fente

    car la veille au soir dans les purs-étangs nous avions moi et mioche mon petit

    vu un hippopotame tenter ivre noir d’abreuver un cygne plus noir vêtu

    fut verdâtre la brute aux souliers tordus qui sous hardes sans indices d’âge

    étirait à bleuir craquelées serrant les babines au nuage frissonneux de sang

    que son âme à vau-l’eau de s’ouvrir transie pourchassait au loin bouche volcanique

    et souffrait de la noire inaccessibilité du bec noir sous la tienne seule en détresse »

     

    Vadim Kozovoï

    Hors de la colline

    Version française de l’auteur avec la collaboration de Michel Deguy et de Jacques Dupin

    Illustrations de Henri Michaux

    Postface de Maurice Blanchot

    Hermann, 1984

  • Maurice Blanchot, « Le dernier homme »

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    « Souvenir que je suis, que j’attends cependant, vers lequel je descend vers toi, loin de toi, espace de ce souvenir dont il n’y a pas de souvenir, qui me retient seulement là où depuis longtemps j’ai cessé d’être, comme si toi qui peut-être n’existes pas, dans la calme persistance de ce qui disparaît, tu continuais à faire de moi un souvenir et à rechercher ce qui pourrait me rappeler à toi, grande mémoire qui pourrait me rappeler à toi, grande mémoire où nous sommes tous deux maintenus face à face, enveloppés dans la plainte que j’entends : éternels, éternels ; espace de froide lumière où tu m’as attiré sans y être et où je t’affirme sans te voir et sachant que tu n’y es pas, l’ignorant, le sachant. Croissance de ce qui ne veut pas croître, attente vaine des choses vaines, silence, et plus il y a de silence, plus il se change en rumeur. Silence, silence qui fait tant de bruit, agitation perpétuelle du calme, est-ce là ce que nous appelons le terrible, le cœur éternel ? Est-ce sur lui que nous veillons pour l’apaiser, le rendre calme et toujours plus calme, pour l’empêcher de cesser, de persévérer ? Est-ce moi qui serais pour moi le terrible ? Être mort et attendre encore quelque chose qui vous fasse souvenir de la mort. »

     

    Maurice Blanchot

    Le dernier homme

    Gallimard, 1957

  • Maurice Blanchot, « L’écriture du désastre »

    « ◆ Vouloir écrire, quelle absurdité : écrire, c’est la déchéance du vouloir, comme la perte du pouvoir, la chute de la cadence, le désastre encore.

     

    ◆ Ne pas écrire : la négligence, l’incurie n’y suffisent pas ; l’intensité d’un désir hors souveraineté peut-être – un rapport de submersion avec le dehors. La passivité qui permet de se tenir dans la familiarité du désastre.
    Il met toute son énergie à ne pas écrire pour que, écrivant, il écrive par défaillance, dans l’intensité de la défaillance.

     

    ◆ Le non-manifeste de l’angoisse. Angoissé, tu ne le serais pas.

     

    ◆ Le désastre, c’est ce qu’on ne peut pas accueillir, sauf comme l’imminence qui gratifie, l’attente du non-pouvoir.

     

    ◆ Que les mots cessent d’être des armes, des moyens d’action, des possibilités de salut. S’en remettre au désarroi.

    Quand écrire, ne pas écrire, c’est sans importance, alors l’écriture change – qu’elle ait lieu ou non ; c’est l’écriture du désastre. »

     

    Maurice Blanchot

    L’écriture du désastre

    Gallimard, 1980

  • Agnès Rouzier, « Maurice Blanchot : le fait même d’écrire »

    « (déchiffrer, désire. Déchiffrer est un mouvement, un déplacement rigoureux, une projection en avant admettant de pulvériser méthodiquement ses assises, là où même  “n’être rien” prend un sens fragmentaire, passage, petit abîme, léger abîme, complice de ce point où l’espace, là cependant, au plus court, l’espace, tout l’espace nous manque. Déchiffrer ne déchiffre à sa clé qu’un autre monde qui se veut provisoire. Métamorphoses comme autant de morts acceptées, comme autant de morts, tant que nous serons vivants, à minutieusement refaire, chute, vide soudain : la passivité, le neutre.)


    “Le désastre est séparé, ce qu’il y a de plus séparé.”

     

    (la passivité, le neutre, imperceptible décalage. Depuis nous ne sommes plus les mêmes. La légèreté devient dure, sans nimbe, sans arrière-plan : le oui, le non, le rire, les larmes. Nous attend un autre chemin aux bords étroitement décisifs. Nous attend de notre pensée comme une mutation (“passive”). “Vivre” le neutre (mots, actes, confrontés, défaits, dès que nous l’éprouvons en nous comme une stricte présence : cela qui maintenant est. Souffle. Manque de souffle.)

     

    “… regarder dans la nuit ce qui dissimule la nuit, l’autre nuit. La dissimulation qui apparaît.”

     

    (la légèreté, la transparence comme un noyau décentré, porté en soi et hors de soi, au bord du corps et sur le corps. (Te lisant quelque chose a peur, quelque chose devine, acquiesce, quelque chose qui n’est pas l’inconnaissable, quelque chose qui ne connaît pas.)

     

    (Transparence n’est pas transcendance : patiente, ta parole, au plus proche, trace la mobilité, le fragment par lequel tout, une première fois recommence, pour ne pas être dit : intact.)

     

    Agnès Rouzier

    « Maurice Blanchot : le fait même d’écrire » (1977-1979)

     in Le Fait même d’écrire

    Coll. Change. Seghers, 1985